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l'exercice des fonctions? Deux pouvoirs sont liés ensemble par la Constitution même on conçoit que l'un ne peut agir efficacement sans l'assentiment exprés de l'autre; mais il serait inconcevable que, dans ces cas où tout agit en actes, le Corps législatif étant tenu d'agir, son action pût être arrêtée ou suspendue par un autre pouvoir. Que serait une activité qui pourrait être ainsi arbitrairement restreint?

L'abus possible du veto a le droit, je l'avoue, d'inquiéter plus que votre rôle d'accusateur, puisqu'un seul homme en est l'arbitre il peut, ce veto, il peut entraver la marche et le succès d'une accusation d'où dépendrait le salut de l'Empire. Je n'ai qu'un mot à opposer à cette crainte que je partage dans l'éloignement, tout convaincu que je suis qu'elle est loin de se réaliser. Les pouvoirs constitués ont tous au-dessus d'eux leur créateur le peuple souverain. Qu'il ait toujours sur eux les yeux ouverts; et je promets que l'abus n'ira jamais loin.

J'ajoute que la Constitution même offre des ressources que le Corps législatif saura, sans doute, se ménager. Une loi, vous le savez, est susceptible d'être modifiée pendant le cours de la législature, lorsqu'elle a été décrétée par forme d'urgence. Si donc la loi que vous portez aujourd'hui et que vous décrétez par urgence, devait être arrêtée par le refus de sanction, ce refus ne pourrait être que momentané. Alors, je conseille de revoir le décret, de le modifier de manière à le rendre exécutable dans toutes ses parties et de le présenter de nouveau. Le décret que vous rendez aujourd'hui est un acte législatif, est une loi. La Constitution veut que toute loi soit soumise à la sanction, le cas de l'impôt excepté. Vous l'y présenterez donc. Je conclus à ce que cette présentation soit un article très exprès du décret.

M. Mailhe. Ceux qui parlent pour le projet du comité, me paraissent vaguer perpétuellement sur la question. Elle se trouve renfermée cependant dans des principes très simples, et leur énonciation suffit pour décider la question.

Le décret du 15 mai, relatif à la formation de la haute cour nationale, fut présenté, non pas à la sanction, mais à l'acceptation du roi. L'Assemblée constituante décida donc, dès lors, qu'il était de l'essence de cet établissement d'être totalement indépendant de l'autorité royale. On vient de dire que ce décret ne fut pas accepté, mais simplement sanctionné. C'est une véritable hérésie en matière de Constitution, c'est dire qu'il était au pouvoir du roi de dénaturer les bases fondamentales posées par le corps constituant.

Avec quelle force, d'ailleurs, avec quel caractère d'irréfragabilité le principe fondamental de la haute cour nationale ne fut-il pas consacré lors de la revision?

D'un côté, la haute cour nationale ne peut connaître, d'après cet acte, que des crimes à raison desquels le Corps législatif a rendu un décret d'accusation; d'un autre, ce même acte a soustrait à la sanction tous les décrets d'accusation rendus par le Corps législatif. Il est donc évident que, par la nature de son objet, la haute cour nationale est entièrement hors de l'autorité du roi.

L'Assemblée constituante ne fit que poser les bases de ce tribunal, et laissa au Corps législatif le soin de compléter son organisation, et d'assurer son activité. Ce travail ultérieur ne doit et

ne peut se faire avec le concours du pouvoir exécutif car, si les décrets relatifs à l'organisation et à l'activité de la haute cour nationale pouvaient dépendre du consentement du roi, il en résulterait que le roi pourrait à son gré arrêter la marche de ce tribunal. Il en résulterait que les décrets d'accusation déclarés exempts de la sanction par l'Acte constitutionnel, y seraient soumis par le fait, puisque le tribunal qui doit prononcer sur ces décrets, ne pourrait entrer en activité que par la volonté du roi. Il en résulterait enfin que la Constitution, que la liberté se trouveraient elles-mêmes à la merci du pouvoir exécutif.

Il est constant, en effet, que la responsabilité des ministres est la principale des bases sur lesquelles reposent la Constitution et la liberté. Or, un ministre, en place ou hors de place, ne peut être poursuivi pour fait de son administration, que devant la haute cour nationale et en vertu d'un décret du Corps législatif. Que deviendrait donc la loi de la responsabilité, si les décrets nécessaires pour l'activité du tribunal qui doit juger le ministre prévaricateur, pouvaient être arrêtés par le veto? Que deviendrait l'article de la Constitution, qui porte que Dans aucun cas l'ordre du roi, verbal ou par écrit, ne peut soustraire un ministre à la responsabilité? Et si cet article fondamental et conservateur de la liberté, peut être éludé, ne voyez-vous pas tous les pouvoirs prêts à rentrer dans la main du roi? Ne voyez-vous pas le despotisme se relever sans obstacle, pour unir impunément sa cause à celle de tant de rois intéressés à effacer votre Constitution du souvenir des hommes? (Applaudissements dans les tribunes.)

Je veux croire que le roi sanctionnerait les décrets relatifs à l'activité de la haute cour nationale; mais qui oserait faire valoir cette considération? Est-il permis de composer avec les principes de la liberté? Une fois hors de ces principes, on sait combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'y rentrer. Je suppose, d'ailleurs, que nous ayons un roi moins attaché à la Constitution que ne l'est Louis XVI; je suppose que ce roi sorte du royaume dans l'intention d'y rentrer à main armée, et qu'il encoure l'abdication légale. La Constitution ne dit-elle pas que, dans ce cas, les ministres seront tenus, sous leur responsabilité, de faire tous les actes du pouvoir exécutif, dont l'exercice sera suspendu dans la main du roi absent?

Or, je suppose encore qu'alors il soit nécessaire de faire une loi pour assurer la marche ou l'activité de la haute cour nationale. Croyezvous que l'exécution de cette loi, exécution si urgente en pareille circonstance, pût être arrêtée par les ministres? Et s'ils pouvaient l'arrêter, ne disposeraient-ils pas par cela même et dé leur propre responsabilité, et du sort de la nation entière? Non, la Constitution ne veut pas que cette formation soit subordonnée à l'intérêt ou aux caprices du pouvoir exécutif. (Applaudissements dans les tribunes.) Si vous consacrez cette erreur, vous devenez les complices de ces agents qui, par la nature même de leurs fonctions ne sont que trop disposés à être les ennemis de toute liberté; vous trahissez, en un mot, la confiance de toute la nation. (Applaudissements.) Je conclus à ce qu'aucun décret relatif à l'organisation ou à l'activité de la haute cour nationale ne soit présenté à la sanction.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je demande

qu'on ferme la discussion sur les discours écrits et qu'on ouvre la discussion orale.

M. Emmery. Si on écoute les motions d'ordre, j'espère qu'on adoptera la mienne. Je demande le rapport, dans l'instant, du décret du 3 de ce mois relatif à la formation de la haute cour nationale.

M. Delacroix. Ce ne sera pas juger la question, il faut la décider parce qu'elle tient à d'autres que les ministres ont fait naître.

Divers membres demandent la question préalable sur ces deux propositions et l'ordre du jour.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur ces deux propositions et passe à l'ordre du jour.)

M. Voysin de Gartempe. La Constitution a énoncé tous les actes du Corps législatif qui ne seront pas sujets à la sanction, j'en conclus que tous les actes qui ne sont pas dans l'exception sont sujets à la sanction; mais les défenseurs du système de la non-sanction m'arrêtent ici et ils me disent: Et nous aussi, nous sommes attachés à la Constitution; et nous aussi, nous reconnaissons que c'est à elle de juger entre nous; mais prenez garde que si le roi a le droit de refuser son consentement à la loi qui règle l'organisation de la haute cour nationale, il peut soustraire les grands coupables à la poursuite

des lois.

Cet argument n'est qu'une véritable pétition de principes. D'abord il est faux que l'institution de la haute cour nationale soit le produit effectif d'une accusation, c'est un instrument politique renfermé dans la Constitution pour être employé au besoin. Un acte d'accusation en nécessite l'action ou si l'on veut, la formation, qui n'est autre chose que le rassemblement, l'emploi des éléments appelés à la composer. Si le Corps législatif pouvait modifier à son gré, étendre ou restreindre les pouvoirs de la haute cour nationale, lui prescrire les formes de procéder, qui ne verrait dans cette faculté le droit terrible d'accuser, cumulé avec celui de faire les lois et de les appliquer? Car celui qui a des passions à satisfaire, et les corps en ont souvent de plus fortes que les individus, celui qui instituerait les formes à son gré commanderait alors aux juges, et appliquerait réellement la loi; ce serait la plus barbare, la plus criminelle de toutes les législations; et on a eu raison de la comparer à ces commissions créées par les despotes pour assassiner juridiquement les victimes que leur haine avait marquées.

Ce n'est que sur la division, l'indépendance des pouvoirs que peut être solidement établie la liberté publique et individuelle; aussi le gouvernement représentatif qui, comme le nôtre, est, fondé sur ce principe, est-il le meilleur de tous les gouvernements possibles. Le temps démontrera cette vérité que les convulsions qui nous agitent encore empêchent de reconnaître dans tout son éclat. N'allons pas en retarder l'effet, en dénaturant, en confondant, dès son origine, les objets que la Constitution a soigneusement distingués.

Les dispositions de la loi du 15 mai, qui ne sont pas constitutionnelles, sont législatives: com. ment pourrions-nous les abroger,, les modifier ou les étendre, sans le concours du roi? Croirions-nous pouvoir faire de nouvelles lois sur les tribunaux criminels, sans soumettre ces décrets à la sanction? Eh bien, la haute cour na1re SÉRIE. T. XXXVII.

tionale est aussi un tribunal dans l'Etat, devant lequel une foule de citoyens peuvent être jugés. Serait-ce donc à cause de l'importance des fonctions de cet établissement que nous penserions ne pas devoir soumettre aux épreuves que la Constitution prescrit, les règlements que nous croirions nécessaires à son développement?

Mais ceux qui ont prétendu que votre décret ne devait pas être présenté à la sanction, parce que le roi se trouverait, par là, armé de la facilité de suspendre les décrets d'accusation que vous avez portés, ont-ils bien réfléchi qu'ils élevaient une difficulté vraiment insoluble, et que la démarche qu'ils vous conseillaient, pouvait, bien plus que le veto qu'ils craignaient, arrêter l'exécution de votre décret? Sans doute que celui qui ne voudrait pas sanctionner le décret, ne s'empresserait pas de le faire exécuter, s'il pouvait s'en empêcher. Eh bien! entre vous et le pouvoir exécutif s'éléverait la question de savoir si vous avez eu le droit de porter le décret, sans le soumettre à la sanction du roi : Pensez-vous que la Constitution ait donné le droit à l'un des pouvoirs de s'élever au-dessus de l'autre, en interprétant en sa faveur un article de la Constitution? Pressé par la crainte d'être traduit devant la haute cour nationale, s'il n'exécutait pas votre décret, et celle d'être dénoncé par vos successeurs, par tout autre Corps législatif, pour avoir transgressé la Constitution, le ministre de la justice se trouverait dans la position la plus embarrassante et la plus cruelle. Et si, comme je le crois, il est attaché à ses devoirs, si le roi aime la Constitution votre décret devrait rester inexécuté. (Murmures.)

Au lieu de vaincre des difficultés, en admettant le système de la non-sanction, vous vous jetteriez dans un inextricable labyrinthe; vous pourriez ainsi compromettre la sûreté publique, en établissant le plus dangereux, le plus inutile de tous les débats entre deux pouvoirs dont l'harmonie et le concours sont plus nécessaires que jamais à la sûreté de l'Empire. Quand bien même vous auriez à craindre le refus du consentement du roi pour votre décret, je n'en penserais pas moins que vous devez l'envoyer à la sanction, parce que ce n'est pas sur vos craintes particulières, sur votre opinion de la nécessité d'un décret, que vous avez le droit de soustraire vos actes à l'examen du premier magistrat du peuple. Je conclus comme votre comité de législation.

M. Lacépède. C'est pour remplir le serment solennel que j'ai fait avec vous, de maintenir de tout notre pouvoir notre Constitution, que je monte à cette tribune. La question préalable demandée par votre comité de législation contre l'opinion de ne pas regarder comme soumis à la sanction, le décret que vous avez rendu, concernant la haute cour nationale, me paraît attaquer, dans ses fondements, cette Constitution que nous avons tous juré de défendre. Mon devoir le plus sacré m'oblige à me faire entendre: votre respect pour cet acte garant des droits du peuple, m'assure votre attention.

La question soumise à votre délibération, est des plus importantes; mais elle me paraît très simple, et j'ose croire que, lorsqu'elle sera moins généralisée, et par conséquent plus éclaircie, tous les membres de cette Assemblée n'auront qu'un seul avis; car tous veulent la Constitution En m'élevant, Messieurs, contre la question préalable, demandée par votre comité, en tachant de

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vous prouver que votre décret ne peut pas être soumis, ainsi qu'il l'a pensé, au refus suspensif du roi, ne croyez pas que je vienne, sous le spécieux prétexte du salut du peuple et de la nécessité des circonstances vous faire la proposition coupable de modifier notre Constitution, et de retrancher quelque partie de la prérogative royale. Cette prérogative, je le sais, Messieurs, n'est pas le droit d'un seul homme, mais celui de la nation; c'est une délégation que la nation a faite, et qu'elle seule peut changer; c'est un second rempart qu'elle a élevé contre plus d'une espèce de despotisme, et que notre fidélité envers nos commettants, ainsi que notre amour pour la liberté, doivent sans cesse mettre hors de toute atteinte. Mais je viens lire avec vous l'Acte constitutionnel, et vous dire ce que j'ai cru qu'il prescrivait.

Ouvrons donc l'Acte constitutionnel, et voyons toutes les dispositions de cette loi, qui concernent l'objet soumis à votre délibération.

En soutenant l'opinion que j'attaque, on vous a parlé des simples citoyens que vous croiriez devoir accuser devant la haute cour nationale; et moi, Messieurs, je viens vous parler des ministres et des autres principaux agents du pouvoir exécutif que vous voudriez faire juger par ce tribunal suprême. On vous a présenté les dangers de la liberté individuelle; et moi je viens vous exposer mes craintes pour la liberté politique, je viens vous entretenir de ces coupables puissants, contre lesquels cette grande institution a été spécialement imaginée.

Toute bonne constitution, Messieurs, est fondée sur la responsabilité de ceux qui sont chargés de faire exécuter les lois. Imaginez l'organisation sociale que vous voudrez, inventez à votre gré des mesures politiques, augmentez, diminuez, combinez dans tous les sens tous les ressorts propres à faire mouvoir les gouvernements, partout où la responsabilité de ceux qui exécuteront sera réelle, partout où il existera des représentants du peuple, investis d'une force assez grande pour exercer une surveillance efficace, Vous aurez la liberté; partout, au contraire, où l'agent qui exécutera la loi pourra mettre ses caprices individuels à la place de la volonté générale, et se soustraire ensuite aux effets de la surveillance exacte des représentants de la nation, la liberté ne sera qu'un fantôme qui cachera le despotisme. Mais, je vous le demande, Messieurs, comment y aura-t-il une véritable responsabilité, si lorsqu'un ministre sera accusé par le Corps législatif, il ne peut être puni? Comment sera-t-il jugé, si le chef suprême du pouvoir exercé par ce ministre peut, à son gré, suspendre l'établissement du tribunal, ou, ce qui est la même chose, le rassemblement des organes de la loi? et l'on pourrait croire, Messieurs, que la Constitution vous prescrit une mesure qui la renverserait de fond en comble. Quelle différence y aurait-il entre refuser l'acte qui accuserait, et refuser l'acte sans lequel les grands juges ni les hauts jurés ne pourraient pas se réunir pour prononcer sur le délit ? et cependant, quef est, Messieurs, celui qui voudrait dire que la Constitution donne au roi le droit d'arrêter cet acte d'accusation par un refus suspensif?

D'ailleurs, Messieurs, s'agit-il maintenant de créer, d'organiser la haute cour nationale? Non : la Constitution y a pourvu. Elle a dit expressément comment elle serait composée; elle en a déterminé les membres; elle a fixé le mode de

leur élection; elle l'a formée de la manière qui a paru la plus convenable et à la nécessité de venger la dignité et la sûreté nationales, et à la nécessité tout aussi grande de garantir l'innocence des accusés contre toute espèce de pouvoir et de prévention. Et certes, Messieurs, si quelque article nouveau décrété par vous, peut en ajoutant dans une loi réglementaire, aux précautions prescrites par cette organisation constitutionnelle, influer sur la faculté laissée à un ministre ou à tout autre citoyen de montrer son innocence dans tout son jour, il n'y a pas à balancer, votre décret doit être présenté à la sanction royale. Qu'on ne dise pas que, d'après mon opinion, vous pourriez imaginer et créer, en quelque sorte, une haute cour nationale, telle que vous influeriez trop sur les jugements qui en émaneraient; et c'est ici le lieu d'expliquer entièrement ma pensée. Je crois que la Constitution ne soustrait à la sanction du roi que les mesures absolument nécessaires pour que la haute cour nationale soit mise en activité. Toutes les autres sont soumises au refus suspensif. Non seulement je ne m'y oppose pas, mais je le demande avec instance; car lorsque l'on réfléchit à la nature du gouvernement représentatif, on voit aisément combien il importe à la liberté du peuple que ses représentants élus, même pour un temps très court, ne puissent pas tout ce qu'ils veulent. Mais les dispositions rigoureusement nécessaires pour l'existence active de la haute cour nationale vous sont prescrites par l'Acte constitutionnel, et formellement indiquées par cet acte solennel, comme indépendantes de la sanction. La loi constitutionnelle dit en effet : ne sont pareillement sujets à sanction les actes relatifs à la responsabilité des ministres (art. 7, sect. III, ch. III, tit. III.)

Or, je demande si par ces actes relatifs on peut entendre seulement les actes préliminaires par lesquels vous pouvez préparer l'accusation en mandant un ministre, en lui demandant des renseignements plus ou moins étendus, en l'entendant à la barre. Il est évident, Messieurs, que si ces expressions, actes relatifs, ne désignaient que ces opérations préalables, la responsabilité serait censée exercée au moment où l'acte d'accusation serait porté, puisqu'elles ne peuvent, par leur nature, que précéder cet acte d'accusation. Mais pourrait-on soutenir que l'exercice de la responsabilité est complet, lorsque l'accusation est portée? Un ministre prévaricateur serait-il puni par cela seul qu'il aurait été accusé? Et l'action libre et indépendante du Corps législatif peut-elle cesser avant l'existence réelle et active d'un tribunal qui puisse absoudre ou frapper l'accusé? Je n'ai besoin que d'exposer l'opinion contraire à la mienne pour faire voir combien elle serait opposée à la nature des choses et à l'esprit ainsi qu'à la lettre de la Constitution. Toutes les pages de cet acte présentent des mesures imaginées pour empêcher un ministre coupable de se soustraire à la vengeance de la loi: et remarquez, Messieurs, que le législateur constituant a craint si vivement que l'on ne crût interpréter ces mots actes relatifs à la responsabilité dans un sens différent de celui que je soutiens, qu'il aurait pu se contenter, selon moi, de mettre les actes nécessaires à la responsabilité; mais il a voulu qu'il ne pût exister aucune équivoque, que dans aucune circonstance on ne pût contester sur la nécessité de tel ou tel acte du Corps législatif; il s'est servi d'une expression bien plus générale, il a choisi la plus étendue; il a em

ployé les mots actes relatifs à la responsabilité.

De plus, Messieurs, la haute cour nationale se rassemble uniquement, d'après une proclamation du Corps législatif (art. 13, ch. V, tit. III.). Cette proclamation n'a certainement pas besoin d'être sanctionnée personne ne l'a encore prétendu; et cependant est-elle formellement exceptée des actes sujets à la sanction royale? Non. Pourquoi? Parce que le législateur l'a regardée, avec raison, comme un des décrets désignés par ces mots : les actes relatifs à la responsabilité des ministres; car sans jugement, point de responsabilité; sans tribunal, point de jugement; sans rassemblement, point de tribunal; et sans proclamation, point de réunion de juges.

Et d'un autre côté, voyez, Messieurs, quel coup funeste vous porterez à la prérogative royale, et comment, sans le vouloir et en ne suivant que les premiers mouvements de votre juste regret pour la Constitution, vous affaibliriez le pouvoir délégué au roi de choisir et de révoquer seul les ministres. Vous pourriez, sans sanction, porter un décret d'accusation contre un ministre, et ce principal agent, accusé par vous, arrêté à l'instant par votre ordre, gardé au secret et suspendu de fait de toutes ses fonctions par votre seule volonté, ne pourrait être jugé, parce que, quelques jours auparavant, le roi ayant retiré son consentement à un décret que vous lui auriez présenté pour mettre en mouvement la haute cour nationale, aurait arrêté, par là, l'établissement actif de ce tribunal. Dans mon opinion, au contraire, si vous accusez un ministre, s'il est arrêté aujourd'hui, il peut demain, en quelque sorte, être rendu à la liberté et à ses fonctions par la haute cour nationale; et par là, le droit du roi, de choisir et de révoquer les ministres, n'est suspendu que le moins possible. Et qu'on ne réponde pas que jamais la sanction royale ne serait refusée à une loi nécessaire à la justification d'un ministre supposez à la place de cet agent principal, un simple citoyen inconnu au pouvoir exécutif: ne pourra-t-il pas souvent gémir près de quatre ans dans les fers? Que demain votre décret porté à la sanction éprouve un refus suspensif, et ceux que vous avez déjà accusés ne verront pas avant 3 ans la fin de leur détention.

Mais ne croyez pas, Messieurs, qu'oubliant vos serments et les miens, je vienne vous proposer de rendre un décret par lequel vous détermineriez que le roi n'aura pas le droit de sanctionner telle ou telle de vos dispositions; que je vienne même vous demander une déclaration qui ne serait qu'un décret déguisé. Je viens uniquement vous dire ce que j'ai vu dans l'Acte constitutionnel, ce que vous y verrez aussi, ce que vous avez ainsi que moi juré de suivre.

Mais, comme la Constitution n'exempte que les actes relatifs à la responsabilité des ministres, c'est-à-dire ce qui est nécessaire pour l'exercice de cette responsabilité, je demande que les articles que vous avez adoptés soient distribués en deux décrets; l'un renfermera toutes les dispositions absolument et rigoureusement indispensables, pour que la haute cour nationale soit mise en activité; le second décret renfermera les autres mesures. Vous ferez présenter ce second décret à la sanction royale; mais le premier, Messieurs, la Constitution vous défend expressément de le soumettre à un refus suspensif. Ce n'est pas que l'heureuse harmonie qui règne mainenant entre les deux pouvoirs, et dont la durée doit être à jamais l'objet des vœux de tous

les bons citoyens; ce n'est pas que tous les actes solennels par lesquels le roi a manifesté son attachement à la Constitution qu'il a ainsi, pour nous, juré de maintenir, puissent nous laisser quelque inquiétude; mais n'oublions pas un axiome d'un peuple voisin qui se connaît en liberté; le législateur ne doit pas considérer quel est celui qui règne; il ne doit avoir les yeux que sur la nation et son devoir.

Cependant, Messieurs, comme je n'ai voulu traiter devant vous qu'une question de droit public, et que personne n'a plus de confiance que moi dans la lumière de votre comité de législation, je demande que vous le chargiez de vous présenter incessamment les articles que vous avez adoptés, distribués dans deux décrets séparés. Le second décret renferme les dispositions qui ne sont pas indispensables pour l'activité de la haute cour nationale, et sera porté à la sanction du roi. Mais le premier sera terminé par ces mots :

Le ministre de la justice rendra compte, dans trois jours, des mesures qu'il aura prises pour l'exécution du présent décret.

Plusieurs membres demandent l'ajournement de la suite de la discussion.

(L'Assemblée, consultée, ajourne la suite de la discussion à lundi prochain.)

(La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du samedi 7 janvier 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE M. DAVERHOULT, VICE-PRÉSIDENT.

La séance est ouverte à six heures du soir. M. Clauzel, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, présente un projet de décret sur la demande du ministre de la guerre tendant à la suspension de la vente des forges de Moyeuvre, Naix et Moutiers-sur-Saulx, pour les affecter au service de l'artillerie.

Ce projet de décret est ainsi conçu (1):

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, considérant que le terme du bail à ferme des forges de Moyeuvre, Naix et Moutiers-sur-Saulx, dans la ci-devant province de Lorraine, appartenant à la nation, est expiré le 31 décembre dernier; qu'en suspendant, quant à présent, la vente de ces forges et en les affectant au service de l'artillerie nationale, il en résultera non seulement une grande économie, mais un degré de perfection dans la fabrication des munitions, par l'émulation et la concurrence que cette opération doit établir entre les fournisseurs, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité de l'extraordinaire des finances et

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Domaines nationaux, D.

décrété l'urgence, décrète que la vente des forges de Moyeuvre, Naix et Moutiers, faisant partie des domaines nationaux, sera suspendue et que ces objets demeureront affectés au service de l'artillerie, jusqu'à ce qu'il y soit autrement pourvu.

Renvoie au pouvoir exécutif, pour en disposer par bail, en faveur de ceux qui feront les offres les plus convenables et seront le mieux en état de les remplir.

Décrète que les clauses de l'entreprise seront imprimées et communiquées au Corps législatif, avant l'adjudication qui devra se faire publiquement, sans que jamais, et dans aucun cas, les entrepreneurs puissent réclamer d'indemnités, ni être reçus à compter de clerc à maître.

(La discussion est ouverte.)

M. Dorizy demande que cet objet soit décidé suivant les formes prescrites par la Constitution et qu'en conséquence cette lecture soit regardée comme la première.

(L'Assemblée, consultée, après avoir ordonné l'impression, décrète que le projet de décret sera présenté samedi prochain et sera lu pour la seconde fois.)

M. Calvet. La loi du 23 novembre 1790 porte qu'une administration de département fondée à réclamer en matière de contributions, doit s'adresser à la législature. En vertu de cette disposition, je viens vous soumettre la juste réclamation du département de l'Ariège. Quatre communautés comprises dans ce département, lors de la division du royaume, en ont été distraites un an après, et réunies au département de la HauteGaronne. Avant cette réunion, la quote-part des contributions que devait supporter le département de l'Ariège dans la masse générale, avait été déterminée.....

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Calvet. Ainsi le département se trouve grevé pour l'année 1791 et 1792 de la quotité de contributions qu'auraient supportée les quatre communes aujourd'hui distraites de son arrondissement; il me sera aisé de prouver que l'Assemblée serait injuste si elle ne décrétait pas qu'il y a lieu à un dégrévement pour le département de l'Ariège. En effet...

M. Delacroix. L'ordre du jour, et le renvoi au comité des pétitions !

M. Calvet. Je ne connais point le comité des pétitions, je ne connais que l'Assemblée nationale. M. le président a jugé mes motifs assez pressants, puisqu'il m'a accordé la parole.

M. Delacroix. Je demande que Monsieur soit rappelé à l'ordre. M. le Président obéit à l'Assemblée, et l'Assemblée n'obéit pas à M. le président.

M. Calvet. L'Assemblée est juste, et ma réclamation légitime...

M. le Président L'ordre du jour est fixé, Monsieur Calvet; je ne puis l'intervertir sans un décret de l'Assemblée.

M. Calvet. Vous entendez tous les jours des pétitionnaires, et vous ne voulez pas entendre 200,000 citoyens qui veulent parler par ma bouche.

Plusieurs membres L'ordre du jour! l'ordre du jour!

(L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.) M. Calvet. Vous ne pouvez pas refuser de

m'entendre. Si vous ne voulez pas que je parle à la tribune, je vais passer à la barre pour parler comme pétitionnaire.

M. le Président. Monsieur, l'Assemblée vient de décrèter que l'ordre du jour serait maintenu; je vous rappelle à l'ordre.

M. Calvet. Monsieur, bien obligé. Voilà ce que je demandais pour être quitte avec mes commettants. (Il descend de la tribune au milieu des rires et des murmures.)

(L'Assemblée renvoie au comité des contributions publiques la réclamation du département de l'Ariège.)

Une députation de la garde nationale de Chantilly est introduite à la barre.

L'orateur de la députation explique que les citoyens de Chantilly, ne voulant pas être confondus avec ce qu'ils appellent les valets du prince de Condé, adressent une pétition dont l'objet principal est de solliciter de l'Assemblée nationale un décret qui écarte de la garde nationale de Chantilly les ci-devant serviteurs de Louis-Joseph, prince français, qui n'ont point les qualités de citoyens actifs. Ils demandent en outre que, eu égard au crime dont ce prince est atteint, on éloigne de ce service toutes les personnes qui sont encore attachées au prince par des emplois quelconques ou des pensions sans brevet, parce qu'il ne convient pas que des citoyens patriotes leur soient assimilés.

M. Lequinio. Cette demande me paraît aussi indiscrète qu'intolérante. Eh quoi! parce qu'ils auraient des pensions de M. de Condé, d'honnêtes gens, de bons citoyens seraient exclus des places où les appellerait la confiance publique!

M. le Président répond aux pétitionnaires et leur accorde les honneurs de la séance. (L'Assemblée renvoie la pétition des citoyens de Chantilly au comité des pétitions.)

M. Ducos. Depuis longtemps, je sollicite la parole pour faire à l'Assemblée un rapport dont m'a chargé le comité de commerce. Je ne vois point ce rapport à l'ordre du jour. Je demande acte à l'Assemblée de ce que j'ai encore aujourd'hui réclamé la parole.

Un membre: Je fais la motion qu'il soit établi un comité central chargé de mettre de l'ordre dans les rapports des comités. Je me fonde sur les abus qui ont existé jusqu'ici.

Divers membres appuient cette motion et se plaignent de différentes interversions de l'ordre de la parole.

M. Masuyer. Et moi je demande l'exécution d'un décret qui porte que les comités seront renouvelés tous les 3 mois par moitié. Ils sont déjà bien vieux. Il faut que l'Assemblée détermíne un jour pour se retirer dans ses bureaux.

Un membre: J'observe qu'il y a un décret qui prescrit aux présidents des divers comités de se concerter avec le Président de l'Assemblée nationale pour établir l'ordre des rapports. En conséquence, je demande l'ordre du jour sur la motion de former un comité central.

D'autres membres demandent également l'ordre du jour sur le renouvellement des comités.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur l'une et l'autre de ces deux propositions.)

M. Lacnée, secrétaire, fait lecture d'une lettre de M. Duport, ministre de la justice, et de la liste

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