Page images
PDF
EPUB

différences et les rapprochements qui sont entre le projet du comité et le mien.

1 II demande des explications. Je n'en veux point. Je veux qu'on notifie à l'empereur que nous le regardons comme ennemi, s'il ne nous satisfait pas immédiatement. Les explications supposent des doutes: il n'y en a point sur les actes d'hostilité de l'empereur. Il ne faut point dissimuler ses torts: un peuple libre doit être vrai, surtout vis-à-vis des rois.

2° La forme de l'explication nous met à la merci de l'empereur. Exiger une satisfaction, c'est le mettre à la nôtre; nous en sommes juges. Des explications n'ôtent point les inquiétudes; la satisfaction les dissipe entièrement.

3o Je pense, comme le comité, que cette satisfaction ne doit plus rouler sur la défense des rassemblements, mais sur une renonciation formelle à la ligue contre la France.

4° Je veux la guerre au 10 février, si cette renonciation n'est pas parvenue. (Applaudissements répétés.) Et cette volonté ne paraîtra point comminatoire, comme le paraît la demande en explication.

5° Enfin, si j'adopte le délai du comité, c'est parce qu'il est assez long pour être loyal et qu'il n'est pas assez long pour être dangereux; c'est que ce délai est nécessaire pour forcer l'empereur, par son intérêt, à se hâter de rechercher la paix, et de l'obtenir par une satisfaction franche.

Il blesse, s'écrie-t-on, la majesté de la couronne impériale. Mais l'empereur n'a pas craint de blesser la majesté du peuple français. Il n'y a pas de déshonneur pour un roi de céder devant une nation, il n'y a point de déshonneur de céder devant la justice. Que les rois abjurent enfin ces fausses idées de grandeur : il n'y a d'honneur que dans la vertu, de déshonneur que dans le mal. Cette maxime est vraie pour les rois comme pour les simples citoyens. Si donc l'empereur a tort, un pas rétrograde l'honorera plus qu'une victoire à l'appui de l'injustice. N'eut-il pas la vertu de le faire, il y aurait du gain à en avoir la politique. C'est par des vertus désormais que les rois peuvent expier ou faire oublier encore quelque temps leurs longues usurpations.

Ainsi, Messieurs, mon projet laisse à l'empereur la ressource de la paix; elle est dans sa main; il en usera, s'il est de bonne foi; s'il ne l'est pas, nous serions insensés de lui accorder un plus long terme, et de ne pas lattaquer. Ainsi, par mon projet le peuple français allie ce qu'il doit à sa sûreté avec la noblesse et la dignité de son caractère.

Il ne faut pas vous le dissimuler l'empereur, soit politique, soit meilleur conseil, parait abjurer l'idée de guerre, si l'on en juge au moins par les ordres qu'il a transmis aux électeurs; au ton de l'office du 28 septembre, succède un ton plus doux. Un peuple fibre ne varie point ainsi, parce qu'il marche toujours sur la ligne des principes. Nous étions justes dans le premier message; nous le serons encore dans le second. En exigeant une satisfaction qui nous ôte toute inquiétude, et en donnant à l'empereur un terme pour nous la procurer, nous lui prouverons que les Français dédaignent de profiter de la détresse de leurs ennemis, pour lui imposer des lois dures; qu'ils ne se vengent des outrages qu'en pardonnant aux rois. C'est alors qu'ils mériteront cette belle devise du peuple romain : Parcere subjectis et debellare superbos.

Après vous avoir démontré qu'une guerre immédiate est juste, nécessaire, commandée par les circonstances et par vos serments, à moins que l'empereur ne la prévienne dans un bref délai par une satisfaction qui vous ôte toute inquiétude, je dois vous prouver maintenant — et c'est le point sur lequel je diffère davantage avec le comité que loin de demander à l'empereur s'il veut exécuter le traité de 1756, nous sommes autorisés à le regarder, d'après lui, comme anéanti.

[ocr errors]

Vous vous rappelez, Messieurs, que, suivant le traité du 1er mai 1756, entre le roi de France et l'impératrice, ils s'étaient promis, tant pour eux que pour leurs successeurs, de se garantir leurs Etats contre les attaques de quelque puissance que ce fut; qu'ils s'étaient promis un secours de 24,000 hommes, ou de 8 à 9 millions, dans le cas où l'un ou l'autre serait attaqué. Vous vous rappelez que la France, fidèle à ses engagements, a dépensé des trésors énormes, versé le sang de plusieurs milliers de citoyens, pour aider la cour de Vienne dans l'absurde guerre de 7 ans, qui, entreprise par nous sans aucun objet utile, a coûté à la France tous ses établissements dans l'Amérique et l'a couverte d'ignominie. Vous vous rappelez que, dégradée par ce traité au rang des puissances secondaires, devenue l'exécutrice complaisante et forcée des résolutions du cabinet de Vienne, la France a vu tranquillement s'effectuer le démembrement de la Pologne et l'invasion de la Bavière. Vous vous rappelez que, depuis la Révolution, la cour de Vienne, loin de payer la nation française d'un juste retour, loin d'employer ses bons offices et ses troupes pour faire cesser les rassemblements des émigrants, et les conspirations contre sa liberté, a protégé, au contraire, et ces rassemblements et ces complots. Il en résulte que la cour de Vienne a violé constamment le traité de 1756 depuis le commencement de notre Révolution.

Et dès lors, par quelle extravagance les respecterions-nous? par quel excès de démence voudrions-nous maintenir un traité où les intérêts de la France ont été immolés par un ministre corrompu à l'intérêt de la maison d'Autriche; où la France fait des sacrifices immenses, et ne reçoit rien en compensation; où elle s'engage dans une réciprocité de défense, lorsque la nature des choses rend l'attaque de ses Etats presqu'impossible et la défense très facile, tandis qu'au contraire l'attaque de l'Autriche est très facile, et la défense très difficile ? Comment nous obstinerions-nous à maintenir un traité qui prive la France de ses alliances les plus naturelles; qui lui a òté la confiance dans l'Empire, sa prépondérance en Allemagne, pour la transporter dans la maison de Prusse; qui lui ferme les canaux les plus avantageux de commerce; qui l'enveloppe dans des guerres continuelles et les plus absurdes; en un mot, qui met à la dévotion de la maison d'Autriche, ses trésors, et le sang de tous ses citoyens?

Non, Messieurs, un pareil traité ne peut se concilier avec les principes de la Constitution des Français. Elle leur défend impérieusement toute conquête; elle leur défend toute guerre offensive, à moins que leur propre sûreté ne l'exige. Ils ne peuvent donc plus former aucun traité offensif avec les nations. Je dis plus, et c'est un point important qui mérite d'être approfondi, je dis qu'ils n'en doivent pas contracter de défensif qui n'aurait pas, d'un côté, pour objet leur propre

sûreté, et qui, de l'autre, ne serait pas renfermé dans la stricte défense; car en suivant les rubriques de l'ancienne diplomatie, un traité défensif se tournait aisément en traité offensif. Il est si facile de se faire attaquer pour se plier aux termes du traité!

Les Français doivent être les frères de tous les hommes, de tous les peuples. Ils veulent être justes et bienveillants envers tous. Or, se lier exclusivement avec tel ou tel peuple, s'engager à défendre exclusivement tel ou tel peuple contre toute espèce d'attaque, c'est faire un traité d'inimitié éventuelle contre tel ou tel autre peuple; c'est par conséquent violer le principe de la fraternité universelle. (Applaudissements.)

La nature vient ici au secours des principes qui doivent diriger la France dans les nouveaux traités d'amitié qu'elle doit former avec les nations. La nature a gratifié la France des avantages qui peuvent assurer l'exercice de cette fraternité; car notre situation topographique et politique est telle, que nous avons peu à redouter les attaques extérieures, que nous pouvons aisément les repousser, et par conséquent nous ne ressentons pas un grand besoin de secours étrangers pour notre défense. Si nous ne pouvons pas, comme les Américains, nous affranchir entièrement du joug des alliances défensives, du moins pouvons-nous y mettre de telles conditions qu'elles ne blessent pas les principes. Depuis l'Océan jusqu'aux Alpes, la France est bordée par l'Empire et par l'empereur. L'Empire n'est qu'un fantôme; 'Autriche antérieure n'est pas redoutable; le Brabant libre se lierait naturellement à la France; ou s'il reste soumis à l'empereur, il sera plus inquiétant pour lui que pour ses voisins.

Quels sont nos autres voisins? Les Suisses, dont le gouvernement a besoin de la paix, dont le peuple aime la liberté et la France; le roi de Sardaigne, dont les moyens sont nuls, dont le peuple est français, à qui la nature permet l'entrée de la France, mais fui interdit une retraite sùre : l'Angleterre, que sa situation éloignera longtemps de toute guerre européenne, qui, quoique voisine de la France, ne peut frapper qu'au loin sur elle, et la force des choses accélère le moment où ce moyen mème lui sera enlevé; la Hollande, qui, rendue à la liberté, ne sera pas l'ennemie d'un peuple libre, qui, gémissant sous le despotisme, ne peut lui être redoutable; la Hollande où le stathouder est tout, où ce tout n'est rien; la Hollande où le stathouder n'est que le serviteur des puissances étrangères, et qu'un maître impuissant des citoyens peu soumis; l'Espagne enfin, que la nature a séparée de la France par des montagnes impénétrables, et dont la profonde détresse atteste l'impuissance.

Dans cette position à l'extérieur, défendue par des montagnes, par des mers, des forteresses, des armées nombreuses, mais ce qui vaut mieux, ce qui est inexpugnable, par des millions d'hommes, qui veulent la liberté, pourquoi la France n'élèverait-elle pas sa diplomatie à sa véritable hauteur? pourquoi ne rejetterait-elle pas dans le néant ces traités fabriqués par l'ignorance et par la corruption? Traités où les peuples ont été constamment sacrifiés aux intérêts de quelques individus; traités souvent aussitôt rompus que signés; traités, prétextes éternels de guerre, plutôt que le fondement de la paix? Pourquoi ne se bornerait-elle pas à un traité d'amitié, non seulement avec ses voisins, mais avec tout le genre humain? Pourquoi ne réduirait-elle pas la di- |

plomatie à ce qu'elle doit être désormais à la connaissance du commerce ou des rapports paisibles qui peuvent lier les nations?

En un mot, Messieurs, il faut ou déchirer notre Constitution, ou déchirer les traités qui la blessent. Or, le traité passé avec la cour de Vienne, en 1756, la blesse essentiellement; car vous ne pouvez plus promettre de sacrifier à l'empereur des milliers d'hommes pour satisfaire ses ressentiments ou ses caprices dans des guerres étrangères. Donc, puisque votre Constitution vous commande l'abandon de ce traité, vous ne pouvez plus, comme le conseille votre comité, en demander l'exécution à l'empereur; vous devez, au contraire, lui déclarer que votre Constitution vous force d'y renoncer. Là loyauté française vous dicte cette déclaration. Vous devez lui dire : « Les Français sont les frères de tous les hommes; ils ont juré de ne s'armer que pour leur propre défense; ils ne peuvent donc s'armer pour vos querelles personnelles; mais la nation française vous offre son amitié, sa fraternité; et tout ce que vous pouvez attendre d'un voisin bon, juste et loyal. Soyez juste avec nous, et nous ne troublerons jamais la paix de vos Etats. »

Je vous le demande, Messieurs, l'empereur aurait-il le droit de s'offenser d'un pareil langage? Doit-on craindre qu'il le porte à vous déclarer la guerre? Ce serait lui prêter une démence qu'il n'a pas. Mais fût-il assez aveugle pour se livrer à des ressentiments, votre résolution ne devrait pas varier; votre Constitution doit être sacrée pour vous; vous ne devez pas souffrir qu'une main étrangère touche à cette arche sainte; vous ne devez pas l'altérer, pour quelque crainte que ce soit, ou vous cesseriez bientôt d'être libres. Rome avait pour principe de ne jamais négocier avec son ennemi qu'il ne fût soumis : Rome dut à ce principe la grandeur. Vous devez la vôtre à votre attachement inébranlable pour votre indépendance, à votre courage pour attaquer vos ennemis qui voudraient l'entamer. C'est votre premier pas dans la carrière diplomatique, il doit être grand, assuré; il doit offrir une grande leçon aux princes qui seraient tentés d'imiter l'empereur. Il faut qu'il plie, ou si vous pliez vousmêmes, les outrages s'accumuleront sur vos têtes. Eh! pourriez-vous craindre, Messieurs, cette Autriche dont le peuple est déjà votre ami, si son gouvernement vous hait? Pouvez-vous craindre ce cabinet de Vienne que fit trembler Richelieu qui ne gouvernait que des esclaves; à qui Louis XIV enleva ses plus belles provinces; à qui le timide Fleury donna lui-même des lois? La France libre craindrait ce cabinet aujourd'hui divisé en deux partis qui trompent mutuellement l'empereur, le font tomber dans des contradictions perpétuelles; ce cabinet qui, joué par des intrigants avides, affectait d'abord une fausse fierté; qui, mieux éclairé par la situation des Pays-Bas, a déjà refusé aux électeurs les secours qu'il avait promis d'abord. Je vous le disais dernièrement, je n'ai qu'une crainte, c'est que nous n'ayons pas la guerre, et cette crainte se réalise, car dans tous les cabinets le désir de la guerre n'a été qu'un jeu pour vous épouvanter (Applaudissements); et si l'on pouvait sonder tous les replis de la diplomatie, vous découvririez peut-être l'intrigue honteuse, intrigue qu'a déjouée la marche loyale et franche de cette Assemblée et de la nation française.

Déjà je vois ces amis de la paix qui prêchaient vivement la guerre, changer de langage. La Hollande, disent-ils, la Prusse, la Russie vont se

déclarer pour l'empereur, si on l'attaque. Ils l'ont promis peut-être, mais leurs intérêts les empêcheront de réaliser ce traité. Ne vous ai-je pas prouvé qu'il était presque impossible entre des puissances dont les intérêts sont discordants? Mais voulez-vous rompre infailliblement la coalition de toutes ces puissances? rompez le traité de 1756. La rupture de ce traité vous est un sûr garant de la neutralité de la Prusse; elle lui assure le retour de son allié naturel pour la France.

L'Empire, en vous voyant rompre ce traité, espérera aussi de retrouver dans la France une utile protection. L'intérêt de l'Empire est de briser l'union monstrueuse qui existé entre l'empereur et la Prusse, qui menace d'écraser la ligue germanique, qui en a déjà effrayé les divers membres, si l'on en juge au moins par les lettres de l'empereur même et du roi de Prusse au corps germanique.

Aussi, Messieurs, ne doit-on pas douter que pour peu que nos négociateurs fussent habiles et éclairés, il ne fùt, en cas de guerre, très fa cile d'amener presque tous les électeurs à la neutralité; car presque tous doivent désirer l'abaissement de la maison d'Autriche. L'intérêt du stathouder est de conserver l'amitié de l'Angleterre; et l'Angleterre voit d'un très mauvais œil le traité que les Provinces-Unies ont passé avec l'empereur. Enfin, voulez-vous juger par un trait frappant de la versatilité des membres de cette coalition couronnée? Les deux puissances qui paraissaient les plus ardentes pour l'exécuter, pour fondre sur la France, la Russie et la Suède, se sont tout à coup refroidies: elles ont reçu la notification de notre Constitution. Sans doute, elles ont senti qu'il valait mieux porter leur attention sur les événements qui se préparent dans leur voisinage, que de s'engager dans une guerre lointaine et ridicule. Les trônes de Pologne et de Constantinople offrent une conquête plus facile que le trône de la France. C'est ainsi que la politique compliquée sur diverses cours de l'Europe les arrêtera toujours dans leur coalition contre la France.

On nous menace encore de l'Angleterre qui, dit-on, est garante de la constitution du Brabant, et dont le ministère a besoin de se populariser à nos dépens mais voulons-nous donc conquérir le Brabant? Notre Constitution nous le défend. Nous voulons forcer l'empereur, en attaquant le Brabant, de respecter notre Constitution, et une nation qui a juré de ne pas s'emparer d'un pouce de terrain sur ses voisins, peut-elle donner de l'inquiétude aux Anglais. Non, Messieurs, ce n'est pas en attaquant un peuple libre que le ministère anglais peut se populariser. Un pareil projet, dans les tristes circonstances où il se trouve, le précipiterait vers sa ruine. Il est passé ce temps où l'ardeur des conquêtes dans nos iles à sucre aurait pu tenter les Anglais, les exciter à profiter de nós embarras, et fermer les yeux à la justice. Le peuple anglais fait des vœux pour nos succès; ce seront un jour les siens; il le fait, il le voit dans l'avenir; et, Messieurs, si vos ministres des affaires étrangères avaient eu quelque connaissance du caractère anglais, de la révolution qu'il vient d'éprouver; s'ils n'avaient pas été dévoués à la maison d'Autriche, vous n'auriez pas à redouter aujourd'hui la coalition des puissances, ou la jonction de l'Angleterre, de l'empereur, du roi d'Espagne, de l'impératrice; ils auraient pu facilement opposer une union avec l'Angleterre, la Prusse et la Hollande. RappelezVous avec quelle facilité le régent forma l'union

avec l'Angleterre, lorsqu'il fut aussi menacé par l'Espagne, soulevée par un cardinal ambitieux.

Mais, dit-on, qu'avons-nous à offrir aux Anglais? Je ne dirai pas, comme on m'en a prêté l'intention pour me noircir, je ne dirai pas qu'il faut céder aux Anglais les îles de France et de Bourbon, parce que les Anglais n'ont déjà que trop de possessions territoriales à protéger; parce que ces possessions sont toujours de faibles garants de la paix et de l'union. Je veux leur offrir un gage plus solide; c'est leur intérêt personnel, c'est l'amitié d'un grand peuple et d'un peuple libre. Or, qu'est-ce qu'un peuple libre? C'est un peuple qui ne tracasse pas ses voisins, qui respecte leurs droits et les traités; qui ne fait pas de guerres injustes, qui ne soudoie point ses despotes pour asservir les sujets..... Avec l'amitié des Français libres, les Anglais n'auront plus à craindre de voir notre cabinet soudoyer le leur, soulever contre eux les puissances du Nord, payer des espions dans l'Inde pour exciter les Marattes et les princes indiens, les tracasser encore dans le continent américain, ou dans leurs iles à sucre. Et n'est-ce rien, Messieurs, pour les Anglais, n'est-ce rien que le bonheur d'être enfin délivrés de toutes ces tracasseries? C'était le système du cabinet de Versailles qui forçait l'Angleterre à entretenir une marine considérable pour protéger son commerce et ses possessions lointaines, une diplomatie ou un espionnage aussi dispendieux dans toutes les cours de l'Europe. La Révolution française, en renversant cet ancien régime, va dispenser l'Angleterre d'une partie de ses dépenses; et l'amitié des Français assurant aux Anglais la tranquillité de leur commerce, leur offrirait les gages les plus désirables pour un peuple commerçant; moins d'impôts et un commerce étendu et confiant..... Ah! Messieurs, comme il eût été, comme il sera facile d'aplanir, à cet égard, les difficultés qui naissent plutôt des préjugés que de raisons bien fondées! La nature des choses appelle la France et l'Angleterre à une alliance fraternelle et durable, parce qu'elle sera fondée non sur des convenances de famille, mais sur des principes éternels et sur des intérêts communs.

Je fais toutes les objections qu'on peut opposer à cette alliance politique et commerciale, les objections que l'on a opposées depuis le traité de paix de 1713; les objections que le judicieux Bolingbroke lui-même n'a pas rougi de répéter. Je sais que l'Angleterre elle-même témoigna une joie vive, lorsque son parlement s'opposa à la ratification de ce traité d'Utrecht qui unissait les deux nations par le commerce. Mais je sais aussi que les arguments tirés des époques où cette union a existé, ne sont plus applicables aux circonstances actuelles. Je sais que cette union est désirée par le commerce anglais, qui souffre autant que nous de la baisse de notre change, qui désire la fin de notre crise Encore une fois, que la France et l'Angleterre s'unissent, qu'elles s'unissent avec l'Amérique, et l'Amérique et la liberté comme la paix, couvriront bientôt toute la terre. (Applaudissements.)

Ce n'est pas ici, Messieurs, le moment de me livrer aux grands développements que ce sujet entraîne; mais, je dois le dire, c'est avoir trahi la France que d'avoir négligé et dédaigné cette alliance, que de l'avoir sacrifiée à des considérations personnelles pour une Maison dont l'union n'est qu'un présent funeste et dont l'inimitié est peu redoutable. (Applaudissements.) C'est encore avoir fait preuve d'incapacité, que de

י.

n'avoir pas saisi les circonstances qui pressent le cabinet anglais d'accepter cette union; il a de grands torts à expier aux yeux de la nation anglaise; et son pardon se trouvait dans une alfiance qui promet au commerce anglais une tranquillité, une durée qui peuvent seules réparer les calamités des préparatifs de guerre et de celle de l'Inde dans une alliance qui seule peut alléger le fardeau désormais insupportable des impôts.

Je ne nie pas, Messieurs, qu'il ne soit difficile à un peuple de se faire des alliés au milieu d'une révolution. Si les peuples pouvaient communiquer directement, la loyauté qui les inspire et feurs intérêts communs applaniraient bientôt tous les obstacles; mais les peuples sont livrés à des cabinets, dont les intérêts sont entièrement opposés, dont les intentions sont presque toujours perverses et la route tortueuse. Les cabinets attendent presque toujours que les révolutions soient consolidées pour s'engager. Cependant, Messieurs, la France aida l'Amérique au milieu même de ses défaites; et telle est actuellement la balance politique de l'Europe, qu'il suffira que la France soit attaquée, pour trouver des alliés.

Le secret des alliances est dans la force; déployez donc la vôtre et vous ne manquerez pas d'alliés; montrez de la faiblesse et vous serez abandonnés. La force pourrait vous attirer la guerre, mais la faiblesse vous couvrirait d'ignominie. L'ignominie renferme tous les maux pour un peuple libre; la guerre n'en offre pas même un. Elle est, et je vous l'ai prouvé, un bienfait; elle renverse l'aristocratie qui la craint; elle déjoue le ministérialisme qui la traverse après avoir feint de la vouloir (Applaudissements); elle consomme la révolution; elle cimente notre indépendance; elle ramène le crédit et la prospérité, enfin elle rompt les fers qui vous attachent à la maison d'Autriche.

Et ne voyons-nous pas que l'Autriche ne ménage notre alliance que pour vous écraser par des subsides; qu'elle ne peut en obtenir qu'en continuant à diriger notre cabinet; qu'elle ne peut diriger notre cabinet, qu'en le rendant indépendant de la volonté du peuple et de ses représentants? Ainsi, Messieurs, c'est pour nous avoir esclaves qu'on veut nous avoir pour alliés. Ne voyez-vous pas que si notre cour veut conserver cette liaison, c'est pour avoir à sa dévotion des forces redoutables, c'est pour vous tenir sous la verge du despotisme et vous amener à ses fins par la terreur? Et pourquoi encore veut-on ménager aujourd'hui l'empereur? Parce qu'on est faible, parce qu'on aura un jour besoin de son bras pour vous asservir, parce qu'on veut lui donner le temps de rassembler des forces suffisantes. On demande la paix en janvier ne serait-ce pas pour avoir la guerre et vous faire battre en juin? Ne serait-ce pas là le secret de nos ennemis? Messieurs, le traité d'alliance avec l'Autriche a pensé nous coûter notre Révolution : son alliance pourrait peut-être un jour vous coûter votre Constitution. (Applaudissements reitérés.)

D'après ces différentes observations, je vous propose le projet de décret suivant :

Projet de décret.

« Art. 1. Le roi sera invité, par un message, à notifier à l'empereur, au nom de la nation française, qu'elle regarde le traité du 1er mai

1756 comme anéanti, et parce que l'empereur lui-même a violé ce traité, et parce qu'il est contraire aux principes de la Constitution française; à lui notifier en même temps que la nation française est disposée, si l'empereur lui donne satisfaction sur les griefs ci-après, à conserver avec lui la bonne intelligence, l'amitié, la fraternité qu'elle a juré de maintenir avec tous les peuples. « Art. 2. Le roi sera invité pareillement à notifier à l'empereur, au nom de la nation française, qu'elle regarde comme actes d'hostilité: 1° son refus d'interposer ses bons offices et d'avoir employé la force pour dissiper les rassemblements dans les électorats; 2° la protection et promesse du secours qu'il a faite aux électeurs en cas d'attaque de la France; 3° son adhésion aux divers traités qu'il a conclus pour opérer un concert avec les puissances européennes contre la nation française; à lui notifier en conséquence que les mesures militaires les plus promptes vont être prises pour agir offensivement, à moins que l'empereur ne donne, avant le 10 février, une telle satisfaction pour ces actes d'hostilité, que toutes les inquiétudes de la nation française soient entièrement dissipées. (Applaudissements.)

« Art. 3. Enfin le roi sera invité à donner les ordres les plus précis pour que les troupes soient prêtes à entrer en campagne dans le plus bref délai possible. » (Applaudissements.)

Plusieurs membres demandent l'impression et la distribution du discours et du projet de décret de M. Brissot de Warville.

(L'Assemblée décrète l'impression et la distribution du discours et du projet de décret de M. Brissot de Warville, et ajourne la suite de la discussion à demain.)

(La séance est levée à quatre heures un quart.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du mardi 17 janvier 1792, au soir PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, ex-président.

La séance est ouverte à six heures du soir. M. Dorizy, secrétaire, donne lecture des lettres et pétitions suivantes :

1° Lettre de M. Bertrand, ministre de la marine, qui fait part à l'Assemblée des réclamations du sieur Lamonde, chef des classes au Havre, et du sieur Logier, ci-devant capitaine de frégate breveté, qui désirent rentrer en activité.

(L'Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité de marine.

2o Lettre de MM. Garran-de-Coulon et Pellicot, grands-procurateurs de la nation, par laquelle ils annoncent leur arrivée à Orléans (Applaudissements.) et demandent que l'archiviste et les divers comités soient autorisés à leur envoyer toutes les pièces qui ont servi de base aux divers décrets d'accusation portés par l'Assemblée et dont ils n'ont pas voulu se charger à cause des dangers de la route.

M. Goujon. Messieurs, l'acte d'accusation contre les princes, celui contre M. Malvoisin et autres ne sont pas encore présentés. La liste des hauts-jurés n'est pas encore publiée, par la raison toute simple qu'elle n'est pas complète. Je

demande que le comité de division soit chargé de rendre compte demain de l'état des hautsjurés, et que le comité de législation fasse, aprèsdemain, le rapport des actes de plaintes relatifs aux diverses accusations.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Goujon.) M. Goujon. Je demande encore que le comité de législation fasse le rapport de la pétition des Delattre, qui a pour objet de faire rapporter le décret d'accusation porté contre Delattre père (1).

(L'Assemblée décrète la motion de M. Goujon.) M. Rougier-La-Bergerie. Je demande qu'en vertu du décret qui enjoint au bureau de faire passer les décrets aux ministres, il soit de même chargé de les faire passer aux grands-procurateurs.

M. Dorizy, secrétaire. Je demande que le comité des décrets soit obligé de faire le travail et que le bureau soit chargé de suivre la correspondance.

(L'Assemblée décrète que l'envoi des pièces aux grands-procurateurs de la nation sera fait par les secrétaires de l'Assemblée, sur la remise qui leur en sera faite par le comité des décrets.)

M. Dorizy, secrétaire, continuant la lecture des lettres et pétitions :

3o Pétition du supérieur et des professeurs du collège et du séminaire de Caen pour se plaindre de ce que, au mépris des décrets de l'Assemblée constituante, les administrateurs du département ont aliéné les biens-fonds dépendant de leur maison. Ils ont déjà porté leurs plaintes au pouvoir exécutif, quí a ordonné aux administrateurs de révoquer les aliénations déjà faites; mais les administrateurs n'ont pas plus obéi à ces ordres qu'aux décrets de l'Assemblée constituante, dont les directeurs du collège réclament, de l'autorité de l'Assemblée, la prompte exécution.

Plusieurs membres: Le renvoi au comité de l'extraordinaire des finances !

M. Fauchet. Je ne m'oppose pas au renvoi ; mais l'Assemblée verra que l'aliénation de ces biens a été légalement faite, et cela pourra la convaincre de l'absolue nécessité de statuer enfin sur le sort des congrégations. Je demande que le comité des domaines fasse incessamment son rapport à ce sujet.

M. Basire. Ce mot incessamment ne signifie rien du tout. Il faut ajourner le rapport à jour fixe, ou bien on l'éludera toujours.

M. le Président. Eh bien, Monsieur, fixez le jour.

M. Basire. Jeudi.

Un membre: Je demande que le comité des domaines nous présente en même temps le rapport sur l'aliénation des biens des ordres de Malte et de Saint-Lazare.

Un membre: Puisqu'il s'agit de prononcer sur les congrégations, dont la plupart étaient chargées de l'éducation de la jeunesse, il est nécessaire qu'avant de les supprimer, vous entendiez le rapport que votre comité de l'instruction est prêt à vous faire sur l'éducation publique. Je demande que ces deux comités se concertent au sujet des congrégations.

(1) Voy. Archives parlementaires, 1oa série, t. XXXVI, séance du 25 décembre 1791, page 376, la pétition dé

Delattre fils.

(L'Assemblée renvoie au comité de l'extraordinaire des finances la réclamation du séminaire de Caen et ajourne à jeudi soir le rapport à faire par les comités réunis des domaines et de l'instruction publique sur la suppression des congrégations séculières et autres biens des ci-devant religieux, réservés par les précédents décrets.)

M. Dorizy, secrétaire, donne lecture d'une lettre de M. Amelot, commissaire du roi près la caisse de l'extraordinaire; elle est ainsi conçue :

« Monsieur le Président,

« J'ai l'honneur de vous adresser l'état approximatif des domaines nationaux vendus et à vendre jusqu'au 30 décembre dernier en 33 districts, dont les états me sont parvenus le 10 de ce mois. Ils montent à 80,059,201 livres et font, avec 1.849.765.363 livres pour 449 districts compris dans le premier relevé, 1.929,824, 564 livres. « J'ai eu l'honneur de vous prévenir lundi dernier que je mettrais, le 16, sous les yeux de l'Assemblée, la liste nominative des districts dont les états ne me seraient pas parvenus à cette époque, je la joins ici: 97 districts sont en retard pour l'envoi de leurs états. Plusieurs n'ont même pas répondu aux circulaires qui leur ont été adressées.

« Je suis avec respect, etc.

Signé AMELOT. »

Plusieurs membres : Lisez la liste !

M. Dorizy, secrétaire. La voici. (Il la lit.)

M. Basire. Il faudrait décréter une époque à laquelle les districts qui n'auront pas envoyé leur état seront exposés à voir des commissaires aller chez eux, à leurs frais. Je demande que l'Assemblée charge son comité de l'extraordinaire des finances de présenter un projet de décret pour obliger les districts en retard à compléter le tableau approximatif de tous les domaines nationaux vendus et à vendre.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Basire.) M. Bréard. Je suis chargé par le comité de législation de faire le rapport sur l'affaire d'Avignon. Je m'occupe sans interruption de ce travail. Mais je préviens l'Assemblée que, comme il m'a été remis ce matin des pièces importantes et qu'il sera intéressant de mettre sous ses yeux, il m'est impossible, quelque diligence que je fasse, quelque zèle que j'apporte, de vous présenter mon travail avant samedi, soit le matin, soit le soir. Je prie donc l'Assemblée de l'ajourner à l'une de ces deux séances.

(L'Assemblée ajourne à samedi matin le rapport des comités de surveillance et des pétitions réunis, sur l'affaire d'Avignon.)

Un membre, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret sur l'élection du procureur-syndic du district de Poitiers; il s'exprime ainsi :

Messieurs, il s'est élevé, dans le département de la Vienne, une discussion dont je vais vous rendre compte. Les électeurs du département ont nommé président du tribunal criminel M. Thibaudeau, procureur-syndic du district de Poitiers. Sur l'assertion de M. Thibaudeau qu'il acceptait cette place, les électeurs du district de Poitiers ont nommé depuis à la place de procureur syndic M. Moreau. M. Thibeaudeau a réclamé. Votre comité n'a pas cru que cette ré

« PreviousContinue »