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à ce qu'il soit porté la moindre atteinte à nos lois constitutionnelles.

Si j'ai prouvé, Messieurs, que les articles supplémentaires présentés par votre comité ne sont pas strictement nécessaires au mouvement de fa haute cour nationale, et que vous ne pouvez, dans aucun cas, déclarer qu'un décret n'est pas sujet à la sanction, ni le ranger dans la classe de ceux qui en sont affranchis par la Constitution, je ne vois pas pourquoi cette discussion se prolongerait plus longtemps; il me semble qu'elle doit se terminer à l'instant où le moyen de mettre la haute cour nationale, le plus promptement possible, en activité, est trouvé, et je crois, Messieurs, qu'il consiste, pour suppléer aux articles que vous avez décrétés, à déclarer que le ministre de la justice est responsable de la non-exécution de la loi du 15 mai.

En conséquence je conclus:

1o A la question préalable sur la motion de M. Gensonné tendant à déclarer que les articles additionnels à l'organisation de la haute cour nationale ne sont pas sujets à la sanction;

2° A l'ajournement des articles additionnels présentés par votre comité de législation;

3o A ce que M. le ministre de la justice rende compte demain à l'Assemblée des mesures qu'il a prises pour faire exécuter les dispositions prescrites par la loi du 15 mai et à ce qu'il soit décrété qu'il sera tenu, sous sa responsabilité, de mettre la haute cour nationale en activité dans le délai de quinze jours. (Applaudissements.)

M. Rouyer et quelques membres: Monsieur le Président, nous demandons que la discussion soit fermée; cette motion est appuyée. (Non! non!)

M. Reboul. Nous ne pouvons toujours répéter la même chose à l'Assemblée. Je la crois assez éclairée je demande que la discussion soit fermée.

M. Merlin. M. Gérardin vient de proposer à l'Assemblée un projet de décret que je me propose d'appuyer par d'autres considérations que je vais y ajouter, si l'intention de l'Assemblée n'est pas de décréter les propositions faites par M. Gérardin.

M. Isnard. Il vient d'être fait une proposition d'ajournement. Avant de prolonger davantage la discussion sur le fond de la question, il faut ouvrir la discussion sur l'ajournement, parce qu'il est clair que si l'on démontre que l'ajournement est nécessaire, en l'acceptant on ferme la discussion et on évite beaucoup de temps perdu. Quand une discussion a eu lieu pendant trois séances, elle doit être assez éclaircie; ou, si elle ne l'est pas, il faut la renvoyer à un temps plus éloigné. Ainsi, puisqu'il vient d'être fait une motion d'ajournement, je serais d'avis que l'on discutât la question sur l'ajournement, et je demande qu'on mette aux voix pour savoir si la discussion sur l'ajournement aura la priorité.

Un membre: Je suis de l'avis de l'ajournement; mais je vous observe que la demande en ajournement équivaut à demander le rapport des articles supplémentaires de la loi du 15 mai sur l'organisation de la haute cour nationale. Ainsi c'est pour le rapport du décret que je demande la parole...

Plusieurs membres: Ce n'est pas là la question. Le même membre: Vous ne pouvez pas demander l'ajournement d'un décret que vous avez porté; vous ne pouvez que le rapporter.

M. Gensonné. Je demande la parole pour

établir l'état de la question. Il ne s'agit point de délibérer sur le rapport du décret; la motion d'ajournement a été faite uniquement dans ce sens que la discussion sur la question préalable proposée par le comité serait ajournée, ce qui exclut la demande en rapport des décrets. Il s'agit seulement de délibérer sur la question de savoir si la discussion sera ajournée indéfiniment; oui ou non; les décrets néanmojns tiennent toujours. L'Assemblée ne fera que délibérer sur l'ajournement de la discussion sur la motion incidente que j'avais faite de savoir si les décrets sont ou ne sont pas sujets à la sanction. L'Assemblée veut-elle ou ne veut-elle pas ajourner cette discussion? Voilà à quoi se réduit la question. Je demande donc qu'on aille aux voix sur cette question: ajournera-t-on la discussion indéfiniment?

Je demanderai ensuite, conformément à la motion faite par M. Gérardin, que l'Assemblée enjoigne au ministre de la justice de prendre sous sa responsabilité toutes les mesures nécessaires pour mettre la haute cour nationale en activité, conformément à la loi du 15 mai. (Applaudissements).

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix ! M. Lasource. Je demande à rétablir... Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Lasource. Je demande qu'on mette alternativement aux voix ces deux propositions: 1° Fermera-t-on la discussion sur le fond? 2o Ouvrira-t-on la discussion sur l'ajourne

ment?

Voilà la véritable manière de poser la question. (Non! non!)

M. Delacroix. Il est impossible d'adopter la motion du préopinant, car l'ajournement donne lieu à discuter de nouveau; et cette discussion éloigne celle sur le fond. Je demande donc que l'on mette d'abord l'ajournement de la question aux voix, et s'il est rejeté, l'Assemblée continuera ou fermera la discussion. (Bruit.)

Plusieurs membres : Aux voix l'ajournement! D'autres membres: Allez donc! allez donc, Monsieur le Président! Aux voix l'ajournement! (Murmures bruyants et prolongés.)

Plusieurs membres : La question préalable sur l'ajournement!

M. Viénot-Vaublanc veut parler, sa voix est couverte; il a cependant dominé les murmures et se fait entendre ensuite dans le plus grand silence.

Je demande à faire une motion d'ordre. Tous les orateurs se sont accordés à dire que la question actuelle intéresse essentiellement la Constitution. D'après cela, je soutiens que ceux qui prétendent que les décrets additionnels à l'organisation de la haute cour nationale ne doivent pas être assujettis à la sanction ne peuvent pas consentir à l'ajournement; il faut que cette question soit absolument décidée. (Applaudissements et murmures.)

Je demande donc que la discussion s'ouvre sur la question très importante de l'ajournement. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Monsieur le Président, consultez l'Assemblée sur l'ajournement!

M. Becquey. Je demande la parole contre l'ajournement... (Murmures prolongés.)

M. Mathieu Dumas. La discussion est ouverte de droit et de fait sur l'ajournement, puis

que nous ne savons pas encore en quoi consiste l'ajournement.

M. Cambon. Je demande que l'on décrète l'ajournement pur et simple. (Murmures à droite. - Applaudissements à gauche.)

(Un long intervalle se passe dans l'agitation.) M. le Président. Messieurs, je consulte l'Assemblée pour savoir si M. Becquey sera entendu. (Non! non! Bruit.)

M. Ducos. Je demande la parole... (Les murmures couvrent la voix de l'orateur)... contre vous, Monsieur le Président. (Le calme se rétablit.) Une motion a été faite, c'est celle de l'ajournement. En tout état de cause, une semblable motion doit toujours être mise aux voix. Je ne sais pas si c'est parce que cette question est importante qu'on veut nous la faire juger précipitamment. La majorité de l'Assemblée se réunit évidemment pour l'ajournement. (Oui! oui! Non! non!) et je ne sais pas pourquoi ce vœu étant si fortement prononcé, vous ne l'avez pas mis aux voix. Je demande donc, Monsieur le Président, que vous fassiez votre dévoir et que vous consultiez l'Assemblée pour savoir si la discussion doit être fermée sur l'ajournement. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Mathieu Dumas. Je demande à parler pour l'ajournement; mais je demande que M. Becquey soit entendu contre.

M. le Président. Je sais très bien que lorsque l'ajournement est demandé, il est de mon devoir de le mettre aux voix; mais la question préalable est demandée sur l'ajournement et on demande à la motiver; je ne puis m'empêcher de donner la parole sur la question préalable.

Plusieurs membres: Aux voix la question préalable!

M. Becquey commence à parler contre l'ajournement.

M. Rouyer l'interrompt violemment et propose de nouveau l'ajournement.

M. Albitte s'approche du bureau et demande que les citoyens qui se sont introduits dans la salle et qui ont pris place parmi les députés, soient tenus de se retirer.

M. le Président. On vient de m'annoncer qu'il y a des étrangers dans l'Assemblée et qu'il y en a aux portes de l'Assemblée. Au nom de l'Assemblée, je les prie de sortir et j'ordonne aux huissiers de faire leur devoir.

(Plusieurs citoyens se retirent et passent dans les tribunes qui leur sont destinées.)

M. le Président. Je consulte maintenant l'Assemblée pour savoir si M. Becquey sera entendu. (L'Assemblée décide que M. Becquey sera entendu.)

M. Becquey. Je demande à motiver la question préalable sur l'ajournement.

Il n'est point dans mon intention de demander que l'Assemblée apporte de la précipitation dans le jugement de la question qu'elle agite depuis plusieurs jours. Si les opinions ne sont pas fixées sur la question qui nous occupe, il faut encore discuter; mais je ne crois pas qu'il soit convenable, je crois qu'il serait dangereux d'ajourner. L'ajournement est inconvenable, parce que toute la France sait que vous examinez avec une grande attention, une question de Constitution, celle de savoir si vous porterez ou si vous ne porterez pas à la sanction les décrets additionnels à la

formation de la haute cour nationale et elle attend que vous prononciez. De plus, quand le ministre de la justice a dit qu'il ne pouvait exécuter la loi du 15 mai, vous avez décrété 14 articles pour en faciliter l'exécution. Comment pourriez-vous ajourner la question qu'on vous propose, quand Vous avez une foule considérable d'accusés en prison, quand il est à craindre que l'incertitude que la haute cour nationale éprouvera, lorsqu'il s'agira d'exécuter la loi du 15 mai, ne prolonge on ne sait jusqu'à quel terme le jugement qu'elle doit rendre sur vos décrets d'accusation. Il faut, Messieurs, si les décrets ne doivent pas être portés à la sanction, que l'Assemblée nationale en convienne et le dise; mais aussi, s'ils doivent l'être, il faut qu'elle déclare, avec la même loyauté et franchise, qu'ils seront présentés à la sanction du roi.

Je vais plus loin, je dis qu'il y a un extrême danger à suspendre plus longtemps votre décision, et que l'ajournement serait un acte de faiblesse. Que voulez-vous, Messieurs? Vous voulez que les coupables soient punis; vous voulez que les conspirateurs soient promptement jugés. Y parviendrez-vous par l'ajournement? Je ne le crois pas. Le pouvoir exécutif trouverait dans l'ajournement que vous prononceriez des motifs bien plus puissants d'accorder l'impunité aux coupables, en vous disant: Je ne peux pas exécuter la loi du 15 mai; vous l'avez reconnu vousmêmes, puisque vous avez décrété 14 articles que vous avez cru indispensables, et, néanmoins, vous voulez me forcer à exécuter cette loi.

Aussi, d'un côté, les accusés languiront dans les prisons, et plusieurs sont peut-être innocents; d'autre part, les coupables ne seront point punis; car vous mettrez dans la main du pouvoir exécutif la faculté d'arrêter, s'il lui convient, cette punition. Je demande donc la question préalable sur l'ajournement et que la discussion soit continuée. (Applaudissements.)

M. Merlin. Ce n'est pas sans crainte que j'ai vu l'Assemblée nationale prête à prononcer sur un objet d'une telle importance que, quelle que soit sa décision, il n'en peut résulter que de grands malheurs pour la patrie. D'après cette opinion, j'ai pensé que l'ajournement indéfini était le seul partì que l'Assemblée nationale devait prendre, non pas par faiblesse, comme vient de le dire M. Becquey (Bruit.), non pas par la crainte de voir les accusés soustraits à la vengeance des lois, mais parce que le décret qui a donné lieu à cette discussion, n'est nullement nécessaire pour mettre la haute cour nationale en activité... (Murmures.)

Plusieurs membres : Ce n'est pas là la question! M. Vergniaud. Monsieur le Président, je demande la parole.

M. Merlin. Je suis dans la question.

Je viens à l'article 1er de la loi du 15 mai; cette loi forme le tribunal, elle décide de quelle manière ce tribunal appliquera la loi sur le point de fait prononcé par le juré. Les autres articles règlent la compétence des jurés, celle du tribunal, institue le lieu, le temps, la manière dont il doit procéder. Les articles suivants ne laissent rien à désirer à celui qui veut sincèrement voir marcher la haute cour. Cette loi a donc tout prévu à l'exception de la nomination d'un greffier et de quelques huissiers qu'il sera bien sans doute au pouvoir des juges de cette haute cour de se donner eux-mêmes; elle a même implicitement décidé quel serait l'ordre de la corres

pondance des grands-procurateurs, puisqu'elle a dit qu'ils ne seraient que les agents du pouvoir législatif.

Je demande donc, puisque cette loi a tout prévu, l'ajournement indéfini de la question de savoir si l'on portera le décret à la sanction du roi.

M. Ducastel. Messieurs, vous avez agité une grande question. On demande l'ajournement de cette question; je soutiens que l'ajournement est inutile. Sur quoi le fonderait-on? Est-ce parce que la question n'est pas assez connue? Elle est coulée à fond. (Oh! oh!) Et je le dis sans partialité; je suis aussi inscrit sur la liste pour parler, j'ai aussi un discours fait; j'en fais volontiers le sacrifice.

Relativement à ce qu'on pourrait prétendre que la question n'est pas assez entendue, je réponds que ou nous avons toute les notions nécessaires, ou il ne faut plus que quelques heures de discussion pour les acquérir et pour en finir. Il n'est donc pas besoin de l'ajournement si l'on veut aller au fait. D'ailleurs, il faut considérer encore si l'ajournement ne serait pas dangereux; il faut voir si vos articles, si le décret que vous voulez faire, est nécessaire ou ne l'est pas. Voilà la vraie question qu'il faut examiner, et ce n'est que dans le cas où le décret ne serait pas essentiel, que vous pourriez ajourner.

J'entends bien qu'on demande l'ajournement parce qu'on ne veut pas se livrer à la discussion de la grande question. Tous les bons esprits en sont d'avis; mais, je le dis avec franchise, la sanction est nécessaire. (Murmures.) C'est mon opinion; l'opinion contraire est fort libre. Je ne m'élève jamais contre l'opinion de personne; j'en maintiens aussi l'indépendance; je voudrais que tout le monde pensât ainsi. Je n'approuve ni ne désapprouve, telle est ma manière de penser.

Je demande que la discussion s'ouvre sur la question de savoir si les articles additionnels sont nécessaires ou non à l'organisation de la haute cour nationale.

M. Grangeneuve. Je crois que les préopinants se sont écartés du véritable état de la question. Quand on propose un ajournement, deux motifs peuvent décider celui qui le propose. Le premier, c'est que la question n'a pas été suffisamment discutée et que l'on a besoin de remettre à un autre temps pour se préparer à la mieux connaître. Le second motif, beaucoup plus important, peut être tiré des circonstances où l'on se trouve et qui ne permettent pas d'agiter ni de décider librement la question qui est proposée. (Murmures.) Toutes les fois qu'il y a dans les esprits une prévention juste, nécessaire, et qu'il faut discuter et décider une question sous prévention, c'est là un motif d'ajournement.

Or, dans ce moment, il y a nécessairement, et elle s'est manifestée d'une manière prononcée, une forte et juste prévention qui ne vous permet pas de délibérer sur la question. Tous ceux qui ont discuté cette question se sont demandé si le roi apposerait son veto aux articles supplémentaires que vous avez décrétés ou s'il ne l'apposerait pas. La crainte qu'il n'appose ce veto est dans tous les cœurs. (Non! non!); si elle n'y est pas, elle devrait y être. (Applaudissements dans les tribunes.) En voici une preuve. Le roi, dans ce moment, n'est pas le chef suprême du pouvoir exécutif ordinaire. Il est nécessaire

ment récusable dans la circonstance. (Murmures dans l'Assemblée. Applaudissements dans les tribunes.) Les premières personnes sur lesquelles frappera le décret qui mettra en activité la haute cour nationale, ces premières personnes sont les frères du roi.

Lorsque la Constitution a déclaré en termes formels que les actes relatifs à la responsabilité des ministres ne seraient pas sujets à la sanction, la raison de cette décision a été nécessairement qu'elle n'a pas voulu que cette sanction pût être refusée aux décrets sans lesquels les actes d'accusation seraient rendus illusoires par une volonté récusable. Il ne peut pas y avoir eu d'autres principes (Applaudissements dans les tribunes.), il ne peut pas y avoir eu d'autre raison de décider que les actes relatifs à la responsabilité des ministres ne seraient pas sujets à la sanction. Cette même raison doit vous faire regarder aujourd'hui le pouvoir exécutif comme suspect et le roi lui-même comme récusable, puisque ses frères doivent être les premières victimes des actes de la haute cour nationale. (Applaudissements dans les tribunes.) Telles sont, Messieurs, les premières conséquences que l'on doit tirer des dispositions de l'Acte constitutionnel.

Maintenant, je demande si on ne doit pas être pénétré de cette crainte que le roi, ayant à donner sa sanction à des décrets qui compromettent la tête de ses frères, ne se détermine à la refuser. Je dis qu'on doit l'avoir, cette crainte, parce que déjà l'homme trop sensible s'est montré là où le représentant impassible de la nation devait seul paraître. (Bravo! bravo! Applaudissements dans les tribunes.) Déjà vous aviez rendu un décret contre les émigrés; ce décret n'a pas eu de sanction et la proclamation qui est venue à la suite vous a dit assez que le frère des princes avait été plus fort que le roi des Français. (Applaudissements dans les tribunes.)

Il doit donc nécessairement exister dans le cœur de tous les membres de l'Assemblée la crainte de voir apposer le veto sur les articles du décret que vous avez rendu. Si cette crainte est juste, où une conséquence nécessaire de ce qui est arrivé, pouvez-vous conserver la liberté d'opinion qu'il vous faudrait pour voir exactement et uniquement la question en droit public. (Oui! oui! - Non! non !) Je dis que, malgré nous, cette crainte est réelle et doit nécessairement arrêter notre décision (Oh! oh! Non! non!)

:

Mais il existe un autre motif qui doit faire prononcer l'ajournement et le voici Si le velo était apposé à votre décret, il serait peut-être absolument impossible que la haute cour nationale s'organisât, au lieu que, sans ces articles, elle pourrait s'organiser, et j'en fais la preuve.

La loi du 15 mai suffit essentiellement, telle qu'elle est, à l'organisation et à l'activité de la haute cour nationale. Que faut-il, en effet, pour qu'un tribunal puisse agir? Il faut que les juges soient nommés et puissent se rassembler; il faut que leur compétence soit bien fixée. Or, ici, le décret du 15 mai annonce positivement quels juges doivent se rassembler et les 4 grands juges ont seuls le pouvoir d'appeler toutes les personnes nécessaires à la composition du tribunal; leur compétence est fixée. Toutes les bases essentielles à l'établissement de la haute cour nationale sont donc posées. Si, au contraire, vous décrétez tous ces détails, que la haute cour nationale pourra aussi bien organiser que vous, et si, en présentant le décret à la sanction, il était

frappé du veto, la haute cour nationale se trouverait gênée et elle ne pourrait plus s'organiser elle-même. (Applaudissements dans les tribunes.) Au contraire, en laissant les choses comme elles sont, la haute cour nationale est indépendante du pouvoir exécutif, les bases de son organisation sont fixées et elle peut elle-même suppléer à ces articles de détail, sans le concours des ministres. Ainsi, vous viendriez sans nécessité paralyser cette haute cour nationale, si vous vous obstiniez à décider aujourd'hui la question de la sanction, car, dans le cas du veto, elle ne pourrait donner aucune suite à ces articles sans opposer un veto particulier à celui du roi. Je soutiens donc que, par tous ces motifs, l'Assemblée ne peut pas se dispenser de prononcer l'ajournement. (Applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres : La discussion fermée! aux voix l'ajournement!

M. Ramond. On pourrait peut-être trouver étonnant que la demande d'ajournement parte précisément des personnes qui ont opiné avec le plus de chaleur et ont manifesté leur opinion de la manière la plus décisive en faveur de la question qu'il s'agirait d'éloigner.

Un membre: Et vice-versa.

M. Ramond. Actuellement, Messieurs, qu'on s'appuie de considérations ambiantes... (Clameurs au dehors de la salle.) S'il était question de considérations étrangères, vous n'auriez pas besoin de franchir tout le jardin des Tuileries (1) pour en trouver autour de vous du nombre de celles qu'on appelle de circonstance. (Murmures à gauche.)

Plusieurs membres : Ce n'est pas là la question! M. Ramond. Je dis, moi, qu'il est d'une suprême indécence (Bruit.), que l'on profère dans le sein du Corps législatif que nous ne sommes pas dans une circonstance... (Murmures prolongés à gauche; grande agitation.)

M. le Président. L'opinant a la parole et je maintiendrai inviolablement la parole à celui à qui elle appartient: Je réclame le silence.

M. Ramond. Je dis qu'il est étonnant que l'on profère dans le Corps législatif que, dans quelque circonstance que ce puisse être, nous ne sommes pas libres de nous décider. Mais il faut nécessairement considérer la question en ellemême. De quelque côté que l'on se tourne, au bout de l'ajournement qu'on vous propose, on trouve l'absurde. En effet, ajournerez-vous indéfiniment ou définiment? Les opinions manifestées jusqu'à ce moment font assez connaître que l'on entend une continuation de discussion, un ajournement défini. Or, pendant le cours de cet ajournement, les accusés détenus à Orléans y languiront-ils, oui ou non?

Plusieurs membres : Non! non!

M. Ramond. Vous organiserez donc le tribunal du 15 mai. (Oui! oui !) Donc la loi du 15 mai est suffisante; mais si elle est suffisante, tous les motifs tirés de la Constitution sur ce qu'elle ne suffisait pas, tombent d'eux-mêmes. Si ces motifs tombent le décret est législatif et s'il est

(1) Pour comprendre cette phrase, il faut savoir que sur la terrasse des Tuileries, dite des Feuillants, et tout près de la salle de l'Assemblée nationale, il y avait un rassemblement de 60 à 80 personnes qui faisaient entendre ce cri: « Point de sanction! point de veto!» (Auditeur national, 1791-1792, tome I, n° 101, page 6.)

législatif, il faut le décréter et ne pas différer une décision sur laquelle il ne peut plus exister de doute réel.

Je rejette donc l'ajournement...

M. Rouyer. Nous le ramassons.

M. Ramond... et je le rejette par plusieurs considérations. L'une des premières est là... Ecoutez... (L'orateur se tourne vers les Tuileries d'où l'on entend les clameurs du peuple et les cris: Point de sanction! point de sanction! Vifs applaudissements à droite et au centre de l'Assemblée; murmures à gauche.)

Ces clameurs ne m'effraient pas, et j'avance dans la question.

Les misérables débats élevés dans l'Assemblée nationale, vous ont montré tous les inconvénients de l'ajournement, je veux vous en montrer un qui n'a point encore été présenté; le voici c'est la haute cour nationale elle-même qui jugera le différend qui nous occupe. En effet, d'après ce que vous a proposé M. Gérardin de rendre le ministre de la justice responsable des moyens qu'il aurait à prendre pour mettre la haute cour nationale en activité, il s'ensuivrait que la haute cour nationale elle-même jugerait les lois faites pour son organisation. Je m'explique, si vous décrétez que vos articles du 3 janvier ne seront pas portés à la sanction, il arriverait que le ministre de la justice, refusant de les exécuter, vous l'accuserez. Lorsque vous l'auriez accusé, ce serait le haut juré qui décidera la grande question de savoir si le ministre peut ou ne peut pas refuser l'exécution de votre décret. Vous tournez donc de toutes parts dans un cercle vicieux. En vain vous tenterez d'étendre la discussion; vous ne réussirez qu'à porter le trouble dans les débats. Je demande donc la question préalable sur l'ajournement; car je remarque qu'on cherche à égarer l'opinion publique, pour gêner d'une manière odieuse notre liberté et que l'on entoure nos délibérations de manoeuvres et de machinations auxquelles nous devrions rougir de céder en la moindre chose. (Vifs applaudissements à droite.)

M. Vergniaud prétend que la liste des orateurs a été changée au bureau. (Murmures.)

M. Aubert-Dubayet. Je voterai l'ajournement, mais je suis profondément indigné qu'on ait cherché à nous intimider par des considérations particulières.

M. Reboul. Je me ferai un devoir de ne chercher mes motifs que dans le fond de la question. Je ne suis point de ceux qui ont pris avec tant de chaleur, ainsi que l'a dit le préopinant, le parti de déclarer que le décret ne devait point être sujet à la sanction. Mon opinion est contraire, mais je n'en suis pas moins de l'avis de l'ajournement. Je suis de cet avis par la raison suprême de l'intérêt public. En effet, Messieurs, il s'agit de savoir si, en ajournant définiment ou indéfiniment la discussion, l'organisation de la haute cour nationale sera plus tôt, plus sûrement et plus complétement faite. Or, je dis que, si nous ajournons cette question dangereuse qui s'est élevée, nous obtenons ce que nous devons désirer, une organisation prompte, sûre et complète de la haute cour nationale.

Si, au contraire, nous envoyons à la sanction le décret que nous avons rendu, il sera ou il ne sera pas sanctionné. S'il n'est pas sanctionné, vous devez craindre que la haute cour ne soit pas organisée de longtemps. S'il est sanctionné,

vous devez craindre encore plus; car vous savez que la sanction peut être retardée pendant deux mois et je vous demande si retarder la sanction de deux mois n'équivaudrait pas à ce que l'organisation ne fût pas faite. Le ministre de la justice ne manquerait pas de motifs pour venir vous dire que la sanction n'ayant pas encore été prononcée sur les articles additionnels, il n'a pas été possible de mettre la haute cour nationale en activité. Dans le système de M. Gérardin, au contraire, le ministre sera responsable dé tous les délais.

Qu'arrivera-t-il, si vous ajournez indéfiniment cette question? Il arrivera que vous ordonnerez au ministre de la justice de faire exécuter la loi du 15 mai qui est suffisante, quoi qu'on en dise. Si la liste des jurés venait à être épuisée, alors le ministre de la justice demanderait positivement à l'Assemblée de décider la question; mais rien ne presse ce jugement dans la circonstance, car les décrets d'accusation que vous avez rendus ne suffisent pas pour épuiser la liste des jurés.

Je n'ajouterai qu'une seule observation. C'est le ministre de la justice qui a soulevé la question inconcevable de savoir si le juré serait organisé tout de suite, ou si cette organisation serait renvoyée à une époque éloignée. Je ne vous le dissimule point, je crois apercevoir dans cette marche le dessein de gagner du temps, le dessein de paralyser les institutions constitutionnelles qui sont les premières garanties de la liberté civile et politique. Je regarde, en un mot, la proposition qui vous a été faite de statuer promptement et en bloc, sur l'organisation de fa haute cour nationale, je la regarde comme un piège; et ce piège qui vous a été tendu par le ministre, je ne lui fais pas même l'honneur de l'en accuser.

Plusieurs membres: La discussion fermée sur l'ajournement !

(L'Assemblée ferme la discussion à une très grande majorité.)

Plusieurs membres Aux voix l'ajournement ! D'autres membres: La question préalable sur l'ajournement !

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur l'ajournement.

(L'Assemblée rejette la question préalable sur l'ajournement.)

M. le Président. Je mets aux voix l'ajournement.

M. Goujon. Je demande que la question soit posée d'une manière simple et précise.

Plusieurs membres font diverses propositions à ce sujet.

M. Gensonné. L'ajournement proposé consiste à demander que l'Assemblée aille aux voix sur la question de savoir si la discussion demeurera indéfiniment ajournée. (Oui! oui !)

[L'Assemblée, consultée, adopte l'ajournement indéfini proposé par M. Gensonné. (Vifs applaudissements dans une partie de l'Assemblée et dans les tribunes, et cris : Bravo! bravo!)]

En conséquence, le décret suivant est rendu : « L'Assemblée nationale décrète que la discussion sur la question de savoir si les articles additionnels à la loi du 15 mai, sur l'organisation de la haute cour nationale, proposés par le comité de législation, seront ou ne seront pas portés à la sanction, est ajournée.

M. Gérardin. Votre intention, en adoptant l'ajournement, a été d'organiser très promptement la haute cour nationale; c'est pourquoi je demande que l'on aille aux voix sur la troisième partie de ma motion: 1o A ce que le ministre de la justice soit chargé de rendre compte à l'Assemblée nationale, sous huitaine, des mesures qu'il aura prises pour mettre la haute cour nationale en activité et qui consiste; 2° à ce que le ministre de la justice soit tenu, sous sa responsabilité, de mettre la haute cour nationale en activité dans le délai de quinzaine.

M. Thuriot. Sur la seconde partie de la proposition de M. Gérardin, j'observe qu'il est inutile de décréter que le ministre sera tenu, sous sa responsabilité, de mettre la haute cour nationale en activité, parce que cette responsabilité est prononcée par les décrets.

M. Goujon appuie la motion de M. Gérardin et propose de décréter plusieurs articles additionnels concernant les grands procurateurs de la nation. (Interruptions.)

M. Reboul insiste pour que la motion de M. Gérardin soit mise aux voix.

M. Lemontey. Si vous ne décrétez pas aujourd'hui que sous deux ou trois jours vos grands procurateurs se rendront à Orléans - et s'ils étaient partis, ils vous auraient épargné beaucoup de temps et de peine le ministre aura toujours raison de vous reprocher de l'avoir empêché d'agir. Je demande par amendement que les grands procurateurs soient tenus de se rendre à Orléans sous trois jours. (Applaudissements.)

M. Garran-de-Coulon, l'un des grands procurateurs de la nation. Quoique je n'aie pas pu me consulter avec mon collègue (1), je réponds, en son nom comme au mien, que nous regardons l'ajournement indéfini adopté par l'Assemblée, comme levant les obstacles qui nous retiennent ici. Ainsi, il n'est pas besoin de nouveau décret pour nous obliger à exécuter le premier (2), qui nous ordonnait de nous rendre à Orléans sous quatre jours et qui avait été provisoirement suspendu. Je dirai en même temps qu'il n'est pas besoin d'une délibération ultérieure de l'Assemblée pour nous obliger à nous conformer à la partie des décrets qui nous concernent, quoiqu'elle ne soit pas sanctionnée; cela n'a jamais fait de doute dans mon esprit. Je demande donc la question préalable sur tout ce qui nous concerne. (Applaudissements.)

(L'Assemblée, consultée, adopte la motion de M. Garran-de-Coulon.)

M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. Gérardin.

Plusieurs membres : La division! (L'Assemblée adopte la division.)

M. le Président met aux voix la première partie de la motion de M. Gérardin, qui est adoptée dans les termes suivants :

« L'Assemblée nationale charge le ministre de la justice de rendre compte à l'Assemblée nationale, sous huitaine, des mesures qu'il a prises pour mettre la haute cour nationale en activité. » M. le Président. Je mets aux voix la seconde partie de la motion de M. Gérardin.

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