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termes de l'article 12 du titre III de la loi du 22 août 1790.

A Georges-François Berthereau, ci-devant religieux bénédictin de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, une gratification de 1,000 livres pendant chacune des années 1791 et 1792.

A Charles-Louis Théodat Taillevis-de-Périgny, lieutenant de vaisseau, une gratification extraordinaire, et une fois payée, de 3,000 livres : le tout pour les causes énoncées au septième état annexé au présent décret.

« Art. 6. Les pensions énoncées au 8° état annexé au présent décret, montant à la somme de 18,825 livres pour les personnes dénommées audit état, seront converties en rentes viagères sans retenue, à la charge de l'Etat, à compter du 1er janvier 1790, jour de la suppression desdites pensions, conformément à l'article 8 de la loi du 22 août 1790.

Art. 7. Il sera payé par le Trésor public au sieur Jault, conformément à l'article 8 du titre Ier de la loi du 22 août 1790, la somme de 8,250 livres, en remplacement de deux pensions; l'une de 500 livres et de l'autre de 300 livres accordées par brevets des 11 avril 1777 et 10 décembre 1780, pour prix de deux collections de titres originaux concernant le domaine de la Couronne, l'histoire, les fiefs et la généalogie, qu'il a recueillis à grands frais et remis à la bibliothèque du roi, ainsi qu'il est détaillé plus au long dans le neuvième état annexé au présent décret.

« Tous lesquels payements seront faits de la manière et aux conditions portées dans les précédents décrets de l'Assemblée nationale.

« Art. 8. A l'égard des pensions comprises dans le dixième état annexé au présent décret, montant à la somme de 389,721 lív. 2 s. 6 d., et qui étaient partagées entre les personnes dénommées audit état, l'Assemblée décrète que ladite somme demeure définitivement rejetée des états et pensions à la charge du Trésor public.

« Art. 9. Sur la réclamation du sieur Messonnier de Valcroissant, maître-de-camp de dragons, qui demande le payement de différentes

sommes :

« 1° Les frais de trois voyages en Corse, ainsi qu'une indemnité pour la perte de ses équipages;

« 2o Six mois de ses appointements, comme employé dans l'état-major des troupes envoyées en Corse en 1764;

3° 11,400 livres pour le dernier quartier du traitement qu'il avait à l'armée ottomane, traitement que le ministre a fait cesser au for OCtobre 1771;

4° Un dédommagement pour la perte de 4,150 arpents de terrain, que le roi lui avait accordés par arrêt du conseil du 28 juin 1776, en considération de ses services seuls, relatifs à la Corse et qui, selon ledit sieur de Valcroissant, ont été joints de la manière la plus illégale à la concession faite à M. de Marbœuf.

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Qu'à l'égard de la quatrième réclamation dudit sieur de Valcroissant, c'est par devant les tribunaux qu'il doit se pourvoir pour se faire réintégrer dans sa proprieté de 4,150 arpents de terrain qui ont été concédés en Corse, s'il est vrai qu'il en ait été justement évincé.

«Art. 10. Quant à la réclamation du sieur Mathé, qui se plaint qu'en 1760, lors de son retour en France, un capitaine, commandant pour la Compagnie des Indes à Lorient, lui a supprimé un congé honorable, et qui lui constatait, dit-il, une retraite d'invalide de 252 liv. 10 s. par an, l'Assemblée décrète qu'il n'y a lieu à délibérer, attendu que le fait dont se plaint ledit sieur Mathé est un délit personnel qui doit être poursuivi dans les tribunaux par les voies ordinaires contre le délinquant ou ses représentants.

« Art. 11. A l'égard du sieur Nicolas Roussel, qui expose que, le 22 juin dernier, un garde national de Beauvais étant en faction, et voulant montrer l'exercice, son fusil partit inopinément; qu'il atteignit le sieur Roussel père, et l'étendit mort sur la place, ce qui a déterminé le sieur Roussel fils à demander un secours pour aider la veuve et les enfants dudit Nicolas Roussel; l'Assemblée nationale décrète que ledit sieur Roussel ayant été tué par accident, et non dans l'exercice d'un service public, la demande de son fils n'est point admissible, attendu qu'aucun des articles de la loi sur les pensions et secours ne peut lui être applicable.

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M. Delacroix. Je demande le renvoi de la discussion de ce projet de décret à une séance du soir parce qu'il contient des détails trés minutieux.

M. Lacuée. Je voulais demander au comité quelques éclaircissements relatifs à Jean Mathé. Ce même Jean Mathé a présenté au comité militaire une pétition pour se faire réintégrer dans une pension qu'il prétend lui être due par l'ancienne compagnie des Indes. Jean Mathé prétend que la Compagnie des Indes étant partie contre lui, M. Dufresne-de-Saint-Léon, qui a été membre de la Compagnie des Indes, ne doit pas être juge de cet objet. Je suis bien loin de craindre que M. Dufresne de Saint-Léon se soit laissé influencer par cette raison-là; mais les renseignements fournis à cet égard n'étant pas très clairs, je demande que l'Assemblée suspende sa décision en ce qui concerne Jean Mathé, jusqu'à ce que le directeur de la Compagnie ait fourni de nouveaux renseignements.

(L'Assemblée adopte la motion de M. Lacuée.) M. Ménard. Dans les états annexés se trouve compris un brave et excellent militaire. M. Abbes de Courbezon, qui, pour récompense de ses services, de seize campagnes et d'une blessure, avait reçu une pension de 1,400 livres. Cet homme ne croyant pas avoir suffisamment servi sa patrie, a été employé dans la Révolution comme garde national, et par son zèle, son dévouement à la chose publique, il a été de la plus grande utilité. pour ses concitoyens. Sa pension a été réduite

à 355 livres. Cependant, son service dans la garde nationale doit être compté par addition. Je demande que l'article de ce brave militaire soit de nouveau mis sous les yeux du commissaire-liquidateur, pour son traitement être complété.

(L'Assemblée renvoie la demande particulière de M. Abbes de Courbezon à l'examen du commissaire du roi, directeur général de la liquidation, qui vérifiera les services de M. Courbezon dans la garde nationale.)

M. Soret, rapporteur. Dans le nombre des rejets se trouve la pension de Marie-MadeleineJoséphine Bonnafous d'Albert. Ce rejet est motivé, dans le rapport du commissaire du roi, directeur général de la liquidation, sur ce que la demoiselle d'Albert a 3,000 livres de rentes; mais ces 3,000 livres de rentes se trouvent être la pension qu'on veut lui supprimer. Votre comité vous propose d'ajourner cet article et de le renvoyer au directeur général de la liquidation pour prendre des informations ultérieures.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Soret, rapporteur. Il ne me reste plus qu'une observation à vous faire. C'est avec regret, Messieurs, que votre comité de liquidation, après la vérification faite des longs et éclatants services rendus à l'Etat par Joseph-Louis Raimondis, chef d'escadre, né le 11 août 1723, s'est vu forcé de vous proposer la suppression des pensions qui lui ont été précédemment accordées par le roi, montant ensemble à 3,300 livres.

48 années de services révolues, 23 campagnes dont 17 de guerre, 7 combats, 2 blessures reçues en 1747 au combat mémorable du vaisseau le Tonnant; le bras droit emporté par un coup de canon, en combattant en 1778 pour la cause de la liberté en Amérique, M. Raimondis commandant alors le vaisseau le César.

Tous ces titres lui assuraient sans doute des droits bien légitimes aux récompenses nationales.

Mais la loi qui ne permet point que l'on cumule une pension et un traitement prononçait formellement la déchéance provisoire des pensions accordées à cet officier.

Malgré son âge avancé et la perte de son bras, M. Raimondis est en activité de service. Il est appointé par l'Etat en qualité de chef d'escadre; il ne peut donc point conserver ses pensions. C'est le vœu de la loi, c'est l'avis de votre comité.

Mais cet officier invoque l'article 11 du titre Ier du décret du 3 août 1790 qui porte : « qu'il ne

Caisse des invalides de la marine. Ces pensions ont eu pour motifs les unes, les longs services de M. Raimondis; les autres, ses blessures très graves et la perte qu'il a faite d'un de ses bras au service de la patrie.

Votre comité a pensé qu'une gratification de 12,000 livres pour prix de si grands services n'était point exagérée. En conséquence, il m'a chargé de vous proposer l'amendement suivant à l'article 8 du projet de décret que j'ai eu l'honneur de vous présenter :

« L'Assemblée nationale, prenant néanmoins en considération les longs services de JosephLouis Raimondis, chef d'escadre, et la perte qu'il a faite de son bras droit en combattant pour la cause de la liberté, en Amérique, sur le vaisseau le César qu'il commandait en 1778, décrète qu'il lui sera payé, par forme de gratification, sur les fonds à ce destinés par l'article 14 du titre er de la loi du 22 août 1790, la somme de 12,000 livres. »

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix les articles!

M. Blanchon. Depuis la première lecture du projet de décret qui vous est présenté jusqu'à ce jour, les membres de l'Assemblée n'ont pas eu le temps d'examiner ce rapport et les états de pensions qui sont déposés publiquement au comité. L'argent de l'Etat ne doit pas être prodigué au hasard et sans examen. Je demande l'ajournement de la discussion à huitaine.

(L'Assemblée ajourne la discussion de ce projet de décret et du précédent au jeudi 19 janvier.)

M. Vergniaud, à la suite de diverses motions d'ordre qui avaient amené quelque désordre dans l'Assemblée, fait une motion qui est décrétée dans les termes suivants :

« L'Assemblée décrète qu'à l'avenir nul rapport ne sera entendu, s'il n'est placé dans le tableau de l'ordre du jour de la séance.

« Décrète en outre que son comité de législation lui fera, samedi soir, un rapport sur la manière de régler et de maintenir l'ordre du jour. »

M. Dorizy, secrétaire, donne lecture des lettres suivantes :

1° Lettre d'un homme de loi qui fait hommage à l'Assemblée d'une dissertation sur le crime de lèse-majesté royale et celui de lèse-nation.

(L'Assemblée accepte l'hommage et renvoie ce travail au comité de législation.)

Cette lettre est ainsi conçue :}

2° Lettre des commissaires de la comptabilité qui présentent quelques observations sur un propourra être concédé de pension à ceux qui jouis-jet de décret du comité de l'examen des comptes. sent d'appointements, gages ou honoraires, sauf à leur accorder des gratifications s'il y a lieu. >> Votre comité a pensé, Messieurs, qu'aux termes de l'article 3 du même titre du décret ci-dessus cité, la prétention de M. Raimondis est fondée. Cet article est ainsi conçu :

« Les sacrifices dont la nation doit payer le prix sont ceux qui naissent des pertes qu'on éprouve en défendant la patrie. »

A qui peut-on appliquer plus justement qu'à M. Raimondis ce texte de loi?

Votre comité a pensé que, sous ce rapport, M. Raimondis devait intéresser la générosité, la justice, l'humanité même de l'Assemblée nationale. Ses anciennes pensions étaient composées de trois parties: l'un de 1,500 livres sur le Trésor public; la seconde de 800 livres sur l'ordre de Saint-Louis, et la troisième de 1,000 livres sur la

« Monsieur le Président,

« L'Assemblée nationale a sous les yeux le plan d'organisation que nous avons eu l'honneur de lui présenter (1) et nous sommes prêts à lui soumettre les motifs qui ont déterminé nos mesures pour assurer l'activité et la régularité du service; mais il ne nous est pas permis de garder le silence sur l'article du projet du comité qui nous accorde, comme partie de traitement, un denier pour livre du reliquat de l'arriéré des comptes. Cette diposition, quelque

(1) Voy. Archives parlementaires, 1re série, t. XXXV, séance du 4 décembre 1791, page 567.

favorable qu'elle puisse nous paraître, en ne la considérant que sous le rapport des intérêts personnels, affecte notre délicatesse.

"

En effet, Monsieur le Président, nous sommes appelés par la loi à être les premiers vérificateurs des comptes; et il pourra paraître à l'Assemblée sinon immoral, du moins peu convenable de mettre nos intérêts en opposition avec ceux des comptables dont nous devons vérifier la conduite et les opérations. Nous n'avons sûrement pas besoin d'être stimulés par l'appât d'un bénéfice éventuel pour remplir avec exactitude la tâche honorable et difficile que la loi nous impose. Nous prenons l'engagement, qui ne sera pas vain, de visiter l'arriéré aussi promptement qu'il est possible de le faire. Nous vous supplions, Monsieur le Président, de mettre ces considérations sous les yeux de l'Assemblée : elle les pèsera dans sa sagesse et trouvera peutêtre qu'il serait dangereux d'introduire des vues fiscales dans un établissement qui serait fait pour les réprimer si elles pouvaient renaître sous le régime de la liberté.

>> Nous sommes avec respect, etc. »

(Suivent les signatures.)

(L'Assemblée ajourne sa décision au moment de la discussion du projet de décret du comité de l'examen des comptes.)

Un membre demande qu'à chaque renouvellement périodique dans la composition individuelle de ses divers comités, la liste des membres déplacés par cette mutation soit imprimée.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

L'ordre du jour appeile la suite de la discussion du projet de décret du comité de législation tendant à accélérer l'instruction et le jugement des affaires criminelles suivant la loi du juré.

M. Lamarque, rapporteur. Messieurs, le comité de législation vous proposa avant-hier deux articles additionnels sur les tribunaux criminels (1). Voici le premier que je vais vous relire :

« Article 1er. Toutes les plaintes en accusations, suivies d'informations antérieures à l'époque de l'installation des tribunaux criminels, seront jugées par les tribunaux qui s'en trouveront saisis soit en première instance, soit par appel; et l'instruction de la procédure sera contínuée suivant les lois qui ont précédé l'institution des jurés. »

juré de jugement, vous n'appliquerez à une affaire que la moitié du juré, et l'instruction du juré me paraît indivisible: si c'est au juré d'accusation, il peut se faire que le juré déclare qu'il n'y a pas lieu à accusation, et cependant la plainte déjà reçue prouverait, suivant l'ancienne forme, qu'il y a lieu à accusation puisque l'information était déjà permise et ordonnée.

L'institution du juré pouvait être conçue par le génie; mais elle ne peut être mise en pratique que par la prudence et la sagesse. Vous l'environnerez donc de tous les ménagements dont elle a besoin, et vous ne lui attribuerez que les affaires qui naîtront depuis son installation.

M. Pressac-des-Planches. Messieurs, la question qui occupe l'Assemblée a été présentée sous différents points de vue; mais au milieu de ces opinions diverses, s'élève l'Acte_constitutionnel qui doit fixer nos résolutions. Ce serait sans doute céder à un sentiment qui paraît bien raisonnable que de sortir sur-le-champ les citoyens prévenus de crimes de ces anciennes formes d'instruction gothique, pour les soumettre de suite à l'institution salutaire du juré. Il semblerait même, au premier aspect, que nous ne pouvons leur refuser une pareille faveur; que c'est même un droit qui leur semble acquis dans le moment par l'effet de cette grande maxime constitutionnelle que la loi est égale pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

Je ne puis me dissimuler, Messieurs, le penchant que j'ai eu d'adopter de pareilles idées; mais nous ne le pouvons ni ne le devons. L'Acte constitutionnel nous arrête, et les lois déjà portées y résistent; je m'explique.

Je vous prie de saisir comme une observation importante, Messieurs, que les tribunaux criminess ne peuvent appliquer de peine que suivant le nouveau Code pénal. Et si vous investissiez les tribunaux du pouvoir de prononcer sur les anciens délits, ce serait une subversion de principes et une violation formelle de l'Acte constitutionnel. Ce serait une subversion évidente de principes, parce que la loi qui punirait, se trouverait postérieure au crime. Ce serait une violation formelle de la Constitution, parce qu'elle dit, article 8 de la Déclaration des droits de l'homme que nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".

Il y a trois époques à remarquer dans les progrès des procès criminels pendant devant les tribunaux ordinaires : il y a l'instruction jusqu'au règlement à l'extraordinaire inclusivement; il y a le procès fait et parfait, où le recolement et lå confrontation des témoins ont eu lieu; il y a enfin les affaires jugées et portées par appel devant l'un des sept tribunaux de l'arrondissement. Pour les affaires d'appel, il est de toute impossibilité de les porter de suite aux tribunaux criminels outre que la forme ancienne ne pourrait pas s'allier avec la nouvelle, c'est qu'aux termes exprès de l'article 1er du titre VI du dé

M. Hua. Le comité vous propose de distinguer les accusés en deux classes. C'est un privilège qui ne peut subsister. Tous les hommes sont égaux devant la loi. Celui qui ira devant le juré n'aura pas à se plaindre; mais celui que vous laisserez aux anciens tribunaux vous demandera pourquoi il y a deux justices criminelles. Puisque des circonstances impérieuses ne nous permettent pas de renvoyer tous les détenus devant les jurés, il faut les laisser tous dans les anciens tribunaux, et dire que le juré n'aura que les affaires qui naîtront depuis son institution. D'ail-cret sur les jurés, nul homme ne peut être pour

leurs l'attribution faite au juré n'est pas même exacte vous lui renvoyez toutes les affaires dans lesquelles il n'y aura que la plainte, mais à qui renvoyez-vous? Est-ce au juré de jugement, est-ce au juré d'accusation? Si c'est au

(1) Voy. ci-dessus, séance du 10 janvier 1792, au matin, page 204.

suivi devant le tribunal criminel et jugé que sur une accusation reçue par un juré composé de huir citoyens. Il faudrait donc nécessairement reporter cette affaire au juré d'accusation; cela ne se peut encore, parce que les témoins ayant été récolés et confrontés, se fixeront invariablement à leurs dépositions. La crainte d'être poursuivis comme faux témoins, s'ils variaient, les rendrait inébranlables, et alors comment entre le témoin

et l'accusé pourraient s'engager ce débat, cette discussion libre d'où doit résulter la preuve morale qui forme l'opinion du juré? Cela ne serait pas possible. L'opiniâtreté nécessaire du témoin serait un obstacle au développement de la vérité. J'ai le même langage à tenir absolument pour le procès dont l'instruction est achevée; ce sont les mêmes inconvénients, les mêmes raisons.

Il n'y aurait donc que pour les affaires instruites ou à instruire jusqu'au règlement à l'extraordinaire qu'on pourrait demander le renvoi aux tribunaux criminels. On pourrait dire en effet que ces premiers procédés s'observent à peu près dans l'instruction par juré, que les officiers de police font préparatoirement une espèce d'information et reçoivent des déclarations et interrogatoires du prévenu. Mais ce n'est plus la même forme, ce ne sont pas les procédés prescrits par la nouvelle loi, ce ne sont pas les mêmes officiers; et d'ailleurs cette objection vient se briser auprès de la maxime constitutionnelle que j'ai ci-dessus rapportée. On ne peut donc faire rétrograder les lois pénales pour punir des crimes commis avant leur existence; les délits commis sous les anciennes lois doivent être punis, poursuivis suivant les anciennes lois, parce qu'enfin, et je ne cesserai de le répéter, la Constitution veut que nul ne puisse être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit.

Je conclus pour l'article additionnel.

M. Jouffret. Pour déterminer la manière dont il faut continuer les procédures criminelles commencées avant l'époque de l'installation du jury, il me paraît qu'il faut distinguer trois époques dans l'instruction 1° celle où il y a eu plainte ou accusation sans information; 2° lorsque la plainte a été suivie d'une information, même d'un décret, même du règlement à l'extraordinaire; 3o lorsque le règlement à l'extraordinaire a été suivi de récolement ou de confrontation.

Dans le premier cas, il me semble, Messieurs, que la procédure par juré doit être suivie en totalité; dans le second cas, je crois que l'information doit tenir lieu du juré d'accusation, et qu'il faut continuer la procédure par juré de jugement; enfin, Messieurs, au troisième cas, que reste-t-il à faire? à juger. I faut, en ce cas, ne pas revenir sur la procédure qui a déjà été faite; et si l'accusé ne peut pas profiter du bénéfice de l'institution du juré, au moins ne faut-il pas le priver de l'appel. Ainsi, Messieurs, d'après cette distinction, qui, je crois, ne contrarie en rien les dispositions de la Constitution, mais qui se trouve, au contraire, très conforme à la Constitution, j'ai l'honneur de vous proposer l'article suivant :

Toute procédure, où la plainte n'aurait pas été suivie d'information, s'instruira de la forme prescrite par la loi du juré; s'il y a eu information, elle tiendra lieu de juré d'accusation, et jusqu'au règlement à l'extraordinaire inclusivement, l'affaire se continuera par juré de jugement; si le règlement à l'extraordinaire a été rendu, et qu'il ait été procédé au récolement et à la confrontation, le procès sera jugé suivant l'ancienne forme. »

M. Gohier. Messieurs, le souvenir de toutes les victimes si injustement immolées par le glaive des lois, l'intérêt qu'inspire l'innocence, la crainte de la voir plus longtemps exposée à être, par l'abus des anciennes formes judiciaires, confondue avec le crime, appellent à grands

cris l'établissement salutaire des jurés. Ce sera sans doute une vraie douleur pour nous, si nous ne pouvons en faire jouir, dès ce moment, tous les infortunés qui se trouvent dans les liens de la justice. Mais s'il est impossible d'appliquer l'institution des jurés aux procès instruits suivant des formes incompatibles avec cette belle institution, vous pouvez du moins tempérer encore la rigueur des anciennes lois sur la procédure criminelle, en faisant participer l'accusé aux principaux avantages que lui assurent les lois nouvelles.

Par exemple, l'article 14 du titre VII du décret du 16 septembre 1791, autorise l'accusé à faire entendre des témoins pour attester qu'il est homme d'honneur et de probité, et d'une conduite irréprochable, sauf aux jurés à avoir tel égard que de raison à ce témoignage.

Qui empêcherait d'accorder cette même faculté à ceux qui se trouvent actuellement traduits dans les tribunaux de district? Une constante probité, une conduite régulière et sans reproche est le premier et toujours le plus sûr argument que puisse faire valoir celui qui est l'objet d'une accusation indiscrète ou calomnieuse et devant les magistrats ordinaires comme devant le juré, l'accusé doit paraître entouré de toutes les présomptions favorables que sa vie publique et privée peut lui fournir.

Ce n'est pas assez faire encore pour l'innocence que de l'aider à triompher d'une accusation téméraire, il faut lui assurer l'avantage qu'elle a remporté; il faut que celui qui est acquitté par un jugement ne puisse être traduit devant d'autres juges pour le même délit. Qu'estce qu'un jugement? La déclaration d'un fait; et comme un fait ne peut tout à la fois exister et ne pas exister; comme on ne peut pas être tout à la fois innocent et coupable, le respect dû à la chose jugée, qui, si elle peut être présumée la vérité, c'est surtout lorsqu'elle rend hommage à l'innocence, l'intérêt sacré de la sûreté personnelle, ne permettent pas de rechercher le crime où l'innocence a été une fois recon ue. Le scandale de la raison est un double jugement dont l'un absout et l'autre condamne; le scandale de la justice et de l'humanité serait l'exécution d'un arrêt de mort prononcé contre celui que des premiers juges n'ont pu trouver criminel.

Chez un peuple qui nous a longtemps devancés dans la connaissance des Droits de l'homme, ces principes sont tellement respectés que l'évidence même des preuves qui s'élèveraient contre l'accusé jugé non coupable, ne pourrait être un prétexte pour y porter atteinte. « Lorsque le prisonnier, dit le savant commentateur du Code criminel d'Angleterre, a été déclaré innocent par un jugement contre l'évidence, il n'y a point d'exemple qu'on ait ordonné un nouveau jugement dès que les jurés ont jugé le prisonnier non coupable, il est quitte et déchargé de l'accusation pour toujours. » Cette loi de douceur, ajoute Guillaume Blackstone, suppose « que le prisonnier, fùt-il coupable, a expié son crime, en quelque sorte, par la terreur de la mort, qu'il a du avoir continuellement devant les yeux, par la procédure et par la prison. »

Les appels à minima tiennent à la barbarie de nos anciennes formes judiciaires; ont eût dit que leur objet unique était moins de poursuivre le crime que de tendre un piège à l'innocence; et l'usage qu'on a fait de ces appels abusifs se réunit aux autres motifs pour en solliciter entièrement la proscription. Les appels à minima ont-ils ja

mais été dirigés contre ces illustres vexateurs de l'espèce humaine? N'est-ce pas toujours contre des malheureux dont le plus grand crime était d'avoir déplu à des hommes puissants? Par qui étaient autrefois jugés ces appels? par des magistrats qui ont condamné au dernier supplice un malheureux jeune homme, comme coupable de viol, pour avoir été surpris avec la maîtresse d'un ci-devant privilégié.

Je sais que nous n'avons plus à craindre des abus aussi révoltants; mais ce n'est pas une raison pour laisser subsister une faculté qui ne rappelle que les crimes de l'ancienne magistrature, et ne pourrait servir qu'à dégrader la nouvelle.

Hâtez-vous donc, Messieurs, de décider que l'innocence ne peut être qu'une fois exposée au risque d'un jugement souvent trop sujet à l'erreur. Ménagez à l'infortuné qui pourrait être l'objet d'une condamnation injuste, la ressource favorable de l'appel; mais que cette arme, qui doit être toute pour sa défense, ne puisse jamais se retourner contre lui. Abolissez ces appels à minima, qui transforment les magistrats à qui un si redoutable pouvoir est confié, en odieux persécuteurs de l'innocence reconnue.

Au reste, cet amendement, qu'il me paraît nécessaire d'ajouter à l'avis de votre comité, est une conséquence naturelle du grand principe établi par la Constitution: tout homme acquitté par un juré légal, aux termes de l'article 9 du titre du pouvoir judiciaire, ne peut plus être repris ni accusé à raison du même fait. Il est donc bien constant que le sort de l'innocence ne doit pas être deux fois livré à l'arbitraire des opinions humaines. Si des considérations d'intérêt public vous défendent de soumettre aux formes du juré les procédures déjà instruites, la justice exige que les accusés privés de cet avantage jouissent, dès à présent du moins, de celui que la Constitution assure à quiconque est acquitté par un juré légal par lequel les affaires déjà instruites ne peuvent être jugées. Et qu'on ne vienne pas ici faire entendre la voix du dénonciateur ou celle de toute autre partie civile, qu'on ne vienne pas opposer au grand intérêt de la justice et de l'humanité un intérêt purement pécuniaire. Lorsque le dénonciateur a soumis à une épreuve dangereuse l'innocence de celui qu'il accuse, n'a-t-il pas exercé dans toute sa plénitude le droit que l'intérêt privé donne à un membre de la société sur celui vers lequel il croit être fondé à poursuivre une réparation? Est-ce lui faire une injustice que de lui répondre, avec la Constitution: Tout homme acquitté par un jugement légal, ne peut plus être accusé ni repris à raison du même fait. »

"

Je conclus à ce que le projet du comité soit adopté avec ces deux amendements.

«1° L'article 14 du titre VII du décret du 16 septembre 1791, relatif à l'établissement des jurés, qui permet à l'accusé de faire entendre des témoins pour attester qu'il est homme d'honneur et de probité et d'une conduite irréprochable, sera déclaré commun aux accusés jugés dans les tribunaux de district, sauf aux juges à avoir tel égard que de raison à ce témoignage.

2° Tout homme acquitté par un jugement légal ne pourra, pas plus que celui qui sera acquitté par un juré légal, être repris ni accusé à raison du même fait, et tout appel à minima en matière criminelle contre l'accusé sera aboli. »

M. Ducastel. Je trouve, Messieurs, la propo

sition générale du comité très juste; mais je fais un amendement je dis que les plaintes qui sont suivies d'une information simple doivent être envoyées au juré d'accusation, et qu'il n'y a que les procès suivis d'un décret qui doivent rester; la raison en est simple, c'est que le décret seul accuse; or, quand le décret accuse, il y a donc une accusation, et dès qu'il y a une accusation, il faut renvoyer aux anciens tribunaux; mais, quand il n'y a pas d'information, l'affaire est dans la classe d'une instruction faite par les of ficiers de police, on peut la renvoyer au juré d'accusation.

M. Lamarque, rapporteur. J'adopte cet amendement.

M. Ducastel. Je passe maintenant aux amendements de M. Gohier, et je les combats. Le premier consiste à dire que l'on doit permettre à l'accusé, dans les tribunaux de district, de faire entendre des témoins pour déposer de sa bonne conduite. Par le second, il a prétendu que l'on ne devait pas permettre l'appel à minimâ.

D'abord, Messieurs, la première proposition de M. Gohier tend à une subversion de procédure, elle tend à impliquer dans les tribunaux de district ce qui ne doit être fait que par les jurés. Les juges, accoutumés à l'ancienne forme, après les informations qui seront faites, après les récolements et confrontations, ne sauront plus que faire de ces témoins, ils ne sauront plus où ils devront s'arrêter. Quant à l'appel à mininâ, pourquoi, dans un juré de jugement, n'admettezvous pas l'appel à minima? C'est que les jurés sont au nombre suffisant, et que ces mêmes jurés jugent d'après leur conviction intime.

Il y aurait peut-être un autre amendement à faire, c'est que, dans le Code pénal, il y a des peines nouvelles établies, et que, dans la vérité, il ne serait pas juste qu'un accusé pût être puni d'un supplice plus grand que celui qu'il aurait mérité, parce que son crime aurait été antérieur à vos nouvelles lois. Il faudrait véritablement, qu'il y eût une dérogation à ce premier article du Code pénal, parce qu'il n'a prononcé ces peines que dans le cas d'une procédure par juré; je voudrais donc, Messieurs, qu'il y eût sur ce point là, un décret dérogatoire au Code pénal, ou au moins que les juges ne soient pas obligés de s'y soumettre. Je me résume et voici l'amendement que je soumets à la sagesse de l'Assemblée. Au lieu de dire les plaintes suivies d'infor mations, il n'y a qu'à dire les plaintes suivies d'informations et décret.

:

M. Pastoret. Je ne parlerai pas pour appuyer l'amendement de M. Ducastel, puisque le comité l'adopte. Quant aux deux amendements proposés par M. Gohier, le premier ne me paraît pas nécessaire. S'il était nécessaire, il faudrait sans doute l'admettre. Heureusement, nous ne sommes plus dans les temps de cette ancienne jurisprudence, où l'on craignait toujours de donner à l'accusé les moyens de se justifier. L'Assemblée constituante y a pourvu. La loi du mois d'octobre 1789 a admis l'accusé à présenter, dans tout état de cause, tous les moyens qu'il pourrait produire pour sa justification; et celui qui est proposé par M. Gohier est dans ce cas.

Quant au second amendement de M. Gohier, il me paraît très important. M. Ducastel l'a combattu, mais il me semble que M. Ducastel, en voulant le combattre, a appuyé cet amendement par la définition même qu'il a donnée de l'appel à minimâ. En effet, l'appel à minimâ est

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