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De là, il résulte que tous les jugements du tribunal de cassation, rendus en matière civile entre parties, ou même en matière criminelle où il y a partie civile, lorsqu'aucune de ces parties ne veut ou ne peut payer ni le droit d'enregistrement, ni le coût de l'expédition demandée par le commissaire du roi, ce qui est très fréquent, ne sont ni imprimés ni enregistrés sur le registre du tribunal dont la décision a été cassée, malgré la disposition formelle de l'article ci-dessus, et, conséquemment, que ces jugements restent presque toujours sans exécution.

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Le commissaire du roi près le tribunal de cassation se trouve également dans l'impossibilité d'obtenir des greffiers des tribunaux les expéditions demandées par ce tribunal dans les affaires civiles entre parties, ou dans les affaires criminelles où il y a eu partie civile, parce que dans ces cas le ministre des contributions publiques ne se croit pas suffisamment autorisé à ordonner l'avance, par le domaine, des expéditions en question, ni leur enregistrement pour mémoire, sauf à répéter, ce qui, dans beaucoup d'occasions importantes, entrave les opérations de ce tribunal, et même empêche qu'il ne soit procédé au jugement de beaucoup de demandes en cassation, surtout en matières criminelles.

Il est, en conséquence, extrêmement urgent d'autoriser spécialement l'administration des domaines à enregistrer, pour mémoire, sauf à répéter contre les parties qui en sont tenues, toutes les expéditions que le commissaire du roi est autorisé, par la loi ou par les jugements du tribunal de cassation, à demander, soit au greffier de ce tribunal, soit aux greffiers de tous autres tribunaux, comme aussi d'autoriser pareillement l'administration des domaines à faire l'avance, sauf à répéter contre qui il appartiendra, du coût des mêmes expéditions, et ce, sur les exécutoires desdits tribunaux, visés dans la forme prescrite pour les frais des procédures criminelles à la charge du domaine, ou bien suivant un tarif particulier qui serait fait par l'Assemblée nationale.

Il importe également d'étendre ces dispositions aux expéditions requises par les commissaires du roi près les tribunaux, pour les dénonciations qu'ils sont dans le cas de faire au tribunal de cassation.

Ces mesures deviennent maintenant d'autant plus nécessaires et instantes, que, suivant la loi du 28 septembre dernier, article 3, ainsi que suivant celle sur les jurés, il doit être sursis à l'exécution des jugements en matière criminelle pendant les trois jours accordés à l'accusé pour déclarer s'il entend ou non se pourvoir en cassation; et ensuite, dans le cas où il aura déclaré vouloir se pourvoir, jusqu'à ce que le tribunal de cassation ait prononcé, ce qui multipliera ces sortes de demandes beaucoup plus qu'auparavant.

(L'Assemblée renvoie les observations du mi

nistre de la justice au comité de l'ordinaire des finances.)

M. Duport, ministre de la justice. Il est encore une mesure très prompte à prendre; c'est la formation d'un bureau auprès du commissaire du roi du tribunal de cassation. Il serait peut-être inutile de développer à l'Assemblée toutes les raisons qui portent à croire qu'il est impossible que le commissaire du roi et que le tribunal de cassation puissent remplir leurs fonctions sans l'existence de ce bureau. Si l'Assemblée nationale veut renvoyer à son comité de législation, je lui ferai parvenir un mémoire qui établira complètement cette hypothèse que de la non-existence de ce bureau résulte un grand inconvénient dans le travail.

(L'Assemblée renvoie la demande du ministre de la justice au comité de législation.)

M. Duport, ministre de la justice. L'interprétation du décret concernant l'inéligibilité des ecclésiastiques aux places des juges, a fait naître une difficulté qu'il est bon de soumettre à la décision de l'Assemblée nationale.

Sa Majesté, pour récompenser M. l'abbé Bertholio des services signalés qu'il n'avait cessé de rendre à la cause de la liberté, depuis les premiers jours de la Révolution, l'a nommé l'un des substituts de son commissaire près le tribunal de cassation. Ce tribunal a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de procéder à la réception de M. Bertholio, parce que la loi du 11 septembre 1790 exclut les ecclésiastiques des fonctions de juges, et que la loi du 1er novembre 1791 porte que pour exercer les fonctions de substitut du commissaire du roi près le tribunal de cassation, il faut les mêmes qualités que pour exercer celles de juge.

Je prie l'Assemblée de rendre un décret interprétatif sur le mot ecclésiastique. Sans doute, la loi a voulu seulement désigner, par ce terme, les ecclésiastiques fonctionnaires publics. Autrement il faudrait en conclure que dans un pays où la Constitution a sagement anéanti tous les ordres, où elle ne voit plus que des citoyens égaux, cette loi du 11 septembre a cependant fait des ecclésiastiques une caste particulière, une véritable corporation dans l'Etat.

D'ailleurs, comment le tribunal de cassation sait-il que M. Bertholio est prêtre puisqu'il n'en porte aucun signe caractéristique. Cet ecclésiastique, qui a servi avec constance et courage la Révolution, n'est pas fonctionnaire public. 11 vient même de refuser une place de vicaire général qui lui était offerte par M. l'évêque de Paris. Je prie donc l'Assemblée de déterminer le véritable sens de la loi et de ne pas donner à cette loi une trop grande latitude qui exclurait, d'une infinité de places, des citoyens précieux qui ont renoncé à leurs fonctions spirituelles et qui peuvent être infiniment utiles dans l'ordre social.

M. Delacroix. Il est inutile de présenter à l'Assemblée une proposition déjà rejetée; je demande l'ordre du jour.

Un membre: Il est extrêmement important de ne pas prononcer contre les prêtres des incompatibilités qui en feraient une caste particulière; ils ne doivent être considérés par la loi que dans l'ordre civil et n'être jamais distingués des autres citoyens. Je demande donc le renvoi de la proposition du ministre au comité de législation.

M. Duport, ministre de la justice. Je demande

à présenter une observation contre le passage à l'ordre du jour...

Un grand nombre de membres : Le renvoi au comité de législation !

(L'Assemblée renvoie les observations du ministre de la justice au comité de législation.)

M. Duport, ministre de la justice. Tout le monde se rappelle l'affaire du caporal Lebreton qui, étant de service au château des Tuileries, avait donné une fausse consigne, dont l'effet était d'attenter à la liberté du roi...

M. Thuriot. Monsieur le Président, cette affaire ne regarde pas l'Assemblée. (Murmures.) M. Duport, ministre de la justice. Si l'on veut m'entendre, on verra qu'elle regarde l'Assemblée.

Il y a quelque temps, un caporal de la garde nationale soldée, de service aux Tuileries, a donné une fausse consigne, portant défense de laisser sortir du palais le roi et la reine, passé neuf heures du soir. Ce délit a été dénoncé à l'accusateur public du premier tribunal criminel établi par la loi du 14 mars. Le caporal accusé a été poursuivi criminellement; mais, après ses interrogatoires, le commissaire du roi a requis qu'il en fût référé à l'Assemblée nationale sur les motifs 1° que ce délit, considéré comme délit militaire, ne pouvait être poursuivi que par une cour martiale; 2° que, considéré dans ses effets, il était attentatoire à la liberté du roi, et ne pouvait être jugé que par la haute cour nationale, sur un décret d'accusation porté par le Corps législatif.

Sur le réquisitoire du commissaire du roi, le tribunal a rendu un jugement conçu en ces ter

mes :

« Our le commissaire du roi en ses conclusions; our pareillement M. Salivet, conseil de l'accusé, et après s'être retiré en la chambre du conseil, et y avoir opiné sur délibéré, attendu :

« 1° Que le délit dont il s'agit, considéré dans son origine, c'est-à-dire dans la consigne qui a donné lieu à l'accusation, serait un délit purement militaire;

2° Que ce même délit, considéré dans ses effets, serait un attentat à la liberté du roi ; que, sous ce dernier point de vue, il attaquerait la représentation nationale et serait par conséquent un crime de lèse-nation;

« Que, sous ce double aspect, les tribunaux ordinaires ne peuvent en connaître, le tribunal se déclare incompétent; ordonne que le présent jugement, ensemble copie de toute la procédure, seront, par le commissaire du roi, incessamment remis au ministre de la justice, pour en être référé à l'Assemblée nationale.

«Fait et prononcé à l'audience publique dudit tribunal où siégeaient MM. Le Pelletier, Piot, Marquis, Poullin, Le Maître et d'Herbelot, le 21 décembre 1791.

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tion; mais aux termes mêmes du jugement, j'étais tenu d'en référer à l'Assemblée. Il est donc nécessaire qu'elle décide quel parti doit prendre le ministre de la justice: Doit-il dénoncer le ju. gement au commissaire du roi près le tribunal de cassation pour le faire casser et en saisir ensuite un autre tribunal?

Je crois, Messieurs, qu'il est d'autant plus instant de prononcer sur cet objet, qu'un délai ferait renaître le bruit que le roi n'est pas libre. Je prie l'Assemblée de s'en occuper incessam

ment.

Un membre: Le renvoi au comité de législation! (L'Assemblée renvoie la procédure au comité de législation.)

M. le Président. En vertu d'un décret que vous avez rendu mercredi dernier, l'ordre du jour appelle à la barre les commissaires de l'assemblée générale de Saint-Domingue.

Un membre: Messieurs, je demande la parole pour une motion d'ordre. L'article 8 de la loi du 2 octobre 1791, relative à l'organisation des bureaux des ministres, porte qu'il sera donné chaque année, par les ministres, un état imprimé contenant le détail des bureaux, les noms, fonctions, traitement des commis, etc...

Personne n'ignore que les bureaux des ministres sont en général très mal composés et que plusieurs abus sont commis par les préposés du pouvoir exécutif qui, il faut en convenir, ne peuvent pas entrer dans tous les détails. Le ministre de la marine vient de faire une réforme dans les siens, et il a eu l'adresse de se débarrasser d'un ancien commis patriote qui avait eu le courage de dénoncer des abus ministériels et que l'Assemblée constituante avait mis sous la sauvegarde de la loi. Une vengeance aussi méthodique, aussi réfléchie, ne m'étonne point du tout de la part d'un ministre. Le silence de la loi, qui n'a pas prévu le cas qui se présente, sera pour lui un brevet d'impunité, et je me contenterai, pour cet objet, de le dénoncer au tribunal de l'opinion publique qui saura lui rendre la justice qui lui est due.

Mais, Messieurs, le ministre a opéré dans les bureaux d'autres changements. Il a, par exemple, supprimé le bureau des fonds, tandis que l'Assemblée constituante en avait décrété la conservation. Il a, sous d'autres dénominations, recréé l'administration et le conseil de la marine qui avaient été supprimés par la même Assemblée. Je demande que les ministres soient tenus d'exécuter la loi du 2 octobre et de rendre, sous quinzaine, le compte auquel elle les astreint.

Un membre: Il y a une loi, il n'y a pas besoin de décret. Je demande qu'on passe à l'ordre du jour. (Non! non!)

M. Ducos. S'il s'agissait de faire une loi nouvelle, on aurait raison de demander l'ordre du jour; mais il s'agit de l'inexécution de la loi; et si on passait à l'ordre du jour toutes les fois que les ministres négligent d'exécuter les lois, on n'aurait aucun moyen de répression contre eux. Je demande donc le renvoi au comité compétent de la motion très patriotique du préopinant.

Un membre: Le renvoi au comité de surveillance!

M. Albitte. Un renvoi n'est pas nécessaire, et je demande que l'on décrète sur-le-champ que les ministres seront tenus d'exécuter la loi et d'y obéir sous un délai quelconque.

M. Vergniaud. Je demande la parole... Voix diverses: L'ordre du jour! La discussion fermée!

Après quelques débats, l'Assemblée ferme la discussion, refuse la priorité au renvoi au comité et adopte le projet de décret suivant :

« L'Assemblée nationale décrète que les ministres rendront compte, sous quinze jours, de l'exécution de la loi du 2 octobre 1791, et chacun d'eux présentera, conformément à l'article 8, un état imprimé contenant le détail des bureaux, les noms, fonctions, traitements et appointements des chefs, sous-chefs, commis et employés ainsi que des frais de chaque bureau. »

M. le Président annonce que les commissaires de l'assemblée générale de Saint-Domingue, qui devaient être admis à la barre, ne sont pas présents, et donne lecture de la liste des objets qui sont à l'ordre du jour.

M. Gensonné demande la priorité pour le rapport du comité diplomatique sur l'office de l'empereur:

(L'Assemblée accorde la priorité à ce rapport.) M. Gensonné, au nom du comité diplomatique, obtient en conséquence la parole et fait le rapport suivant (1):

Messieurs, vous avez renvoyé à l'examen de votre comité diplomatique la note officielle que le prince de Kaunitz a communiquée à l'ambassadeur français à Vienne, et dont la notification vous a été faite, au nom du roi, par le ministre des affaires étrangères.

Les questions les plus importantes naissent de cet examen. Quelle est notre situation politique à l'égard de l'empereur? Qu'avons-nous à espérer ou à craindre des dispositions qu'il a manifestées? Pouvons-nous envisager comme des actes formels d'hostilité les démarches de la cour de Vienne, qui nous sont officiellement connues? Devons-nous accélérer, en attaquant, l'instant d'une rupture qu'on peut envisager comme prochaine, ou nous borner à exiger, dans le plus bref délai, des explications tellement claires et précises, qu'en les obtenant il ne nous reste plus le moindre sujet d'inquiétude, ou que leur refus ne laisse plus de prétexte pour éviter la guerre ?

C'est du succès de la détermination que vous allez prendre, c'est de l'issue des grands événements qui se préparent, que dépendra notre considération politique au dehors et l'affermissement de la liberté publique. Il est temps de donner à la nation française l'attitude qui lui convient auprès des puissances étrangères, de signaler notre indépendance, de déjouer cette politique ténébreuse qui tend sans cesse à donner à la Révolution une marche rétrograde, à soumettre notre gouvernement intérieur à l'influence de quelques princes étrangers et à subordonner la volonté générale d'un grand peuple à des lois qu'elle n'aurait point dictées; il est temps de faire cesser des sujets d'inquiétude qui entretiennent, dans un état habituel de fermentation, le levain de nos divisions intestines, et de donner à l'Europe entière une nouvelle preuve de l'énergie et du courage des Français.

Votre comité a pensé qu'il devait écarter de cette discussion tous les faits qui peuvent paraitre

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection des affaires du temps, Bf. in-8° 165, tome 149,

n° 7.

étrangers à la conduite particulière de la cour de Vienne. Les prétentions des princes possessionnés en Alsace, et l'appui que l'empereur leur donne, formeront l'objet d'un second rapport que votre comité se propose de vous faire très incessamment. La lenteur des formes auxquelles ce dernier objet peut être assujetti, et la différence des mesures qu'il peut entraîner, ont déterminé votre comité à l'envisager d'une manière isolée, et à séparer les autres objets qui devront vous occuper aujourd'hui.

Telle est votre situation politique à l'égard de l'empereur, qu'il semble que l'alliance qui nous unit à lui n'ait été formée que pour les intérêts particuliers de la maison d'Autriche. Depuis le traité de 1756, la France a continuellement prodigué ses trésors et ses soldats, soutenu une guerre désastreuse pendant 7 années, employé son crédit et l'influence qu'elle avait acquise dans la balance politique de l'Europe, pour élever la puissance autrichienne, l'enrichir par des subsides, et lui ménager les traités les plus avantageux. Non seulement elle a renoncé, en faveur de cette nouvelle alliance, à tous les rapports qu'elle avait si longtemps entretenus avec d'autres puissances, et qu'une politique plus éclairée lui eût fait conserver; mais telle a été sa fidélité à remplir ses engagements, qu'elle n'a pu être arrêtée dans les services qu'elle n'a cessé de rendre à l'Autriche, ni par l'aigreur que d'anciens démêlés auraient pu produire, ni par les prétentions souvent exagérées de cette maison, ni enfin par la crainte d'augmenter une puissance dont l'ambition pourrait devenir un jour un sujet d'inquiétude pour l'Europe entière.

Des procédés de cette nature devaient au moins assurer à la France un juste retour, lorsqu'elle aura à réclamer de l'Autriche les secours réciproques stipulés par un traité dont, depuis plus de 30 ans, elle a supporté seule tout le poids.

Cependant, Messieurs, quel garant l'empereur donne-t-il à la France de sa fidélité dans l'exécution de ce traité ? Quelles peuvent être, sur cet objet, vos espérances ou vos craintes? Quelle a été encore sa conduite à notre égard?

Nous ne remonterons point à une époque antérieure à la Révolution nous consentons à regarder les griefs plus anciens, comme une suite nécessaire de la corruption ou de l'impéritie de notre ministère; mais en nous fixant à cette dernière époque, nous croyons devoir rappeler votre attention, premièrement, sur la protection ouverte que l'empereur a accordée aux émigrés; secondement, sur cette réunion, ce concert de puissances préparé et formé à notre insu par l'empereur lui-même, dont l'existence est attestée par des actes authentiques avoués et publiés par la cour de Vienne, et dont le but est ouvertement dirigé contre la liberté française.

Lorsque les représentants de la nation fondèrent sa Constitution sur l'éternelle base de l'égalité des droits politiques; lorsque des hommes, assez aveugles pour préférer des préjugés à leur patrie, s'exilèrent de son sein, formèrent l'odieux projet d'y porter le fléau d'une guerre civile, et de redonner au peuple français les fers qu'il avait brisés; c'est dans les Etats de l'empereur, de l'allié de la France, que des citoyens rebelles, devenus ses plus cruels ennemis, ont obtenu une protection ouverte et déclarée.

C'est à Luxembourg que le traître Bouillé a trouvé un asile, après avoir inutilement tenté de débaucher une partie de l'armée française; c'est de Luxembourg qu'était écrite cette lettre, ou

plutôt ce manifeste où il menaçait la France des horreurs d'une invasion étrangère, où il osait annoncer qu'il dirigerait contre nous les forces des puissances voisines, sans que la cour de Vienne ait daigné le démentir! On vit alors se former de nombreux rassemblements de Français émigrés à Ath, à Binche et à Tournay.

Vainement voudrait-on distinguer, dans la conduite de l'empereur à notre égard, les faits qui ont précédé l'acceptation du roi, de ceux qui l'ont suivie cette distinction serait un nouvel outrage, et la souveraineté du peuple serait, par cela même, méconnue.

Vainement dirait-on que le gouvernement autrichien a rendu ensuite des ordonnances pour faire cesser ces rassemblements; ces témoignages purement ostensibles sont demeurés sans effets; les rassemblements ont continué; et les émigrés n'ont cessé de porter, dans les Etats de l'empereur, les caractères distinctifs de la rébellion, en arborant la cocarde blanche et un uniforme particulier. Et comme si cette prédilection pour la cause des émigrés n'était pas assez marquée, dans le même temps, des citoyens français n'ont pu, sans s'exposer à des insultes publiques, porter, sur le territoire autrichien les couleurs nationales.

Enfin, Messieurs, à l'époque du 14 décembre dernier, lorsque l'acceptation formelle du roi, reconnue et avouée par l'empereur lui-même, ne laisse plus de prétexte à des démarches équivoques, quelles sont les marques de bienveillance que l'empereur nous a données?

L'électeur de Trèves tolérait dans ses Etats des rassemblements de Français émigrés et tous les préparatifs d'une invasion prochaine sur votre invitation, l'empereur a été requis par le roi d'employer ses bons offices, et même son autorité comme chef de l'Empire, pour faire cesser les rassemblements qui s'étaient formés dans l'électorat de Trèves, et il a répondu à cette invitation, non pas, il est vrai, par un refus formel, mais par une inaction absolue.

Quelle a été ensuite la conduite de l'empereur, lorsque l'électeur de Trèves a réclamé son intervention sur la déclaration que le roi des Français lui a fait faire, qu'il le regardait comme ennemi, si les rassemblements n'étaient pas dissipés dans ses Etats au 15 janvier prochain?

Cette intervention de l'empereur contre nous, l'électeur de Trèves l'a obtenue à l'instant même où il l'a réclamée. Le général Bender a reçu l'ordre de protéger contre les Français le territoire de l'électeur de Trèves. Nulle explication n'a précédé cet ordre. L'empereur l'a notifié au roi des Français par un office rédigé dans les termes les moins ménagés.

A la vérité, il paraît certain, qu'à la même époque l'empereur écrivait à l'électeur de Trèves qu'il ne devait pas compter sur ce secours; mais cette contradiction donne à sa conduite à notre égard un caractère plus injurieux. Il était impossible que l'empereur annonçât, d'une manière plus formelle à toute l'Europe, l'incroyable ascendant qu'il veut prendre sur le gouvernement français, le peu d'importance qu'il attache à ses dispositions, la frayeur qu'il croit lui inspirer, l'état de subordination absolue auquel il s'efforcé de le réduire.

Mais quelque décisives que soient les preuves de l'attachement du cabinet de Vienne à la cause des émigrés, les alliances qu'il a contractées à notre insu, cette réunion, ce concert qui s'est formé par ses soins entre les principales puis

sances, présentent des considérations plus importantes, que nous devons nous hâter de développer.

Dans le traité passé entre l'empereur et le roi de Prusse, le 25 juillet 1791, traité dont on n'a donné aucune connaissance au gouvernement français, il est dit, en termes formels, que les deux cours s'emploieront et s'entendront pour effectuer incessamment le concert auquel l'empereur vient d'inviter les principales puissances de l'Europe sur les affaires de la France, et qu'elles se prêteront de plus, à leur réquisition respective, secours et assistance réciproques, en cas que l'un ou l'autre de leurs Etats fùt menacé de troubles.

Ce concert arrêté primitivement à Padoue, renouvelé à Pilnitz, est encore consacré de nouveau par une circulaire de l'empereur aux différentes cours de l'Europe, dont la date est postérieure à la notification de l'acceptation du roi, mais il invite les Etats, auxquels cette circulaire est adressée, à toujours laisser subsister le concert pris préalablement entre lesdites puissances, pour prévenir d'autres mouvements et entreprises préjudiciables à la dignité du roi.

Dans sa réponse à la notification de la Constitution française acceptée par le roi, l'empereur déclare qu'il ne renonce point à ce concert. En exprimant le désir qu'il a que la résolution du roi des Français réponde à ses vœux pour la félicité publique, il ajoute qu'il désire aussi que les causes qui sont communes aux rois et aux princes, et qui, par ce qui s'est passé dernièrement, ont donné lieu à de funestes augures, cessent pour l'avenir, et que l'on prévienne la nécessité de prendre des précautions sérieuses contre leur

retour.

Enfin, Messieurs, dans le note officielle, remise le 21 décembre dernier, à l'ambassadeur de France par le chancelier prince de Kaunitz, l'empereur, après avoir annoncé l'ordre donné au général Bender, déclare qu'il est trop sincèrement attaché au roi, et prend trop de part au bien-être de la France et au repos général, pour ne pas désirer vivement d'éloigner cette extrémité, et les suites infaillibles qu'elle entraînerait, tant de la part du chef et des Etats de l'Empire, que de la part des autres souverains réunis en concert pour le maintien de la tranquillité publique, et pour la sûreté et l'honneur des Couronnes; et c'est, ajoute-t-on, par un effet de ce désir, que le prince de Kaunitz est chargé de s'en ouvrir, sans rien dissimuler, avec l'ambassadeur de France.

Ainsi, Messieurs, il ne peut pas être douteux, en premier lieu, que l'Empereur n'ait violé lé traité de 1756, en contractant, à notre insu, un traité avec la Prusse. Il l'est encore moins qu'il n'ait été l'auteur de cette réunion, de ce concert actuellement existant entre les principales puissance de l'Europe, et dont, d'après les termes du traité avec le roi de Prusse, les affaires de la France sont le principal objet.

Si l'on rapproche ensuite de ces faits incontestables la protection que les émigrés ont obtenue, l'intervention accordée à l'électeur de Trèves contre nous, et ce cordon de troupes impériales qui s'est insensiblement formé sur nos frontières, comment pourrait-on douter que l'empereur n'ait déjà renoncé à notre alliance?

Quelles peuvent être ses vues? Quel est le but de cette politique tortueuse, embarrassée, qui, changeant tout à coup les rapports extérieurs de la maison d'Autriche, ne lui prépare que des chan

ces désavantageuses; de ce système qui, réunissant, par des nœuds éphémères et mal assortis, des intérêts inconciliables, tend à diriger des ressorts qui ne peuvent agir qu'en sens contraire, que l'empereur ne pourra jamais maîtriser, et que le hasard des événements peut bientôt tourner contre lui-même?

L'empereur a-t-il donc quelque intérêt à favoriser la cause des émigrés? Comment n'auraitil pas calculé les difficultés insurmontables que présente le projet de reconquérir la France au despotisme? Comment n'aurait-il pas prévu que, quand bien même le succès serait possible, l'épuisement des deux Empires, qui en deviendrait la suite infaillible, le livrerait lui-même à l'ambition de ses rivaux, et à la discrétion de ses ennemis.

Il est plus probable que ce concert des principales puissances de l'Europe, que l'empereur a formée et qu'il se flatte de diriger à son gré, n'a d'autre but que d'effrayer la France par l'appareil des forces qui se réunissent contre elle, que de dominer tous ses mouvements, que de river encore les fers qui l'enchaînent à l'Autriche, et d'amener insensiblement l'adoption d'un congrès, qui modifierait les bases de la Constitution française, qui renverserait le principe de l'égalité des droits, sur lequel elles reposent, et donnerait au Trône.une autorité presque absolue.

Telle est, Messieurs, le projet auquel se sont ralliés la majeure partie des ennemis de la Constitution française. Formé peut-être dans le sein. de la France, des correspondances secrètes et la possibilité de lui ménager des partisans au milieu de nous, en ont inspiré l'idée, et ont entretenu l'espoir de le faire adopter.

:

Nous n'avons point, sans doute, à en redouter l'événement après avoir conquis leur liberté, les Français ne consentiront point à subir le joug d'une domination étrangère; une nation de 24 millions d'hommes libres, qui ne veut que sa liberté, et qui la veut tout entière, ne s'avilira pas au point de soumettre sa souveraineté à des arbitres. Ce n'est pas au moment où le ferment de la Révolution agite encore toutes nos têtes, où le feu sacré de la liberté embrase encore tous nos cœurs, que les Français se livreront à un sommeil léthargique, qui ne leur laisserait à leur réveil d'autre alternative que l'esclavage ou la mort.

C'est à vous, Messieurs, que le peuple a investis du droit de parler en son nom, à qui il a confié la surveillance de ses plus chers intérêts, d'éclairer l'opinion publique sur les dangers qui nous entourent; c'est à vous qu'il appartient de faire connaître au peuple ses véritables ennemis. Ils seront vaincus à l'instant même où vous les aurez démasqués.

Sur la notification que le roi vous a fait faire de l'office de l'empereur, la Constitution vous appelle au droit de concerter avec lui les mesures ultérieures que les circonstances peuvent exiger. C'est donc à vous d'examiner si les démarches de l'empereur ne doivent pas être envisagées comme des actes d'hostilité, et si l'intérêt national ne commande pas une guerre, qui, après une agression aussi formelle, ne pourrait être envisagée comme offensive.

Telle est notre situation actuelle, que l'éloignement de la guerre, de ce fléau que, dans le cours ordinaire des choses, l'humanité ne peut envisager sans frémir, serait aujourd'hui pour la France une véritable calamité. Cette crise

salutaire élèvera le peuple français à la hauteur de sa destinée, rappellera sa première énergie, affermira le crédit public, et étouffera les germes de nos divisions intestines. Ah! sans doute, ils étaient loin de la prévoir, les premiers agents de cette politique ténébreuse qui en a insensiblement amené la nécessité; et c'est ainsi qu'un génie bienfaisant semble tourner en faveur de la Constitution, tous les efforts qu'on fait pour la détruire (Applaudissements.) et que les digues impuissantes qu'on oppose sans cesse au torrent de la liberté, ne fait qu'accroître l'activité de son cours et en redouter la violence.

Une utile expérience indique à la France les mesures qui conviennent à sa sûreté Dans une situation semblable, un roi dont les talents peuvent seuls servir d'excuse au despotisme, Frédéric le Grand, ne surmonta les efforts de la ligue, que la cour de Vienne avait formée contre lui, qu'en allant au devant de ses coups. Il ne connaissait pas, par des actes publics et authentiques, la coalition qui le menaçait; et une invasion prompte et soudaine assura sur sa tête une couronne que le moindre délai aurait pu lui ravir. (Applaudissements.)

Votre comité vous propose d'accélérer, autant qu'il sera possible, les préparatifs pour la guerre, et d'inviter le roi à demander à l'empereur les explications les plus claires et les plus décisives, sur ses dispositions à l'égard de la France. Il faut exiger des réponses telles, qu'il ne puisse vous rester le moindre sujet d'inquiétude, ou que l'Europe, assurée des mesures hostiles qui se préparent contre vous, soit convaincue de la nécessité où est la France de les prévenir.

La réponse que le roi a faite à l'office de l'empereur, et qu'il vous a communiquée, a paru à votre comité convenir à la dignité nationale. Vous devez applaudir à la fermeté qu'il a montrée, et lui porter, par un message, l'expression de la reconnaissance publique; mais vous devez aussi le prémunir contre les suggestions perfides, et les fausses considérations dont il serait possible que les ennemis de la patrie cherchassent encore à l'entourer.

Dites-lui que ceux-là le trompent, qui chercheraient à lui faire envisager le congrès des puissances étrangères comme un moyen de donner une nouvelle influence à l'autorité que sa nation lui a déléguée; que l'exécution de ce projet serait, pour le peuple français et pour son roi, le dernier degré de l'avilissement et de la honte (Applaudissements.); qu'il ne tendrait qu'à rendre le royaume tributaire des puissances qui lui offrent leurs secours, qu'à le dégrader luimême par la plus humiliante subordination, et à le rendre, en quelque sorte, le vice-roi d'une province des Etats autrichiens. (Applaudissements.)

Dites-lui que la guerre est utile, qu'elle est nécessaire, que l'opinion publique la provoque, et que le salut du peuple en impose la loi (Oui! oui! Bravo! Vifs applaudissements.)

Dites-lui enfin, que la nation française ne désire que de resserrer les nœuds qui l'attachent à lui; qu'il lui doit le sacrifice de tout ménagement, de toute considération étrangère au salut de la patrie; que l'Europe entière l'observe; que la nation attend de son roi une conduite ferme, franche et loyale, et que la confiance et l'amour de tous les Français seront toujours à ce prix. (Applaudissements.)

Votre comité diplomatique me charge de vous proposer le décret suivant :

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