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celui qui est fait par la partie publique contre l'accusé. Il me semble qu'il doit être supprimé, parce qu'on a senti que la jurisprudence criminelle doit procurer à l'accusé toutes les faveurs qui sont compatibles avec la justice, et que l'on doit se souvenir que si l'on a quelquefois des coupables à condamner, on peut aussi avoir des innocents à absoudre.

M. Saladin. Messieurs, deux principaux motifs vous ont été présentés en faveur de l'article du comité, et je n'entreprendrai point de les développer de nouveau. Je me bornerai, après vous les avoir rappelés, à y ajouter 3 autres motifs puisés dans la loi sur les jurés.

On vous a dit: 1° qu'il serait non seulement inconvenant, mais contraire à toutes les règles, à tous les principes, d'amalgamer deux formes de procéder aussi disparates, aussi opposées l'une à l'autre, que celle admise par les tribunaux existants aujourd'hui, et celle qui doit être observée par les nouveaux tribunaux criminels; et c'est ce qui arriverait, si vous soumettiez aux nouveaux tribunaux les procès criminels commencés suivant l'ancienne forme, dans quelque état que fût l'instruction de ces procès.

J'ai annoncé, Messieurs, que je ne développerai pas l'incohérence de ces deux formes et l'impossibilité de faire servir au jugement par juré, tout ou partie de l'instruction prescrite par nos anciennes lois; ces idées sont trop simples pour n'être pas facilement saisies et pour leur assurer toute la consistance qui leur est nécessaire. Je me contenterai d'invoquer une autorité sinon irréfragable, au moins bien imposante, celle de M. Duport, parlant au nom des comités de Constitution et de jurisprudence criminelle, dans son rapport qui a précédé la loi sur les jurés :

« Dès les premiers moments de leur travail sur cet objet important, vos comités ont senti que cette institution nouvelle ne pouvait s'accorder en rien avec nos ordonnances et notre forme actuelle d'instruction; il leur a paru nécessaire de tout refondre pour pouvoir former un système où tout fût d'accord. »

Et ce sont cependant ces formes que l'on veut concilier, lorsque la loi vous a dit impérieusement qu'il était impossible qu'elles le fussent, et, contre le vœu de la loi, on veut, à un système où tout doit être d'accord, substituer un système composé de parties incohérentes, et en faire la base d'un jugement qui enlèvera à un citoyen l'honneur ou même la vie.

Je ne sais si je m'abuse, Messieurs, mais il me semble que nous sommes encore bien éloignés des principes qui ont servi d'éléments à la sublime institution des jurés, puisqu'il faut que nous soyons condamnés à repousser sérieusement une erreur qui, si elle était admise, détruirait infailliblement l'institution elle-même.

On vous a dit, en second lieu, Messieurs, que le moyen bien certain de paralyser, dès leur naissance, les nouveaux tribunaux, était de les accabler de la masse énorme des procès existants. Je ne me bornerai pas à vous citer pour exemple, la capitale, où 6 tribunaux composés de juges instruits et laborieux, se sont vus réduits à l'impossibilité de cumuler tout à la fois et la connaissance des affaires civiles et l'instruction des procès criminels; où 6 autres tribunaux, plus nombreux que les premiers et voués uniquement aux fonctions de l'instruction criminelle, laisseraient au juré, c'est-à-dire à un seul tribunal,

1,200 procès au moins; j'irai jusque dans les départements où les affaires criminelles sont et moins nombreuses et moins accumulées; et en n'admettant que 100 affaires de cette nature, je vous demanderai s'il est prudent de les enlever aux différents tribunaux qui en sont chargés, pour les confier à un seul tribunal dont la marche sera, dans les premiers moments, nécessairement lente et timide, et que nous devons assurer, en écartant, loin de les multiplier, les entraves, les obstacles qui pourraient l'arrêter ou la retarder. Le sort de cette institution conservatrice de notre liberté, dépend, vous le savez, Messieurs, des premiers succès qu'elle obtiendra; gardons-nous donc de la compromettre trop légèrement; gardons-nous de nous arrêter trop complaisamment sur une idée qu'ont repoussée les premiers auteurs de la loi; et lorsque le silence de ces dispositions nous atteste qu'ils n'ont pas voulu unir ensemble les deux formes d'instruction, imitons leur prudence; adoptons des principes, dont la sagesse est si évidente.

Mais, vous ont dit les adversaires de l'opinion que je défends, c'est établir une différence entre des citoyens d'entre lesquels la nature n'en a mis aucune et entre lequels la loi n'en reconnaît

aucune.

C'est ici, Messieurs, une erreur facile à détruire. Les uns, j'en conviens, seront jugés suivant l'ancienne forme, les autres profiteront du bienfait de la loi nouvelle, mais cette différence tient essentiellement à la nature des choses, et aucune puissance ne peut la faire disparaître. Ainsi, l'accusé condamné hier, celui qui le sera demain et jusqu'à l'organisation absolue des nouveaux tribunaux, ont éprouvé cette injustice, si c'en est une, et personne n'a encore imaginé de la reprocher aux auteurs de la loi qui en ont différé l'exécution, quoique déjà, depuis longtemps, elle soit promulguée et que les mêmes motifs qu'on nous oppose aujourd'hui eussent dû håter cette exécution.

Mais, ajoute-t-on encore, l'intérêt de l'accusé ! Eh! Messieurs, aucun intérêt n'est et ne fut plus respectable à mes yeux. Condamné partout à réfléchir sur les vices nombreux de la procédure criminelle, je crois pouvoir assurer qu'en même temps que la loi s'oppose à ce que, dans un même procès, la nouvelle forme d'instruction puisse être entée sur la première, l'intérêt de l'accusé ne le sollicite même pas.

Et d'abord la loi s'y oppose.

Elle veut, et je vous supplie, Messieurs, de remarquer que ce n'est pas ici seulement la loi réglementaire, mais la Constitution elle-même; elle veut, dis-je, que le citoyen ne puisse être jugé que sur une accusation reçue par des jurés.

En matière criminelle, porte l'article 9 du chapitre III de l'Acte constitutionnel, un citoyen ne peut être jugé que sur une accusation reçue par des jurés.

Nul homme, porte l'article premier du titre V de la loi sur les jurés, ne peut être poursuivi devant le tribunal criminel et jugé que sur une accusation reçue par un juré composé de 8 citoyens.

Cette loi, dont la disposition est bien impérieuse, ne peut pas être exécutée partiellement : votre intention n'est pas, du moins je le présume, de la changer ou d'y apporter aucune modification.

Or, elle ne sera exécutée qu'autant que l'accusé qui sera soumis au jugement du tribunal criminel, aura préalablement subi l'épreuve du

juré d'accusation, autrement l'inexécution de la loi en un point aussi essentiel, expose l'accusé à l'arbitraire le plus opposé à l'esprit de notre Constitution.

En vain prétendrez-vous faire regarder l'instruction qui aura précédé et le décret prononcé contre l'accusé comme devant tenir lieu de la procédure prescrite devant le juré d'accusation?

Vous ne le pouvez sans violer encore la loi, sans substituer, à la forme qu'elle a introduite, une forme différente, une forme qu'elle réprouve. Et il sera toujours vrai de dire qu'il n'y aura pas eu d'accusation reçue par un juré; que conséquemment l'accusé ne pourra être poursuivi devant le tribunal criminel, ni jugé par ce tribunal.

Cette opinion ne pourrait avoir quelque apparence de fondement qu'autant que l'on anéantirait la procédure déjà faite pour la recommencer suivant la nouvelle forme.

Mais cet expédient serait la violation la plus monstrueuse de la loi, parce qu'une loi postérieure ne peut pas faire que ce qui a été légalement fait en vertu d'une loi antérieure et subsistante, ne soit pas fait ou soit nul.

Et ce raisonnement s'applique essentiellement à l'information qui, dans l'état actuel des choses, est une partie intégrante de la procédure, et tourne à la décharge de l'accusé, comme elle peut servir à le charger.

Or, dans l'état où nous nous trouverions, par la loi dont l'exécution est encore suspendue, les dépositions des témoins, reçues soit par l'officier de police, soit par le directeur du juré, sont bien remises au président du juré qui les communique à l'accusateur public; mais elles ne sont, entre leurs mains, que de simples renseignements, et jamais elles ne sont connues que des jurés et du public.

Et contre la disposition textuelle des lois qui ne sont pas encore abrogées, des actes auxquels elles ont imprimé le sceau de la régularité, deviendraient, par l'effet d'une loi postérieure, de simples renseignements, c'est-à-dire des chiffons inutiles à l'instruction et à une procédure qu'il faudrait recommencer comme s'il n'en eût pas existé.

Je m'arrête ici, et je ne crois pas que d'après ces motifs il soit possible d'admettre le premier amendement proposé par M. Ducastel. Je dis que la politique exige même pour la marche plus rapide du juré, que ce juré ne connaisse que des affaires qui surviendront à partir de son installation, de son organisation. Voilà, Messieurs, mes motifs j'en ajouterai un autre.

Nous ne pouvons nous dissimuler que dans le nombre des gens actuellement détenus dans les prisons des différents tribunaux, il n'y en ait beaucoup, qui n'auraient été justiciables que de la police correctionnelle, si elle eût été établie, lorsqu'ils ont été arrêtés. Votre comité a senti, comme moi, cette vérité et je lui ai proposé, pour le bien de l'humanité, de donner un effet rétroactif à la loi de la police correctionnelle. Il a adopté mon avis, parce qu'il est conforme aux principes et aux lois. Le rapport vous en sera présenté incessamment. Il en résultera que les tribunaux criminels actuellement existants seront débarrassés d'une grande partie des affaires qu'ils ont à juger ces affaires seront renvoyées à la police correctionnelle, et les coupables ne subiront qu'une légère peine.

Je persiste à demander que l'article de votre comité soit entièrement admis avec deux amen

dements proposés l'un par M. Ducastel, qui consiste à ce que les juges de district ne puissent prononcer d'autres peines que celles portées au Code pénal, et l'autre par M. Gohier, qui est la suppression de l'appel à minima; car il est affreux de penser que, quand les juges ont trouvé un accusé innocent, un seul homme, un accusateur public, puisse exiger qu'on reprenne encore la connaissance du délit. (Applaudissements.)

M. Couthon. J'appuie la suppression de l'appel à minimâ; car je crois qu'il est humain d'àbolir cette Constitution atroce. Je m'oppose au second amendement de M. Gobier qui a pour objet d'autoriser les accusés à faire valoir leurs faits justificatifs, parce que, comme l'a très bien dit M. Pastoret, il y a une loi relative à la formation provisoire de la procédure criminelle qui a une disposition expresse à cet égard. Quant au premier amendement proposé par M. Ducastel, et qui consiste à remplacer les mots « Les plaintes suivies d'informations >> par ceux-ci les plaintes suivies d'informations et décret, je l'appuie de toutes mes forces contre l'opinion de M. Saladin.

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Il faut, Messieurs, se bien pénétrer que l'institution du juré est une institution bienfaisante dont il faut se presser de faire jouir les citoyens. Or, Messieurs, vous ne parviendrez pas à ce but si vous autorisez les anciens tribunaux à retenir les procédures entamées devant eux, jusqu'à l'information. Il faut partir d'un principe: c'est que l'on ne connait véritablement l'accusation que du jour du décret. Jusqu'au moment du décret, tout ce qui a été fait, ne sera, et ne doit être pour les jurés, qu'un simple renseignement l'information mêine n'est pas un titre d'accusation. Aussi, jusqu'au moment de l'accusation, les choses sont absolument entières pour le juré.

Et pourquoi voudriez-vous priver un accusé de la facilité de faire décider par le juré qu'il n'y a pas lieu à son égard à accusation ? Et vous l'en priverez nécessairement, si vous laissez aux tribunaux de district la faculté de suivre l'instruction commencée par l'information. Il peut se faire que quoiqu'il y ait une information, le juré décide qu'il n'y a pas lieu à accusation; et alors vous dispensez l'accusé du règlement à l'extraordinaire, du récolement et de la confrontation; vous les dispensez souvent d'un jugement infamant; car si, dans le principe, il est déclaré qu'il n'y a pas lieu à accusation, il faut que les portes de la maison d'arrêt s'ouvrent et que ces hommes soient libres comme nous le sommes tous.

Je persiste donc à soutenir, conformément à l'opinion de M. Ducastel, que toutes les procédures sur lesquelles il y aura plainte et même information, mais dont les tribunaux n'auront pas été irrévocablement saisis par un décret, doivent être renvoyées au juré. Je conviens, Messieurs, qu'il y a un très-grand inconvénient, c'est celui de surcharger dans le principe un établissement qui peut-être en ira plus lentement; mais cet inconvénient ne doit pas l'emporter sur la protection que nous devons souvent à l'innocence accusée.

M. Richard. J'ai demandé la parole pour combattre l'amendement de M. Gohier, tendant à supprimer l'appel à minimâ. C'est pour avoir confondu deux choses bien différentes que M. Gohier a proposé cet amendement, et que

plusieurs opinants l'ont appuyé. Il existe une différence bien malheureuse et bien cruelle entre l'ancienne procédure et celle qui va la remplacer.

Par la première procédure les mêmes juges prononçaient indivisément sur le fait et sur le droit par la seconde, les jurés prononcent sur le fait, les juges appliquent la loi. Qu'est-ce que l'appel à minima? L'appel à minima dans la procédure n'est autre chose que la demande en cassation que le commissaire du roi est autorisé à requérir dans la seconde procédure. La demande en cassation n'a d'autre objet que de se pourvoir contre une fausse ou une mauvaise application de la loi. (Murmures.) Vous ne pouvez pas supprimer l'appel à minimâ, parce que vous confieriez à un trop petit nombre de juges le soin de venger la société, parce que vous exposeriez peut-être les prévenus à échapper, à raison du petit nombre d'individus qu'ils auraient à séduire. Il faut donc, Messieurs, conserver l'appel à minimâ.

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion et accorde la priorité à l'article du comité.)

M. le Président. Je mets d'abord aux voix l'amendement de M. Ducastel, accepté par le rapporteur, et qui consiste à remplacer les mots : «Les plaintes suivies d'informations » par ceuxci: « Les plaintes suivies d'informations et décret. » Plusieurs membres. La question préalable! (L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Ducastel.)

M. le Président. Je mets aux voix le premier amendement de M. Gohier, consistant à supprimer l'appel à minima de l'accusateur public contre les jugements rendus par les tribunaux de district.

M. Thuriot. L'amendement de M. Gohier porte sur un fait faux, car M. Gohier suppose que conformément à la loi du juré, lorsque le tribunal a prononcé, il n'y a plus de puissance qui puisse attaquer le jugement. Eh bien, c'est le contraire; car la loi donne expressément aux commissaires du roi la faculté d'attaquer, soit qu'on condamne soit qu'on absolve, de manière que M. Gohier le met dans une position contraire, selon qu'il se trouve devant un tribunal criminel ou devant un tribunal de district.

M. Couthon. Laissons le mot à minima de côté et disons positivement :

«L'accusateur public ne pourra pas se servir de la voie de l'appel contre les jugements rendus dans les tribunaux de district et auxquels les accusés auront acquiescé.

>>

(L'Assemblée adopte l'amendement de M. Couthon, ainsi rédigé.)

M. le Président. Je mets aux voix le second amendement de M. Gohier, qui est ainsi conçu : «L'article 14 du titre VII du décret du 16 septembre 1791, relatif à l'établissement des jurés, qui permet à l'accusé de faire entendre des témoins pour attester qu'il est homme d'honneur et de probité et d'une conduite irréprochable, sera déclaré commun aux accusés jugés dans les tribunaux de district, sauf aux juges à avoir tel égard que de raison à ce témoignage. »> (L'Assemblée rejette cet amendement.)

M. Ducastel. Messieurs, comme les peines portées par le Code pénal sont le résultat d'un juré et qu'il ne s'agira pas dans les tribunaux de district d'une instruction du juré, ces tribu

naux pourraient croire qu'ils doivent prononcer les anciennes peines et non pas les nouvelles. En conséquence, je propose de dire que cependant les juges de district ne pourront prononcer d'autres peines que celles indiquées au Code pénal.

(L'Assemblée adopte l'amendement de M. Ducastel.)

M. Delaporte. Vous venez d'abolir l'appel à minima, et je vais prouver que vous ne l'avez aboli qu'à moitié. Lorsqu'un jugement est rendu, les deux parties ont la faculté d'en appeler chacune en droit soi. Vous avez décrété que l'appel à minimâ n'aurait plus lieu toutes les fois qu'un accusé acquiescerait au jugement rendu. C'est très juste, mais il faut encore prévoir le cas où l'accusé n'acquiescerait point au jugement rendu, et en appellerait pour faire modérer la peine ou pour la faire supprimer. Il faut que, même dans ce cas, l'accusateur public ne puisse intervenir, sans quoi l'appel à minima serait anéanti d'un côté et existerait encore de l'autre.

Un membre: J'ajoute à ce qu'a dit le préopinant que, lorsqu'il y aura appel par un accusé, le tribunal d'appel ne puisse prononcer une peine plus forte que la première.

M. Ducastel. Il me semble qu'il serait plus simple de dire que, dans aucun cas, l'appel à minima de l'accusateur public ne sera reçu.

M. Lecointe-Puyraveau. Vous cherchez, dans ce moment, à décharger, autant que faire se pourra, les tribunaux criminels de la connaissance d'un très grand nombre d'affaires, et si vous adoptez l'idée du préopinant vous augmenterez le nombre des affaires; car une peine, quelque légère qu'elle soit, ne manquera pas de paraître trop forte à celui contre lequel elle sera portée. Il en interjettera toujours appel. Or, je soutiens que l'accusé qui interjette appel doit courir le risque d'une peine plus forte. (Murmures.)

M. Bigot de Préameneu. La rigueur des principes m'oblige également à m'opposer à l'amendement qui vient de vous être présenté. Vous ne réfléchissez pas assez sur la marche de la procédure. Lorsque l'appel est porté par l'accusateur, un nouveau combat judiciaire s'engage. L'accusé, le plus souvent, faít en endre de nouveaux témoins. Vous ne pouvez pas refuser à l'accusateur public, à qui des témoins sont indiqués, le droit de les faire entendre. Il arrive donc, qu'après l'appel, une nouvelle instruction change l'état de l'affaire. Or, il serait contradictoire à tous les principes, que des juges qui ont sous les yeux les preuves d'un crime, qui n'était pas assez prouvé dans la première instruction, ne puissent cependant pas prononcer une peine proportionnée au no veau délit que l'appel a fait connaître. Je propose donc la question préalable sur l'amendement tendant à ce que le tribunal d'appel ne puisse prononcer une peine plus forte que la première."

Plusieurs membres: Fermez la discussion ! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Couthon. Après les observations que l'on vient de faire, voici comment je propose de rédiger l'amendement que vous avez adopté :

«Les accusateurs publics ne pourront, en aucun cas, attaquer par la voie de l'appel, les jugements des tribunaux criminels, sauf les droits des accusés et des parties civiles. »>

Plusieurs membres: Aux voix ! aux voix ! (L'Assemblée adopte la nouvelle rédaction proposée par M. Couthon.)

M. Mouysset. Je demande que l'Assemblée nationale décrète que l'appel de suite, porté en l'ordonnance de 1670, n'aura lieu que lorsque l'accusé n'aura pas de choses formellement y acquises.

M. Crestin. Je demande la question préalable sur l'amendement. Ce serait un principe d'inhumanité, parce que, dans le cas où un homme, condamné à une peine grave, acquiescerait à son jugement, il faut que la loi vienne à son

secours.

M. Couthon. La loi donne des conseils aux accusés, et vous devez bien penser qu'ils conseilleront aux accusés condamnés à la mort, d'interjeter appel.

Plusieurs membres: La question préalable! (L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Mouysset.)

M. Lamarque, rapporteur, fait une nouvelle lecture de l'article avec les amendements adoptés; il devient l'article 7 des articles additionnels déjà adoptés et est ainsi conçu :

Art. 7.

«Toutes les plaintes ou accusations suivies d'informations antérieures à l'époque de l'installation des tribunaux criminels, seront jugées par les tribunaux qui s'en trouveront saisis, soit en première instance, soit par appel, et l'instruction de la procédure sera continuée suivant les lois qui ont précédé l'institution des jurés.

«Les accusateurs publics ne pourront, en aucun cas, attaquer par la voie de l'appel les jugements des tribunaux criminels, sauf les droits des accusés et des parties civiles. Les juges de districts ne pourront prononcer d'autres peines que celles portées dans le Code pénal.

(L'Assemblée adopte l'article 7.)

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M. Lamarque, rapporteur, donne lecture du deuxième article additionnel présenté à la séance du 10 janvier; il devient l'article 8 et est ainsi conçu :

Art. 8.

« Ces mêmes tribunaux seront tenus de renvoyer devant les juges de police correctionnelle, toutes les affaires qui, d'après la loi, seront de la compétence de ces juges..

(L'Assemblée adopte l'article 8.)

Un membre: Je propose l'article additionnel suivant :

«Le ministre de la justice est chargé de se faire rendre compte tous les mois, par les commissaires du roi, près les tribunaux de district, de l'état des procédures criminelles qui devront continuer d'y être instruites et jugées, conformément à l'article..., à l'effet de faire cesser les fonctions des accusateurs publics établis provisoirement près lesdits tribunaux, à l'instant où elles ne seront plus nécessaires. »

(L'Assemblée adopte cet article additionnel, sauf redaction.)

M. Pastoret. Voici deux questions que je propose de renvoyer au comité de législation pour les examiner:

1o Dans le cas où le soin de faire la liste des

jurés sera confié aux juges de paix, faudra-t-il leur laisser les fonctions de la police de sûreté?

2o La gendarmerie nationale doit-elle conserver la concurrence qu'on lui a donnée avec les juges de paix?

(L'Assemblée renvoie l'examen de ces deux questions au comité de législation.)

M. Albitte. Je demande qu'on renvoie au comité de législation la question de savoir quelle peine on substituera à la peine de la dégradation civique. Il est affreux qu'en France il y ait une peine qui compromette des hommes qui ne sont pas citoyens actifs. (Mumures.)

M. Ducastel. Je demande la question préalable sur la proposition.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. Albitte )

M. le Président s'étant absenté, M.Lemontey, ex-président, occupe le fauteuil et fait lecture dé la notice des objets mis à l'ordre du jour pour la séance du soir.

(La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du jeudi 12 janvier 1792, au soir.

PRÉSIDENCE DE M. DAVERHOULT.

La séance est ouverte à six heures du soir. M. le Président. L'ordre du jour appelle la troisième lecture du projet de décret relatif aux funérailles d'Honoré Riquetti-Mirabeau (1).

M. Castel, rapporteur, fait la troisième lecture de ce projet de décret qui est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu la première lecture du projet de décret ci-après, le 3 novembre 1791, la seconde le 10 décembre suivant, et la troisième le 12 janvier 1792, après avoir également décrété qu'elle est en état de décider définitivement;

« Considérant les services rendus à la nation par Honoré-Gabriel Riquetti-Mirabeau, décrète que les frais de ses funérailles seront acquittés par le Trésor public. >>

Un membre: J'observe que l'Assemblée, n'étant pas composée de 200 membres, ne peut délibérer. (L'Assemblée suspend la délibération.) (Voy. ci-après p. 349.)

Une députation de la municipalité de Choue (2), district de Mondoubleau, composée du curé et de deux citoyens de cette commune, est introduite à la barre.

M. le curé de Choue, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

L'Assemblée nationale voit dans son sein le pasteur et deux des principaux habitants de Choue, qui viennent déposer dans son sein leurs alarmes sur le sort de leurs concitoyens, emprisonnés à la suite d'un rassemblement qui n'a jamais eu que les apparences du crime et qui, dans l'inten

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XXXV. séance du 10 décembre 1791, page 723, la seconde lecture de ce projet de décret.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1re série, t. XXXVI, séance du 29 décembre 1791, page 597.

tion de ceux qui le composaient, n'était pas même un délit. Le district de Mondoubleau, situé dans un pays pauvre et presque dépeuplé, n'est composé que de 35 paroisses, pour le plus grand nombre fort petites et qui, lors des réductions projetées d'après les décrets, devaient se réduire à 23. Les bienfaits de l'administration d'un district et d'un tribunal, n'ont point fait oublier aux administrés l'impuissance où ils allaient être de subvenir aux frais de leur établissement. En conséquence, leur installation fut immédiatement suivie d'une multitude de demandes, tendant à en obtenir la suppression. La ville de Mondoubleau elle-même, destinée à supporter une grande partie de ces charges, s'est rendu justice, quoiqu'elle dût profiter de ces principaux avantages. Différentes délibérations, consignées dans les registres du district et sur ceux des municipalités de campagne, attestent ces faits.

Lorsqu'il a été question d'asseoir les impositions, l'inconvénient dont on vient de parler devenait beaucoup plus grand. Les habitants de Choue, comme ceux des autres communes du district, ont vu, qu'en sus des contributions, ils auraient encore à payer 4 ou 5 sols pour livre pour les frais de l'administration de district et pour l'entretien de leur tribunal. Les communes redoublèrent leurs réclamations pour être délivrées de ces deux établissements, dont elles ne pouvaient plus supporter l'entretien.

Tel était l'état des choses, lorsque les habitants de Choue apprirent que leur paroisse, quoiqu'une des plus considérables du district, devait être comprise dans la suppression. Ils ne dissimulèrent pas leurs regrets; ils témoignèrent leurs craintes d'une manière non scandaleuse ni coupable, mais de façon à pénétrer les autorités constituées de la justice de leurs plaintes. Accablés par l'administration de district et par un tribunal à peu près inutile pour eux, prívés de leur église dont ils croyaient qu'il était indispensable pour eux de ne pas se séparer, ils crurent qu'il suffisait de se plaindre pour être exaucés. En conséquence, le 4 décembre dernier, après une assemblée convoquée au son de la cloche, ils partirent pour se rendre à Mondoubleau, au nombre de 100 ou de 120, à l'effet de présenter aux administrateurs, leur pétition sur les objets qui viennent d'être énoncés, et encore sur l'estimation des biens de leur paroisse, qu'ils pensaient être irrégulièrement faite. Cette pétition, fort courte, présentée en forme de requête à MM. les administrateurs, rédigée à la hâte par des habitants de la campagne, en qui les soins de l'éducation et la culture de l'esprit n'ont pu perfectionner les facultés intellectuelles, n'est pas exempte de fautes; mais ils n'avaient aucun projet séditieux, ni de subversion des principes consacrés par la Constitution. Ils y déclarent d'abord qu'ils protestent contre l'estimation des biens de leur paroisse, mais ils se fondent uniquement sur la nullité de cette estimation et non sur la résolution de ne rien payer; ils offrent, au contraire, de souscrire à une imposition conforme à celle de 1790, qu'ils croient la seule adoptable dans l'hypothèse de la nullité de l'estimation. lls terminent leur adresse par demander la suppression du district et du tribunal, comme trop onéreux. Les termes dans lesquels ils la demandent ne font pas disparaître l'expression de leur soumission. En disant qu'ils ne veulent d'autres juges que comme par le passé, ils ont voulu dire qu'ils entendaient seulement ne vouloir point de juges dont l'entretien fùt à leur charge. C'est le

vœu manifeste qu'ils émettaient alors, et ce vœu est celui de tous les habitants du district.

Il faudrait sans doute se faire illusion pour donner une interprétation différente et à la démarche de cette infortunée commune et aux termes dans lesquels elle s'est exprimée. Ce ne sont pas des citoyens qui, depuis l'époque heureuse de la Révolution, ont multiplié les actes de leur civisme, qu'on peut accuser de projets incendiaires et d'être destructeurs de la Constitution. Enfin les habitants de Choue, qui ont marché fidèlement sur la ligne tracée par la Constitution et qui ont reçu et fait exécuter le décret avec une joie respectueuse, auraient au moins quelques droits à l'indulgence des représentants de la nation, quand même une démarche indiscrète pourrait autoriser en apparence à prendre le change sur leurs motifs et là droiture de leurs intentions.

C'est des différents titres qui ne peuvent être indifférents aux dignes représentants d'un peuple libre, que le pasteur constitutionnel et ses deux collègues espèrent qu'ils ne s'en retourneront pas sans rapporter à leurs concitoyens la consolation qu'ils attendent, c'est-à-dire la restitution de leur liberté; et pour marque de confiance de tout ce qu'ils ont dit depuis, ils ont l'honneur de déposer sur le bureau la pétition du 21 décembre qui est devenue pour eux la source de leurs malheurs.

M. le Président, répondant à la députation. Vous avez oublié ce que vous deviez de respect à la loi. L'Assemblée nationale sait ce qu'elle doit pardonner à l'égarement, mais elle sait aussi de quelle sévérité elle doit user contre la mauvaise intention de votre commune. Elle se fera rendre un compte exact de sa conduite et elle désire que sa justice puisse faire place à la clémence. (Àpplaudissements.)

(Les pétitionnaires se retirent.)

Une députation du département de la Nièvre est introduite à la barre.

L'orateur de la députation Messieurs, nous sommes chargés, par le département de la Nièvre, de venir auprès de l'Assemblée réclamer le dégrèvement des impositions de 1792.

M. Dorizy. J'ai respecté, pour mon département et pour d'autres qui pourraient avoir droit à l'intérêt des membres de l'Assemblée, pour la distribution de l'impôt, la justice et la sévérité des principes qu'on doit observer. Nul département n'a plus de droit qu'un autre à la justice de l'Assemblée; mais l'Assemblée s'exposerait à des réclamations continuelles, si elle écoutait une pareille demande. Mon département est très surchargé, et cependant j'ai cru devoir ménager les moments du Corps législatif. Je demande que, sans entendre la lecture de la pétition, on la renvoie au comité de l'ordinaire des finances qui est déjà chargé de l'examen de plusieurs autres de même nature. En effet, Messieurs, il serait abusif d'écouter de pareilles pétitions. Les pétitionnaires qui se présentent à la barre ne doivent pas obtenir plus d'indulgence que ceux qui adressent directement leurs pétitions à l'Assemblée qui les renvoie à un comité. Il est d'autant plus nécessaire de prévenir l'admission de semblables députations, qu'on ne manquera pas d'en envoyer d'un grand nombre de départements et que les frais de ces députations sont à la charge des administrés. (Applaudissements.)

Un membre : J'observe que, tous les jours, l'As

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