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les ordres les plus précis pour que les places qui sont sur cette frontière, et qui ont été entièrement négligées depuis le pacte de famille, soient promptement mises en état de défense, et alors, je réponds de nos braves gardes nationales qui ne feront jamais démentir les fiers Cantabres que les Romains n'ont jamais pu subjuguer.

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Je n'ai point donné les détails que demande le préopinant; mais si l'Assemblée veut s'en faire rendre compte par un de ses comités, elle verra d'abord, par les pièces que je dépose sur le bureau, que près de 500,000 livres ont déjà été envoyées dans ce département pour compléter la défense des forteresses de la frontière. Je dirai qu'aucune des précautions nécessaires pour y faire arriver les armes n'a été négligée, et qu'assurément avant 6 semaines les fusils, au nombre de 7,234, qui sont nécessaires pour cette frontière, seront arrivés à leur destination.

Plusieurs membres : Le renvoi au comité militaire !

(L'Assemblée renvoie au comité militaire les observations du ministre de la guerre.)

Un membre: Je demande que le rapport sur le mode de recrutement soit présenté demain. (L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Delacroix. Je demande qu'on accorde au comité militaire l'ordre du jour, tous les soirs, pour rendre compte des diverses propositions sur lesquelles le roi a demandé à l'Assemblée de vouloir bien prononcer.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Delacroix.)

M. le Président annonce l'ordre du jour de demain.

(La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du jeudi 19 janvier 1792, au matin.

PRÉSIDENCE DE M. DAVERHOULT.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Gérardin, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du mercredi 18 janvier.

Un membre: Je prie l'Assemblée d'observer que, dans le procès-verbal qui vient de lui être lu, la rédaction de l'acte du Corps législatif rendu hier relativement à la déchéance de Louis-Stanislas-Xavier se trouve changée. On a mis: « Le pouvoir exécutif fera rendre compte à l'Assemblée, etc... » Il semble qu'il y ait un intermédiaire entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je demande qu'il soit dit : « Le pouvoir exécutif rendra compte... » ainsi que cela a été décrété hier.

M. Dorizy, secrétaire. Messieurs, le rapporteur a remis au bureau le décret tel qu'il vient d'être mentionné au procès-verbal; le secrétaire a été forcé de s'en rapporter à cette copie qui était signée par le rapporteur. Je demande qu'aucune loi ne soit portée au roi avant que la rédaction n'en ait été arrêtée par l'Assemblée nationale.

Un membre: Ce changement se fit hier ici,

pendant la discussion du rapport du comité diplomatique. Un secrétaire vint trouver le rapporteur qui changea ainsi le texte du décret.

M. Delacroix. Je demande que l'Assemblée nationale décrète la rectification proposée et que le décret soit porté sur-le-champ au roi. Je demande encore que le rapporteur qui s'est permis ce changement soit rappelé à l'ordre (Applaudissements dans les tribunes) et que le secrétaire qui l'a reçu, et qui n'a pas mis dans le procès-verbal le décret tel qu'il a été rendu soit aussi rappelé à l'ordre. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète la rectification demandée et qu'une nouvelle expédition de cet acte ainsi rectifié, sera présentée au roi.)

Un membre: Je demande que la rédaction des décrets soit toujours soumise à l'Assemblée; parce qu'il ne peut dépendre de la volonté d'un de ses membres d'en changer les expressions.

M. Lasource. J'observe que la lecture du procès-verbal tient lieu tous les jours de la mesure que l'on propose. On peut seulement ajouter au règlement intérieur de l'Assemblée que les décrets, destinés à être portés dans le jour à la sanction, seront rédigés et soumis à l'Assemblée séance tenante.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Lasource.)

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Un membre: Je relève une erreur commise dans la rédaction du décret sur les moyens provisoires à employer pour subvenir aux besoins des départements qui, par des cas particuliers et extraordinaires, peuvent exiger des secours (1). Il y est dit: Les commissaires de la Trésorerie nationale tiendront à la disposition du ministre de l'intérieur, etc... », tandis que c'est la caisse de l'extraordinaire qu'on aurait dû désigner pour cet objet. Je demande que le décret soit rectifié. (L'Assemblée, consultée, ordonne la rectification demandée.)

En conséquence, le premier paragraphe de l'article 1er sera ainsi conçu :

« Conformément à la loi du 15 juillet dernier, la caisse de l'extraordinaire sera chargée de tenir à la disposition du ministre de l'intérieur, et sous sa responsabilité, les sommes ci-après détaillées : "

M. Dorizy, secrétaire, donne lecture des lettres suivantes :

1° Lettre de M. Lacombe, curé de Saint-Paul, à Bordeaux, et député à la législature, qui se fondant sur l'impossibilité où il s'est trouvé jusqu'à présent, de se faire remplacer, demande à l'Assemblée un congé indéfini; cette lettre est ainsi conçue:

«Monsieur le Président,

« Je venais d'être nommé curé de Saint-Paul de Bordeaux, lorsque je fus élu député à la première législature. J'acceptai cette honorable mission, espérant qu'il me serait facile de trouver un pasteur qui voulut bien me remplacer auprès de mon troupeau; mais jusqu'à présent mes recherches ont été vaines, et dans une crise où le fanatisme redouble ses efforts, je n'ai pas cru devoir abandonner une paroisse de 9,000 âmes, dont je suis le seul ministre, avec un jeune coopérateur, pour aller prendre ma part d'un fardeau

(1) Voy. ci-dessus, séance du 17 janvier 1792, au matin, page 451.

que 750 législateurs soutiennent avec tant de gloire.

« Monsieur le Président, si l'Assemblée législative ne jugeait pas convenable de m'accorder un congé indéfini, jusqu'à ce que je puisse quitter mon église, sans compromettre l'intérêt public, je me déterminerais à lui envoyer ma démission: ce serait un sacrifice pénible que je ferais, mais que m'imposerait l'amour de la patrie. Je saisis cette occasion, Monsieur le Président, pour offrir à l'Assemblée quelques discours que j'ai publiés à Bordeaux, pour prémunir les citoyens contre les cris du fanatisme. Si elle en accepte l'hommage, ce sera leur donner un plus grand succès. Je suis avec respect, etc.

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Plusieurs membres: Mention honorable au procès-verbal!

M. Dorizy. Je m'oppose à la mention honorable parce que c'est un de nos collègues.

Un membre: Il faut mettre aux voix le congé. M. Basire. Il n'est pas possible de donner un congé indéfini à un représentant de la nation. Si M. Lacombe est retenu à Bordeaux par des affaires indispensables, pourquoi a-t-il accepté d'être député? Il faut absolument ou qu'il se rende à París ou qu'il cède sa place à son suppléant. Je demande la question préalable sur le congé indéfini.

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

(L'Assemblée accepte l'offre de M. Lacombe, renvoie ses discours au comité de législation et sur les autres questions passe à l'ordre du jour.) (Voy. ci-après, p. 500.)

2° Lettre de M. Amelot, commissaire du roi la caisse de l'extraordinaire, qui annonce le brûprès lement de 23 millions d'assignats; cette lettre est ainsi conçue;

« J'ai l'honneur de vous prévenir, Monsieur le Président, qu'il sera brûlé demain, à la caisse de l'extraordinaire, 23 millions provenant de l'échange des assignats de 5 livres qui, réunis aux 77 millions déjà brûlés, complètent les 100 premiers millions d'assignats de 5 livres. » « Je suis avec respect, etc...

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« La Constitution ordonne, article 5 de la section re du chapitre IV, que le pouvoir exécutif justifiera au Corps législatif des envois des lois aux corps administratifs et tribunaux. Je ne peux mettre trop d'empressement à m'y conformer. J'ai, en conséquence, l'honneur de vous remettre trois états certifiés de moi, dont il résulte que, depuis que le roi a cru devoir me confier le ministère de l'intérieur, j'ai adressé aux différents directoires de départements du royaume 673 lois: savoir 36 de l'Assemblée constituante, 68 de l'Assemblée législative et 569 portant aliénation de biens nationaux.

« J'ai l'honneur de certifier également à l'Assemblée nationale qu'il n'y a actuellement entre mes mains aucune loi à envoyer par mois, dont l'envoi soit différé. Celle du 14 de ce mois, qui déclare infâme, traître à la patrie et coupable du crime de lèse-nation, tout agent du pouvoir exécutif, tout Français, qui prendrait part à un congrès, à une médiation ou à une composition, dont l'objet serait d'obtenir des modifications à la Constitution, est imprimée, et je l'adresse à tous les directoires de département du royaume. L'Assemblée nationale doit entendre d'avance tous les administrateurs jurer avec elle de mourir à leur poste plutôt que de souffrir qu'il soit porté la moindre atteinte à la Constitution. J'aurai l'honneur, Monsieur le Président, d'adresser tous les 15 jours, à l'Assemblée nationale ou au comité des décrets, ainsi qu'elle l'ordonne, un état d'envoi semblable à ceux ci-joints que je vous prie de vouloir bien lui présenter. « Je suis avec respect, etc.

"

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4° Note des décrets sanctionnés par le roi, adressée par le ministre de la justice à M. le président de l'Assemblée (1).

M. Basire observe que cette note ne contient pas le décret relatif aux malheureux Suisses de Châteauvieux.

5° Lettre des commissaires de l'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, qui adressent à l'Assemblée diverses pièces relatives à des événements qui ont eu lieu au Cap et dans lesquels se trouve compromise une partie de l'état-major de l'escadre de la Martinique, commandée par M. Girardin.

(L'Assemblée renvoie cette lettre et les pièces y jointes au comité colonial.)

6° Lettre des grands procurateurs de la nation, qui font part à l'Assemblée de l'inconvenance du local destiné à la Haute-Cour nationale et la prient de prendre, en conséquence, les mesures les plus promptes pour faire disposer cet emplaplus avantageux; cette lettre est ainsi conçue : cement, ou s'assurer, s'il est possible, d'un local

« Orléans, l'an quatrième de la liberté.

« Messieurs,

« Nous venons de voir avec MM. les grands juges le local destiné à la Haute-Cour nationale. Nous pensons comme eux qu'il est absolument impossible d'en faire usage dans l'état actuel et qu'il l'est peut-être également de le mettre en état de servir. Il n'y a ni décence, ni salubrité, ni, à ce qu'il nous paraît, sûreté pour les dépôts de pièces et les prisonniers. Permettez-nous d'entrer dans quelques détails à ce sujet.

On ne peut entrer dans le tribunal et ses dépendances que par l'église des Minimes, qui sert d'auditoire, et par le guichet de la prison. Cette église, qui est longue et étroite, est peu sûre et malsaine. Il n'y a point d'infirmerie pour les malades. Le pouvoir exécutif, depuis le moment de la formation de la Haute-Cour nationale, n'a donné aucun ordre pour changer la distribution du local ou pour se procurer un autre emplace

(1) Voir ci-après, cette note aux annexes de la séance, page 512.

ment, ce qui est facile dans une grande ville comme Orléans... »

Plusieurs membres : Le renvoi au comité! (L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de l'extraordinaire des finances et y adjoint la députation du Loiret.)

70 Lettre de M. Lafreté, qui fait hommage à l'Assemblée de quelques observations sur les finances, qu'il croit devoir être de quelque utilité.

(L'Assemblée décrète la mention honorable de cet hommage au procès-verbal.)

8° Lettre de M. Pétion, maire de Paris, relative à une demande des canonniers de l'armée parisienne, qui prient l'Assemblée d'interpréter le décret du 29 septembre qui les concerne; elle est ainsi conçue :

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M. Lacuée, secrétaire. Messieurs, il s'agit des certificats de résidence. La municipalité a unanimement arrêté qu'il serait fait une adresse à l'Assemblée nationale pour lui demander: 1° que les certificats de résidence exigés des créanciers ou salariés de l'Etat pour le payement de leurs rentes, pensions ou traitements, soient affranchis du droit de timbre qui pèse sur les bons comme sur les mauvais citoyens; 2° que le même certificat suffise pour le payement des différentes parties de rentes, pensions ou traitements à toucher sur la même caisse ou chez le même payeur.

Plusieurs membres : Le renvoi au comité de l'ordinaire des finances !

(L'Assemblée renvoie la lettre et l'adresse au comité de l'ordinaire des finances.)

10° Lettre du sieur Drobecq, instituteur, qui ait hommage à l'Assemblée nationale de la traduction en vers de la déclaration du philosophe

Condorcet, devenue celle de l'Assemblée nationale et de la nation entière. Elle a pour titre : « Déclaration adoptée par l'Assemblée nationale, traduite de la langue de la raison en celle de l'imagination.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable de cet hommage au procès-verbal.)

11° Lettre de M. Bonjour, ci-devant premier commis chargé du bureau des fonds de la marine et des colonies, qui offre à la patrie une somme de 300 livres pour l'entretien des gardes nationaux envoyés aux frontières; cette lettre est ainsi conçue :

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« Réduit à l'inaction et devenu pensionnaire du Trésor public par l'effet de l'organisation des bureaux de la marine, le premier désir que j'éprouve dans cet état d'oisiveté forcée est d'être encore utile à ma patrie en consacrant à l'entretien des gardes nationales envoyées aux frontières pour combattre les ennemis de la Constitution, la somme de 300 livres par an à prendre sur mon traitement de retraite, tant que la nation sera dans un état de guerre pour le maintien de sa liberté. Je regrette beaucoup que le peu d'aisance dont je jouis et les besoins de ma nombreuse famille ne me permettent pas de porter plus haut cette offrande patriotique. Je vous supplie, Monsieur le Président, de vouloir bien la faire agréer par l'Assemblée nationale.

« Je suis avec un très profond respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur.

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Un membre: L'offrande de M. Bonjour doit être d'autant plus agréable que son patriotisme semble s'accroître à mesure que sa fortune diminue. Victime de la vindicte ministérielle, il doit être accueilli par l'Assemblée nationale. Je demande que l'offre soit acceptée et que sa lettre soit insérée au procès-verbal avec mention honorable.

(L'Assemblée accepte l'offre de M. Bonjour, en ordonne la mention honorable et décrète l'insertion de sa lettre au procès-verbal.)

M. Jay. Je rappelle la demande d'un congé indéfini faite par M. Lacombe, curé de Saint-Paul à Bordeaux, et je propose à l'Assemblée d'accepter sa démission, puisqu'elle ne veut pas accorder le congé.

Plusieurs membres soutiennent que l'Assemblée ne peut accepter cette démission conditionnelle.

D'autres membres demandent qu'aux termes de la Constitution un délai soit fixé à M. Lacombe pour se rendre à son poste, sous peine de 3,000 livres d'amende s'il ne propose pas une excuse qui soit jugée légitime par l'Assemblée.

Un membre propose de décréter que si M. Lacombe n'est pas, dans un mois, à son poste, il sera pourvu à son remplacement.

Plusieurs membres demandent la question préalable sur cette dernière motion.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer.)

La discussion continue; on sollicite des exceptions en faveur des malades.

(L'Assemblée renvoie au comité de législation,

qu'elle charge de lui en faire le rapport, la lettre de M. Lacombe, la question du congé illimité et celle du remplacement.)

Un membre, au nom des comités des secours publics et de l'extraordinaire des finances réunis, fait un rapport et présente un projet de décret relatif aux ravages occasionnés par les inondations dans le département de Lot-et-Garonne; il s'exprime ainsi : Messieurs, vous avez renvoyé à vos comités des secours publics et de l'ordinaire des finances réunis (1) la demande en secours extraordinaires du département de Lot-et-Garonne. Je suis chargé par eux de vous proposer le décret suivant :

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, affectée douloureusement des ravages occasionnés, dans le département de Lot-et-Garonne, par les débordements des rivières qui arrosent une partie de son territoire, voulant témoigner aux malheureux habitants qui ont souffert de ces grands désastres, que le désir le plus cher à son cœur est de les soulager, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

« L'Assemblée nationale, après avoir décreté l'urgence, décrète ce qui suit:

« Art. 1er. Il sera mis, par la Trésorerie nationale, à la disposition du directoire du département de Lot-et-Garonne, sur l'ordonnance du ministre de l'intérieur, une somme de 15,000 livres pour être répartie entre les citoyens les plus pauvres, et qui ont le plus souffert du débordement desdites rivières, d'après les certificats des municipalités, et sur l'avis des directoires de districts.

«Art. 2. Le directoire du département de Lotet-Garonne fera connaître incessamment au ministre de l'intérieur, qui en rendra compte à l'Assemblée nationale, la répartition qu'il aura faite de ladite somme de 15,000 livres portée au présent décret.

«Art. 3. Le directoire du département de Lotet-Garonne enverra incessamment au ministre un état estimatif et détaillé des pertes occasionnées par lesdits débordements. Le ministre remettra cet état au comité des secours publics, qui en fera son rapport à l'Assemblée. »

:

M. Mouysset. La députation de ce département vous avait demandé 30,000 livres, et cette somme n'était déjà pas trop considérable, car les dégâts sont énormes et le département comprend 9 districts votre comité vous propose d'accorder 15,000 livres. Je vous demande ce qu'est un pareil secours pour un département entier. Pour l'incendie d'une commune, vous avez accordé 25,000 livres; vous en avez accordé 30 au département du Loiret, ravagé aussi par des inondations. J'insiste donc pour que le département de Lot-et-Garonne reçoive la même somme de 30,000 livres.

Plusieurs membres : La question préalable sur l'amendement!

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'amendement de M. Mouysset, puis l'adopte

(1) Voy. ci-dessus, sóance du samedi 14 janvier 1792, au matin, page 403, la lettre du directoire de ce départe

ment.

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84 citoyens sont détenus depuis trois mois dans les prisons de Caen. Le volume énorme de la procédure fait à la fois l'excuse de la municipalité de Caen, qui m'a fait remettre les dernières pièces depuis 15 jours, et l'excuse de votre comité de législation qui a autant tardé à faire son rapport.

Le directoire du département de Caen, instruit des manœuvres des prêtres non sermentés, et justement alarmé des suites fâcheuses qu'elles pouvaient avoir, crut devoir prendre, dès le mois d'août dernier, un arrêté par lequel il enjoignait à tous les curés remplacés de quitter leur paroisse, à moins qu'ils ne rapportassent un certificat de bonne conduite signé des officiers municipaux du lieu de leur résidence. Cette mesure, à laquelle le salut public pouvait peut-être servir d'excuse, fut improuvée par le ministre de l'intérieur; et tel fut, Messieurs, l'effet de cette improbation, que d'un excès de zèle dangereux

(1) Voy. Archives parlementaires 1re série, t. XXXV, séance du 11 novembre 1791, page 6.

peut-être sous quelque rapport, on passa à un excès de tolérance dangereux sous beaucoup d'autres. On ouvrit en effet toutes les églises, même les églises paroissiales, aux prêtres non sermentés; et tel fut pour ceux-ci le fruit de cet excès de tolérance qu'elle accrut infiniment leur audace. On les vit en effet requérir à main armée, par le ministère d'huissiers et de recors, les curés de leur ouvrir leurs églises.

Cet ordre de choses ne devait pas être extrêmement dangereux dans les campagnes du Calvados, où la presque totalité des habitants paraît entièrement dévouée à la Révolution : mais où elle pouvait être infiniment funeste, c'est dans la ville de Caen, où, depuis plusieurs mois, il s'était rassemblé une prodigieuse quantité de ci-devant nobles, dont les intentions connues et les manœuvres secrètes devaient faire suspecter la réunion. Il était naturel qu'ils profitassent de cette permission pour chercher à exciter des troubles dans la ville de Caen, et pour animer les citoyens contre leur parti, bien persuadés que ces citoyens, dans l'ardeur de leur patriotisme, oublieraient que le mépris, le ridicule et la tolérance sont les armes les plus puissantes qu'on puisse opposer au fanatisme et à l'hypocrisie. Ils invitèrent en conséquence le sieur Bunel, ci-devant curé d'une des paroisses de Caen, à dire la messe dans son ancienne paroisse, le 4 du mois de novembre.

On s'attendait peut-être que le curé de la paroisse de Saint-Jean refuserait au sieur Bunel la permission de dire sa messe; mais ce fut tout le contraire, et ce respectable pasteur se conduisit en cette occasion avec une sagesse qui mérite d'être remarquée. En effet, il ne fut pas plutôt instruit que le sieur Bunel était dans son église pour y célébrer la messe, qu'il s'y rendit luimême, offrit au sieur Bunel tous les ornements dont il pourrait avoir besoin, et voyant que l'auditoire était composé de manière à faire craindre quelque scène fâcheuse, il monta en chaire pour y prêcher l'union, la paix, la charité et la tolérance. Il fit plus joignant l'exemple au précepte, il offrit au sieur Bunel de lui servir la messe, (Applaudissements.) et il la lui servit en effet jusqu'au moment où un prêtre, autrefois attaché au sieur Bunel, se présenta à l'autel pour remplir cette fonction.

Cette condescendance du curé de Saint-Jean n'empêcha cependant pas les malheurs qu'il avait prévus, et qu'il avait voulu éviter. Il y avait évidemment deux partis dans l'église, celui des ci-devant nobles, de leurs valets et de tous les citoyens de Caen réunis à leur parti, ensuite celui des patriotes; mais c'était le plus faible, aussi le premier eut-il, ce jour-là, l'avantage. Les patriotes furent insultés, provoqués de toute manière on entendit plusieurs voix s'écrier qu'il fallait les pendre, puisqu'ils étaient pour la Constitution. J'observe ici que quoique plusieurs témoins de l'immense information faite à Caen, attestent unanimement ce fait, aucun d'eux ne désigne mominativement ceux qui ont pu tenir ce propos.

L'avantage remporté, ce jour-là, par le parti de l'aristocratie l'enhardit à mettre, dans sa conduite, une indécence dont on ne se serait pas douté: ils annoncèrent hautement dans l'église que, le lendemain, on chanterait un Te Deum en action de grâces et que la nation aurait le dessous. Ils firent plus au grand scandale de la religion, ils ramenèrent en triomphe le sieur Bunel dans sa maison, et vous vous imaginez sans peine de quels propos ce triomphe était accompagné.

La municipalité de Caen, instruite de ce qui s'était passé dans la journée du 4, crut devoir prendre des précautions pour que cette scène ne se renouvelât pas le lendemain; en conséquence, elle écrivit au sieur Bunel pour s'abstenir de dire la messe le lendemain; le sieur Bunel céda à cette invitation; mais soit affectation, soit ignorance des mesures prises par la municipalité, l'église de Saint-Jean se trouva pleine le lendemain dès les 9 heures du matin; on attendit longtemps le sieur Bunel, mais enfin il fallut bien dire à ceux qui paraissaient l'attendre que le sieur Bunel ne viendrait pas; alors, et ce furent des valets qui, ce jour-là comme la veille, se permirent les provocations les plus indécentes; alors, on s'écria qu'il fallait voir, qu'on était les plus forts et qu'il fallait chasser les patriotes.

Par respect pour le lieu saint, il paraît que les auteurs de la provocation, et ceux contre qui elle était dirigée, se portèrent hors de l'église, et bientôt, devant l'église de Saint-Jean, s'engagea un combat, dans lequel quatre personnes furent grièvement blessées. La municipalité fut aussitôt instruite de ce qui se passait; elle envoya deux commissaires devant l'église Saint-Jean; ces commissaires y rétablirent l'ordre; mais ils furent appelés presque aussitôt vers la rue Gilbert par des coups de feu qui partirent de ce quartier; ils s'y transportèrent, et y trouvèrent la municipalité rendue en corps, précédée du drapeau rouge, qu'elle n'avait pas eu besoin de déployer, attendu que sa présence seule avait rétabli la tranquillité.

Les officiers municipaux ne se dissimulèrent point qu'après le signal d'alarme qui avait été donné dans presque toute la ville, il y avait de très grandes précautions à prendre pour éviter les désordres qu'on pouvait craindre. En conséquence, ils se déterminèrent à faire battre la générale, et à faire donner l'ordre que personne ne tirât sans en avoir reçu l'ordre des chefs de la municipalité. La générale fut donc battue et les citoyens de Caen se transportèrent aussitôt chacun dans sa compagnie.

Il s'en forma une à part sur la place SaintSauveur; elle était entièrement composée de cidevant nobles et de leurs domestiques. Quelques citoyens, témoins de cette réunion très suspecte, crurent devoir en informer la municipalité, qui y envoya des commissaires; mais ni les procèsverbaux, ni l'information ne nous apprennent ce que les commissaires firent auprès de cette compagnie, et quel fut le résultat de leur démarche. Il parait seulement que, désespérant de se grossir assez pour présenter une réunion imposante, cette compagnie se décida à suivre un sieur Basset, volontaire de la garde nationale, qui proposa de se rendre à la municipalité pour y prendre ses ordres.

Je dois observer ici, Messieurs, que plusieurs citoyens de Caen, voyant cette compagnie réunie, ignorant si elle avait des chefs, s'en étaient approchés; mais que bientôt, soit par les propos qui avaient été tenus, soit par les démarches de la compagnie elle-même, s'étant aperçus de ses mauvaises intentions, ils l'avaient abandonnée. Cette compagnie suit donc le sieur Basset à la municipalité : là, on les désarme, et ils se laissent désarmer sans résistance. On soupçonne que plusieurs de ces citoyens ont des armes cachées sur eux on les fouille, on trouve en effet sur chacun d'eux des pistolets; en les fouillant, on trouve dans la poche d'un sieur Caignon des

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