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ARCHIVES PARLEMENTAIRES

RÈGNE DE LOUIS XVI

ASSEMBLÉE NATIONALE LEGISLATIVE.

Séance du lundi 2 janvier 1792.

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Mathieu Dumas, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du dimanche 1er janvier 1792.

M. le Secrétaire, ayant donné à ce procès-verbal le titre suivant: Procès-verbal de la séance du 1er janvier 1792, l'an quatrième de la liberté, il s'élève une discussion assez vive sur la question de savoir si l'ère de la liberté doit commencer au 14 juillet 1789, auquel cas l'an quatrième de la liberté ne pourrait commencer qu'au 14 juillet 1792.

(L'Assemblée, n'étant pas en nombre, renvoie la décision à prendre à un autre moment.) (1).

M. Sébire fait connaître à l'Assemblée un arrêté de la municipalité de Combourg, district de Dol, département d'Ille-et-Vilaine, qui condamne à être brûlés des exemplaires d'un ouvrage aristocratique intitulé: Catéchisme à l'usage des fidèles de la campagne, dans les circonstances actuelles, comme contenant des principes inciviques et très contraires à la Constitution. L'arrêté de la municipalité défend à tous les particuliers du ressort d'en faire usage et de les distribuer, sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs du repos public.

L'opinant demande que ce catéchisme soit renvoyé au comité de surveillance et qu'il soit fait mention honorable, au procès-verbal, de la conduite de la municipalité.

(L'Assemblée ordonne qu'il sera fait mention honorable, au procès verbal, de la conduite de la municipalité de Combourg et passe à l'ordre du jour sur la motion de renvoyer l'ouvrage au comité de surveillance.)

Un membre: J'annonce à l'Assemblée qu'on a

(1) Voy. ci-après p. 6, 1or col. 1re SÉRIE. T. XXXVII.

des

saisi sur les frontières, à la sortie du royaume, sommes considérables, en vertu de la loi du 21 juin dernier; mais cette loi ne fixant pas la destination de ces sommes, il en résulte qu'elles restent entre les mains de ceux qui ont fait la saisie, parce que les receveurs ne veulent pas s'en charger. Je demande que l'Assemblée charge son comité de législation de lui présenter incessamment un projet de décret qui fixera la destination des sommes saisies à la sortie du royaume, en vertu de la loi du 21 juin.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Dorizy, secrétaire, fait lecture d'une lettre d'un membre de l'Assemblée qui offre à la nation un assignat de 100 livres: cette lettre est ainsi conçue:

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« Si je n'ai pas l'avantage de présenter le premier, à ma patrie, l'offrande de ma faible aisance, j'ai du moins celui d'imiter ceux qui m'ont donné un si bel exemple de dévouement à la chose publique. Comme je ne cède en rien à leur patriotisme, je prie l'Assemblée nationale, dont j'ai l'honneur d'être membre, d'accepter comme un gage de mon civisme, de ma passion ardente de voir ma patrie triompher de ses ennemis qui sont les miens, un assignat de 100 livres pour être employé aux frais d'une guerre aussi inévitable que je la crois juste. Soyez persuadé, Monsieur le Président, que ma gloire n'est autre que celle de la nation, ma félicité autre que celle de ma patrie, et que ma jouissance est celle de taire mon nom. » (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Mention honorable au procès-verbal !

(L'Assemblée accepte l'offre et ordonne qu'il sera fait mention honorable de cette lettre au procès-verbal.)

M. Jean-Antoine Debry, au nom du comité d'instruction publique. Messieurs, je suis chargé, au nom du comité d'instruction publique de vous présenter un projet de décret relatif à l'achèvement du travail ordonné par le Corps constituant pour connaitre les richesses littéraires du royaume, provenant des maisons religieuses et autres établissements supprimés. Le voici :

1

་་་་་

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il est utile à la propagation de la science de connaître exactement les richesses littéraires du royaume, pour pouvoir y faire participer, autant qu'il sera possible, tous les départements de l'Empire, par une juste distribution;

« Considérant qu'il importe de recueillir ce qui reste à recevoir de renseignements à cet égard, pour ne point laisser incomplet et inutile le travail commencé par l'Assemblée constituante, décrète qu'il y a urgence. »>

Décret définitif.

«Art. 1er. L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète définitivement que les administrations de district feront passer aux administrations de département les états des frais occasionnés pour le transport et la garde des livres provenant des maisons religieuses, et autres établissements supprimés, pour la confection des catalogues et cartes indicatives; et qu'après avoir vérifié et débattu lesdits états, les administrations de département sont autorisées à les allouer économiquement, et à délivrer des ordonnances du montant sur les receveurs de districts.

Art. 2. L'Assemblée nationale autorise son comité d'instruction publique à faire continuer dans son enceinte, par des personnes expertes, qui seront payées en raison de leur emploi, lé travail commencé sur les cartes et catalogues envoyés. »

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande l'impression et l'ajournement, parce que ce décret tient à un rapport que j'ai à vous présenter au nom du comité des domaines.

M. Lacuée. Il est infiniment instant pour l'avantage des lettres que les catalogues auxquels on travaille soient continués. Je vois bien, dans le premier article, qu'on fait allusion aux frais occasionnés par cet objet, mais je ne vois rien, dans le décret, qui soit relatif à cet objet lui-même. Je demanderai donc qu'on dise au premier article:

« Les administrateurs de district feront continuer, sans délai, les travaux ordonnés pour la confection des catalogues indicatifs de ces li

vres... »

(L'Assemblée, consultée, adopte le projet de décret avec l'amendement de M. Lacuée.) Suit la teneur de ce décret :

Décret d'urgence.

«L'Assemblée nationale, considérant qu'il est utile à la propagation de la science de connaitre exactement les richesses littéraires du royaume, pour pouvoir y faire participer, autant qu'il sera possible, tous les départements de l'Empire, par une juste distribution.

«Considérant qu'il importe de recueillir ce qui reste à recevoir de renseignements à cet égard, pour ne point laisser incomplet et inutile le travail commencé par l'Assemblée constituante, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

"L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète définitivement ce qui suit :

Art. 1er.

« Les administrateurs de district feront continuer sans interruption les travaux ordonnés pour la confection des catalogues et cartes indicatives des livres provenant des maisons religieuses et autres établissements supprimés.

Art. 2.

« Les administrations de district feront passer aux administrateurs de département les états des frais occasionnés pour le transport et la garde des livres provenant desdites maisons religieuses et autres établissements supprimés, pour la confection des catalogues et cartes indicatives; et après avoir vérifié et débattu lesdits états, les administrations de département sont autorisées à les allouer économiquement, et à délivrer des ordonnances du montant sur les receveurs du districts.

Art. 3.

« L'Assemblée nationale autorise son comité d'instruction publique à faire continuer dans son enceinte, par des personnes expertes, qui seront payées en raison de leur emploi, le travail commencé sur les cartes et catalogues envoyés. »

Une députation du bataillon des gardes nationales volontaires du département de la Corrèze est introduite à la barre.

M. le Président invite les pétitionnaires a exposer succinctement l'objet de leur pétition.

L'orateur de la députation Messieurs, notre pétition est pour vous présenter nos hommages et pour vous prier de nous employer aux frontières.

Plusieurs membres: Lisez ! lisez!

L'orateur de la députation: Législateurs, le bataillon des gardes nationales du département de la Corrèze a cru se former pour marcher aux frontières. Animés de cet espoir, nous avons quitté sans regret nos familles, nos amis, tout ce que nous connaissons de plus cher avant de connaître une patrie.

Persuadés que l'observation rigoureuse des règles militaires est la première qualité du soldat qui veut vaincre, nous avons en quelque sorte prévenu vos derniers décrets sur les gardes nationales, en nous imposant une discipline active

et sévère.

Mais quels ont été nos regrets d'apprendre, en arrivant aux portes de la capitale, que là doit se terminer cette campagne, dont nous goûtions déjà d'avance les fatigues et les dangers. D'autres cueilleront les lauriers aux champs de la victoire; peut-être ils reviendront couverts de généreuses blessures, plus enviées encore que les lauriers; nous entendrons les chants des fêtes triomphales que vous allez consacrer à l'honneur de ceux qui auront bien servi la patrie; et nous, soldats inutiles de cette patrie, qui auront passé le temps du péril dans une douloureuse inactivité, nous n'oserons partager les transports de la joie commune, comme nous baisserons nos regards devant nos compagnons victorieux !

Pères de la patrie, nous savons que notre premier devoir est de la servir avec fidélité dans tous les postes où elle nous aura placés. Mais lorsqu'elle rallie autour d'elle ses vrais, ses fidèles enfants pour les opposer aux traîtres qui

conspirent sa ruine, lorsque les éternels ennemis de la raison et du genre humain, le despotisme et l'orgueil, se liguent contre elle, exigerait-on d'une troupe de soldats-citoyens de ne pas ambitionner les postes les plus périlleux ? Voudrait-on leur interdire les élans généreux de cette vertu qui précipita les Décius au milieu des rangs ennemis, qui arrêta les Spartiates au pieds des Thermopyles.

Pourquoi nous retenir auprès de la capitale ? Où sont les dangers qui la menacent ? Les vainqueurs de la Bastille respirent au milieu d'elle. N'a-t-elle pas dans son sein les représentants du peuple français, investis de sa puissance, et seuls organes de sa volonté souveraine? vous, Messieurs, que l'amour du peuple environne, à qui les intrigues et la calomnie n'ont pu dérober la moindre partie de sa confiance, de cette confiance si nécessaire au maintien de la Constitution, et que, déjà, vous avez si bien méritée? Les ennemis de la patrie ne sont pas à craindre où vous êtes. Ici, la majesté des lois suffit pour les accabler, et c'est au delà du Rhin que l'honneur appelle des soldats patriotes, c'est là qu'il hâte l'accomplissement religieux de nos serments; nous n'avons fait encore que celui de défendre notre liberté, mais que les rois protecteurs de nos conjurés craignent d'en entendre un plus redoutable; celui de la faire connaître, de la faire aimer aux peuples qu'ils oppriment: qu'ils craignent que lassés de leurs perfides négociations, indignés des outrages réitérés qu'ils font au nom français, nous n'entreprenions enfin d'arborer au milieu de leurs campagnes étonnées les saints étendards de notre Constitution. Le temps est venu où la guerre ne sera plus le fléau du genre humain, mais le moyen le plus sùr d'affranchir les peuples asservis; et d'élever à la liberté de nouveaux autels. Voilà, législateurs, les conquêtes réservées à la nation française, les seules dont l'amour d'une véritable gloire puisse inspirer encore le désir aux amis de la justice et de l'humanité. (Applaudisements prolongés.)

M. le Président répond aux pétitionnaires et leur accorde les honneurs de la séance.)

Plusieurs membres demandent l'insertion de cette adresse au procès-verbal avec mention honorable.

(L'Assemblée décrète l'insertion de cette adresse au procès-verbal avec mention honorable.)

M. Rougier-La-Bergerie. Pour répondre au vou de ces braves volontaires nationaux, je demande que leur adresse soit renvoyée au pouvoir exécutif qui est seul chargé du mouvement des troupes.

(L'Assemblée renvoie l'adresse des volontaires nationaux de la Corrèze au pouvoir exécutif.)

M. Marbot. L'Assemblée n'apprendra pas sans intérêt qu'elle vient d'admettre dans son sein un des compagnons d'armes du brave d'Assas qui a péri à Clostercamp, victime de son généreux dévouement; il a vu d'Assas tomber à ses côtés. Après avoir servi avec distinction pendant 32 ans dans les troupes de ligne, ce brave soldat s'était retiré dans sa famille pour y jouir des douceurs du repos. Lorsqu'il a appris que la France ralliait ses enfants sous les étendards de la liberté, il n'a consulté que son courage, et il a consacré de nouveau les forces qui lui restent au service de sa patrie. Ses concitoyens lui ont rendu la justice qu'il mérite, en l'élevant au grade de capitaine dans le bataillon de la Corrèze.

Mais, Messieurs, ce généreux citoyen n'était qu'un simple soldat, et sa gloire est restée ignorée, comme elle est restée sans récompense; j'en demande, Messieurs, une bien grande pour lui, une récompense qui le dédommagera de tout, c'est que son nom soit honorablement inscrit au procès-verbal. (Oui! oui! - Applaudissements.)

(L'Assemblée ordonne cette mention honorable. -Applaudissements.)

Plusieurs membres : Le nom de ce brave militaire?

M. Léopold. Je demande qu'il aille lui-même au bureau le faire inscrire.

M. le Président, s'adressant à l'orateur de la députation. Au nom de l'Assemblée, Monsieur, je vous invite à venir au bureau pour inscrire vousmême votre nom.

Le capitaine du bataillon de la Corrèze traverse la salle au milieu des applaudissements, se rend au bureau et fait inscrire son nom.

M. le Président. Messieurs, ce brave soldat se nomme Juniroux. (Vifs applaudissements.)

M. Dieudonné, au nom du comité de l'ordinaire des finances, fait un rapport et présente un projet de décret sur le recouvrement d'une somme de plus de 6 millions due au Trésor public par les acquéreurs de l'ancien enclos des Quinze-Vingts. Il s'exprime ainsi :

Messieurs, plusieurs réclamations ont été portées à l'Assemblée nationale constituante, relativement à l'administration de l'hôpital des Quinze-Vingts. Des malversations, des vexations de tout genre avaient depuis longtemps avili, déshonoré cet établissement. Il suffit de nommer celui qui était le chef de cette administration pour se faire une idée de la corruption qui s'y était glissée; c'est le cardinal de Rohan. L'ASsemblée constituante, après avoir vérifié les réclamations des administrateurs des QuinzeVingts, après avoir entendu plusieurs fois le rapport de ses comités de mendicité et ecclésiastique, a rendu, le 7 avril 1791, un décret dont l'effet devait être de mettre fin à ces malversations et de corriger l'administration de cet hôpital.

Par une fausse interprétation du dernier article de ce décret, une créance du Trésor public a été compromise. L'agent du Trésor public avait, pour la conservation de cette créance, formé des oppositions dont la main-levée a été prononcée le 11 décembre dernier, par le tribunal du premier arrondissement, qui a mal interprété le décret de l'Assemblée constituante. L'agent du Trésor public a interjeté appel de ce jugement; mais le tribunal qui sera saisi de cette affaire, peut être induit en erreur comme le premier, sur les termes du décret du 7 avril 1791. Votre comité a pensé que vous deviez prévenir cette erreur et mettre à couvert l'intérêt de la nation, en interprêtant ce décret. Et c'est pour parvenir à ce but qu'il m'a chargé de vous proposer le projet de décret suivant (1) :

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'ordinaire des finances sur les créances dues au Trésor public

(1) Bibliothèque nationale. Assemblée législative, Dette publique, H.

par les acquéreurs de l'ancien enclos des QuinzeVingts, considérant que la vente prochaine des maisons acquises par ces derniers, exige que l'agent du Trésor public fasse les plus promptes diligences pour assurer le recouvrement des sommes dues à la nation, et affectées par un privilège spécial sur ces maisons; et que cependant la marche du même agent est embarrassée, et même arrêtée par la fausse interprétation donnée au décret rendu le 7 avril 1791 sur l'administration des Quinze-Vingts, décrète qu'il y a urgence.

Décret principal.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, considérant que l'arrêt du conseil du 8 février 1787, par lequel le roi s'est chargé de payer aux Génois une somme de 4 millions à la décharge du sieur Seguin et compagnie, n'a eu aucun rapport à l'administration de l'hôpital des Quinze-Vingts, déclare qu'il n'a pu être frappé de la nullite prononcée par l'article 3 du décret du 7 avril 1791, contre les arrêts du conseil mentionnés audit article en conséquence, décrète que l'agent du Trésor public fera valoir, par devant les tribunaux, les droits et privilèges qui ont été assurés à l'Etat par cet arrêt du conseil du 8 février 1787, et fera aussi toutes diligences pour assurer le recouvrement de ce qui est dù au Trésor public par le sieur Seguin et compagnie, tant par le même arrêt que par d'autres titres.

Décrète pareillement que les arrêts du conseil rendus postérieurement aux lettres patentes du mois de décembre 1779, pour régler les difficultés survenues entre les acquéreurs de l'enclos et leurs ouvriers, constructeurs et entrepreneurs, au sujet du prix des ouvrages faits dans les bâtiments acquis par le sieur Seguin et compagnie, et qui n'ont eu aucune relation à l'administration de Quinze-Vingts, n'ont pu être compris dans la nullité prononcée par l'article 3 du décret du 7 avril 1791. »

M. Baignoux. Un projet aussi important doit être discuté mûrement et non adopté après un décret d'urgence. Je demande l'ajournement à jeudi et l'impression du rapport afin de mettre l'Assemblée à portée de juger avec connaissance de cause.

M. Aubert-Dubayet. Je demande que, du moins, la vente soit suspendue.

M. Guyton-Morveau. Messieurs, rien n'est plus urgent que cette affaire, et si vous ne rendez pas le decret qu'on vous propose, vous laissez perdre l'hypothèque de la nation. L'Etat court grand risque de perdre sa créance par le moindre délai, et il est instant de mettre opposition à la vente des seuls objets qui garantissent la créance nationale. D'après cela, je demande la question préalable sur l'ajournement.

M. Dieudonné, rapporteur. J'observe de plus à l'Assemblée que les formes réglementaires du décret d'urgence sont remplies, puisque le projet est imprimé depuis vingt-quatre heures.

Plusieurs membres Aux voix! aux voix le projet !

(L'Assemblée rejette l'ajournement et après avoir prononcé l'urgence, adopte le projet de décret définitif.)

M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité de marine relatif à la distribution du pain aux ouvriers des ports et arsenaux.

M. Bouestard, au nom du comité des secours publics, demande que l'on mette de suite en discussion un projet de décret très urgent relatif à la continuation des travaux du canal de Bourgogne.

(L'Assemblée décide qu'il sera entendu après le rapport du comité de marine.)

M. Granet, au nom du comité de marine, fait en conséquence, un rapport sur une pétition des marins et des ouvriers de l'arsenal de Toulon, relative à la distribution du pain aux ouvriers des ports et arsenaux (1); il s'exprime ainsi (2):

Messieurs, les marins et ouvriers de l'arsenal de Toulon adressèrent, le 27 octobre dernier, au ninistre de la marine, un mémoire pour demander qu'à l'instar de ce qui se pratique dans les ports de Brest et de Rochefort, le munitionnaire de la marine fùt tenu de leur fournir journellement la quantité de pain nécessaire aux besoins de leurs familles, en retenant, sur leurs salaires, le montant de cette fourniture, réglé d'après le prix d'achat des grains.

Le ministre de la marine écrivit, le 21 novembre suivant, à l'Assemblée nationale, une lettre par laquelle il la supplie de vouloir bien rendre un décret qui prohibe formellement un munitionnaire de la marine toute fourniture qui n'aurait pas pour objet direct le service dont il est et a dù être chargé.

Votre comité de la marine, auquel vous avez renvoyé l'examen des motifs développés dans cette lettre, n'a pu partager l'opinion du ministre. L'extension des achats du munitionnaire, bien loin d'être dispendieuse et alarmante, formerait au contraire une masse rassurante d'apprivisionnements et une économie, par la différence du prix entre la vente en gros et le débit en détail. Les pertes sur les recouvrements, la multiplication des agents, l'insuffisance du local lors des grands mouvements, les embarras d'une surveillance plus active, sont des inconvénients légers et faciles à prévenir par l'établissement d'un ordre permanent dans cette distribution journalière.

Enfin l'injustice envers les boulangers établis dans les villes maritimes ne pourrait être alléguée que dans ces temps où les maîtrises pouvaient invoquer des privilèges exclusifs, et non sous un régime de liberté pour le consommateur.

C'est cependant sous de tels prétextes qu'on vous demande, Messieurs, de prohiber, par une loi, ces distributions de pain aux ouvriers. Vous rejetterez sans doute une pareille proposition, et yous occupant de cet objet en législateurs amis du peuple, vous consacrerez, par un décret général, ces distributions aussi justes que nécessaires.

Les ouvriers des ports et arsenaux forment une classe utile et précieuse à la nation. Attachés à leurs travaux par des salaires fixes et déterminés, qui, malgré l'accroissement successif du prix de tous les comestibles, n'ont point reçu, depuis près d'un demi-siècle, un accroissement dont votre justice s'occupera sans doute, ils sont prêts, à tous instants, à s'embarquer sur les vaisseaux de l'Etat pour des expéditions lointaines et périlleuses; ils laissent dans nos ports des familles

(1) Voir la lettre du ministre de la marine sur cet objet, séance du 22 novembre 1791, tome XXXV, p. 286. (2) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection des affaires du temps, Bf-in-8° 165, tome 146, n° 30.

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