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juge même convenable de suspendre cette mesure jusqu'à la décision qu'elle doit porter sur la revue de formation que son comité de marine lui a proposée; et je la supplie de me faire connaître le plus tôt possible ses intentions à cet égard.

J'observerai seulement que, dans le projet de décret, l'époque de cette revue était fixée au 15 janvier, et que ce terme serait évidemment insuffisant. Plusieurs officiers sont actuellement dispersés dans l'intérieur du royaume, et peuvent se trouver à une grande distance du port où ils devront se rendre l'Assemblée voudra sans doute accorder le délai nécessaire pour donner le temps aux commandants des ports de recevoir l'ordre de rassembler ces officiers, de transmettre cet ordre à chacun d'eux, et leur laisser le moyen de s'y conformer. L'envoi des ordres à Toulon, à Brest et à Rochefort, celui des lettres des commandants adressées peut-être dans les parties du royaume, les plus éloignées et le voyage des officiers jusqu'à ces ports, semble exiger un intervalle de 5 à 6 semaines. Il me semble d'ailleurs très convenable de ne réserver aucune raison d'excuse à ceux qui ne seraient pas disposés à obéir. Je dois représenter aussi que la loi du 23 septembre dernier, ayant réglé la formule du serment qui doit être prêté par les officiers et les soldats, concerne sans doute les officiers de toutes les armes; mais comme le corps de la marine n'était pas organisé, le mandement n'a été adressé qu'aux officiers de l'armée de terre. Il serait à désirer que le décret que l'Assemblée nationale se propose de rendre, pùt lever toute ombre de doute à cet égard.

La liste de la nouvelle formation a été dressée suivant les lois qui ont déterminé l'organisation de la marine, et les choix ont été faits parmi tous ceux de l'ancien corps qu'on a cru en état de rendre de bons services. Plusieurs d'entre eux sont désignés par l'opinion publique comme émigrés, mais je n'ai ni ne peux en avoir aucune preuve directe, et j'ose encore espérer que beaucoup de ces officiers suivront l'impulsion si naturelle et si douce de l'amour de la patrie et du devoir, qu'ils s'empresseront à venir remplir les postes qui leur seront assignés mais sí quelques-uns n'obéissaient pas à l'instant même aux ordres qui leur seront adressés, il serait impossible de conserver à leur égard le moindre ménagement; leurs noms seront rayés de cette liste, et je m'occuperai, avec la plus grande activité possible, à chercher les moyens de les remplacer sans délai, soit d'après les règles établies par les lois d'organisation, soit par les moyens qui pourront être déterminés par les décrets de l'Assemblée; et je ne négligerai rien pour rendre bientôt à ce corps, qui forme une partie si importante de la force publique, toute l'activité et l'énergie qui lui sont nécessaires.

Après avoir ainsi écarté toutes les inculpations hasardées contre moi dans les pétitions des citoyens de Brest et de Rochefort, il reste à discuter la pièce importante qui sert de base principale au rapport de votre comité; cette pièce n'est autre chose qu'une lettre que j'ai adressée au rédacteur du Moniteur (1), pour relever une inexactitude grave qui lui était échappée en rendant compte de ce que j'avais dit à l'Assemblée dans la séance du 12 novembre. Voilà donc le

(1) Voy. cette lettre aux annexes de la séance du 8 décembre 1791, page 667 (Archives parlementaires, 1oo série, t. XXXV).

véritable corps du délit : j'ai déjà remarqué qu'il n'est fait aucune mention de ce fait dans aucune des trois pétitions, à la discussion desquelles aurait pu se réduire le rapport du comité, si son zèle lui eût permis de se renfermer strictement dans les bornes du renvoi qui lui avait été fait; et je n'examinerai pas si, dans la forme, les comités de l'Assemblée nationale peuvent régulièrement se constituer accusateurs ou dénonciateurs d'un délit quelconque, et rapporteurs de leur propre dénonciation. Quoi qu'il en soit, j'ai reconnu la lettre insérée dans le Moniteur, je la reconnais encore, et je la reconnaîtrai toujours; j'espère que l'Assemblée nationale sera satisfaite des explications que je vais lui donner à cet égard. Voici la phrase de cette lettre, sur laquelle est fondée la nouvelle accusation dirigée contre moi :

« Le message dont nous étions chargés, avait uniquement pour objet d'instruire l'Assemblée des mesures que le roi avait prises relativement aux émigrés; maisj'ai si peu donné à entendre qu'aucune de ces mesures fùt relative à mon département, que si j'avais été dans le cas de m'expliquer à cet égard, je me serais fait un devoir d'affirmer qu'il n'y avait pas un seul officier de marine qui eut quitté son poste.

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J'observerai d'abord que cette assertion pourrait être inexacte sans être criminelle: 1° parce que, comme l'observe votre comité dans son premier rapport, on pourrait croire que j'ai été induit en erreur par les comptes infidèles des commandants et intendants de la marine; car ce n'est que par eux que le ministre peut être instruit de ce qui se passe dans les ports; 2° parce que cette assertion, en la supposant même sciemment inexacte, ne pouvant avoir été publiée qu'à bonne intention, et n'ayant pu produire qu'un très bon effet, serait non seulement excusable, mais louable, si le mensonge le plus utile pouvait jamais mériter des éloges. Or, il est si évident qu'elle ne peut avoir été publiée à mauvaise intention, que pour me supposer un motif susceptible de blâme, celui de conserver aux officiers absents leurs places et leurs traitements, il a fallu me croire capable d'ignorer les lois qui s'exécutent tous les jours dans mon département, et d'après lesquelles les officiers absents sans congé, n'obtiennent jamais aucuns appointements, et ceux absents avec congé et appointements, ne les touchent qu'en rapportant le certificat de leur résidence dans le royaume, et les quittances de la contribution patriotique et des autres impositions. S'il pouvait jamais être permis en matière d'accusation d'interpréter où de supposer des intentions, la première de toutes les règles dans ce régime d'inquisition si contraire à l'esprit et à la lettre de nos lois, serait sans doute de ne pas choquer la vraisemblance. Au surplus, je n'ai jamais dissimulé le motif qui m'avait déterminé à rendre publique la lettre dont il s'agit; j'en avais rendu compte au roi avant de l'écrire, et Sa Majesté avait daigné l'approuver; ce motif, ainsi que je l'ai affirmé dans la lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire à M. le président, le 13 décembre, était d'arrêter les progrès de l'émigration, en opposant, à des exemples trop nombreux, des exemples contraires. J'ai voulu tirer parti de ce sentiment précieux, toujours si puissant sur les militaires français, celui de l'attachement inviolable à leur poste; et si mes espérances n'ont pas été complètement remplies, je ne dois pas dissimuler que cette lettre, qu'on me reproche, a retenu plu

sieurs officiers et qu'elle en a ramené quelques

uns.

L'effet qu'elle a dû produire auprès des puissances étrangères est peut-être plus important encore; il était, sans doute, bien intéressant pour la France que l'émigration des officiers de la marine, qu'on disait être générale, n'accréditât pas l'opinion que nos forces navales consistaient en un grand nombre de vaisseaux sans officiers pour les commander; cette conséquence grave n'a pas été prévue par ceux qui exagèrent le nombre déjà trop considérable des émigrations dans le corps de la marine. On doit, sans doute, fonder de grandes espérances sur le zèle et le patriotisme des officiers des grades inférieurs, ainsi que sur ceux de la marine du commerce; mais malheureusement dans le grand art de la navigation militaire et des évolutions navales, ce zèle et ce patriotisme ne pourraient pas suppléer sur-le-champ aux connaissances qu'une longue expérience et de profondes études peuvent seules donner, et sans lesquelles il est impossible de se charger du commandement d'une flotte ou d'une escadre. La gloire, l'intérêt et la sûreté de la nation me commandaient donc impérieusement de ne négliger aucun des moyens possibles pour conserver à la France, la réalité, ou du moins l'apparence imposante de ses forces maritimes. Ainsi, quand même, pour atteindre ce but important, j'aurais fait insérer dans les papiers publics des détails dont l'exactitude pourrait être contestée, je suis convaincu qu'il n'y aurait pas en France un assez mauvais citoyen pour oser me le reprocher. Mais vous allez voir, Messieurs, que je n'ai pas même à m'excuser de la plus légère inexactitude.

Le fait que j'ai avancé qu'il n'y avait pas un seul officier de marine qui eût quitté son poste, ne peut évidemment remonter qu'à l'époque de mon ministère; j'ignore ce qui s'est passé sous mes prédécesseurs; je dois croire et je crois fermement qu'ils y ont pourvu, car ils le devaient, et ils ont toujours fait leur devoir. (Murmures.) Un membre: Est-ce à Coblentz?

M. Bertrand, ministre de la marine. J'observe également que cette assertion ne peut s'appliquer qu'aux officiers qui occupaient véritablement un poste, c'est-à-dire qui remplissaient, soit à la mer, soit dans les ports, un service effectif ou des fonctions réelles et actives, telles que des commandements, des directions, etc., parce que ce n'est sans doute qu'aux fonctionnaires employés à la mer ou dans les ports, que la loi du 15 mai dernier, relative au corps de la marine, ordonne (art. 26) de continuer de remplir leurs fonctions jusqu'à l'époque de la nouvelle formation; et que la loi du for juin suivant, relative à la solde des officiers de mer, autorise (art. 3) les capitaines et lieutenants qui ne seront pas de service à la mer ou dans les arsenaux, à ne pas résider dans les départements. Le service réel de la marine est celui des vaisseaux de l'Etat; et il est très certain qu'aucun des officiers qui y ont été employés n'a déserté son poste : c'est un fait qui, jusqu'ici, n'a été attaqué par aucune assertion.

Quant au service des ports, je n'ai pas été instruit qu'aucun des officiers quí y remplissaient des fonctions actives et réelles les ait abandonnées sans dispense légale, et qu'il ait déserté. Mais on prétend qu'indépendamment de ces fonctionnaires, plusieurs officiers qui, suivant les ordonnances, devaient résider dans les ports, ne s'y sont pas trouvés, et que cette absence

doit être aussi considérée comme une désertion.

J'ai déjà dit à l'Assemblée nationale, et je crois devoir répéter que je savais trop bien que beaucoup d'officiers de la marine s'étaient absentés illégalement; et la lettre du roi aux commandants des ports, que j'ai contresignée, atteste cette vérité. On ne peut penser que j'aie voulu la nier ensuite dans une lettre insérée postérieurement dans la feuille du Moniteur: on ne pourrait parvenir à m'attribuer cette absurde contradiction qu'en donnant une très grande extension au sens de l'expression que j'ai employée; et en supposant qu'elle doit s'appliquer non seulement à ceux qui remplissaient réellement des postes actifs, mais encore à tous ceux qui étaient attachés à une simple résidence sans fonctions, tandis qu'en suivant le sens naturel que présentent les mots que j'ai employés, et en rapprochant la lettre du roi aux commandants des ports, de celle dont on me fait un crime, on verra clairement que j'ai cherché à mettre en opposition la conduite des fonctionnaires actifs de la marine, demeurés fidèles à leurs devoirs, avec celle des officiers de quelques autres armes, qui avaient déserté leurs postes.

Cette observation suffirait, sans doute, pour faire évanouir l'inculpation qui m'est faite à cet égard; mais comme dans le rapport du comité on a fortement insisté sur les dispositions des ordonnances de 1786, qu'on me reproche de n'avoir pas fait exécuter, je ne peux me dispenser de répondre à cette objection. On s'était formé, à cette époque, un système particulier sur la marine; on avait jugé convenable de diviser les forces navales en neuf escadres, et on avait attaché à chacune un nombre déterminé d'officiers. Comme dans ce système les officiers de chaque escadre étaient destinés à servir sur les bâtiments qui leur étaient affectés, on voulait qu'il y eut toujours dans les ports un certain nombre d'officiers de chacune de ces divisions, pour pouvoir effectuer promptement tous les armements qu'on serait dans le cas de faire.

Dès les premiers instants, on reconnut que ce système de division avait les plus grands inconvénients, et son exécution éprouva des obstacles insurmontables; en sorte que réellement il n'a jamais été suivi, et l'inexécution des dispositions principales a entrainé celle des mesures préparatoires. On a dù peu s'occuper à tenir dans les ports le nombre prescrit d'officiers de chaque escadre en particulier, mais seulement un nombre total proportionné au besoin des armements prévus ou présumés.

Enfin, les lois décrétées par l'Assemblée constituante pour l'organisation de la marine, ont détruit entièrement ces distinctions, qui n'avaient jamais été que nominales, ont ramené tout à un ordre plus simple, en réservant la détermination, qui n'est pas encore arrêtée, du nombre d'officiers qu'il conviendrait de conserver dans les ports.

Les choses étaient en cet état lorsque je suis arrivé au ministère. Je n'ai pu et dù me pénétrer que des principes des lois nouvelles, et m'occuper que de leur exécution; je n'ai pas cru devoir m'attacher particulièrement à l'étude de celles qui étaient déjà abrogées, et je n'ai pas pensé qu'il fut raisonnable de travailler à faire exécuter strictement, pour quelques instants, des règlements entièrement tombés en désuétude, si même on peut employer cette expression pour

des lois qui n'ont jamais été réellement et complètement exécutées.

Voyant approcher l'époque de la nouvelle formation, je n'ai songé, dans cet état passager et provisoire, qu'à faire remplir exactement tous les services, tous les postes actifs dans les ports, et à former les armements.

Ainsi, ce n'est qu'en rappelant un ordre de choses qui ne doit plus exister et qui n'a jamais été véritablement suivi, qu'on peut faire considérer les officiers attachés aux escadres comme remplissant des postes actifs: je n'ai pu regarder comme tels que ceux qui avaient des fonctions réelles dans les ports; et la revue même qu'on m'oppose, me fournira la preuve de mon assertion sur la conduite de ceux qui remplissaient des postes dans le port de Brest.

Je défie, en effet, qu'on cite un seul officier remplissant dans ce port, à l'époque de mon entrée dans le ministère, un poste et des fonctions actives, dont la présence et l'activité dans le même corps ne soient pas constatées par la revue du 20 novembre. J'ai donc pu affirmer, le 14 du même mois, qu'ils étaient tous à leurs postes.

Je dois observer ici à l'égard de M. Hector, qu'aussitôt que j'ai été informé que, suivant les règles et usages constamment observés dans le corps de la marine, l'ancien commandant titulaire jouissait de la moitié du traitement jusqu'à la nomination d'un nouveau titulaire, qui n'avait pu avoir lieu, la place de commandant de la marine étant supprimée par les nouvelles lois; j'ai pris les ordres du roi pour faire rayer M. Hector de l'état des appointements du quartier d'octobre. Cette place est remplie depuis le mois de juin. par M. de Marigni, qui, quoi que la malveillance puisse dire, n'a cessé de déployer des talents rares, un zèle infatigable et une constance à toute épreuve.

M. Forfait. C'est vrai !

M. Bertrand, ministre de la marine. J'atteste avec la même certitude, et sans craindre d'être démenti, qu'il en est de même dans les autres ports pour toutes les places qui exigent un service effectif, excepté pour celle de commandant de la marine à Toulon, qui, depuis que MM. d'Albert de Rioms et de Castellet ont été arrachés à leurs fonctions, lors de l'insurrection du 1er décembre 1789, a toujours été remplie par divers officiers qui ont été successivement chargés de remplir ce poste. J'affirme également qu'aucun des officiers employés ou nommés à des commandements sur mer pour la destination de Saint-Domingue ou autres, et dont plusieurs sont portés comme absents sans congé dans la dernière revue, sont également à leur poste, c'està-dire que les uns sont en mer, et que les autres s'occupent des préparatifs de leur départ, soit à Brest, soit dans les environs, et ne se sont pas présentés à cette revue extraordinaire, parce qu'ils n'étaient pas prévenus qu'elle dût avoir lieu.

Cette même revue contient un grand nombre d'autres erreurs aussi extraordinaires; j'en ai fait un relevé que j'ai cru devoir faire imprimer (1), non pour ma justification à laquelle il est absolument inutile, mais pour anéantir le mauvais effet qu'a dû produire la liste prétendue exacte des officiers de la marine absents de Brest, publiée par le sieur Bellanger dans le Moniteur. La

(1) Voy. ci-après aux annexes de la séance, page 22, la pièce justificative, no 4.

preuve incontestable de tous ces faits est consignée dans ma correspondance journalière avec les ports, dont j'offre la communication à tous les membres de l'Assemblée qui voudront en prendre connaissance.

Je m'arrête, Messieurs, et je termine cette longue réponse, dont l'étendue a le grand inconvénient de paraître donner quelque consistance à des inculpations qui n'en ont aucune; et cependant je crains encore de n'en avoir pas dit assez, quand je pense que c'est sur ces mêmes inculpations qu'on propose à l'Assemblée nationale de déclarer que j'ai voulu tromper le roi, surprendre la religion du Corps législatif, et en imposer au peuple français, et que j'ai perdu la confiance de la nation. Non, Messieurs, je ne l'ai point trahie et je ne la trahirai jamais cette confiance précieuse, seule récompense digne des travaux pénibles et des sollicitudes continuelles auxquels un ministre pénétré de ses devoirs doit nécessairement se résigner, et auxquels je me suis dévoué tout entier. Fidèle à ma patrie, fidèle à ses lois, fidèle au roi, notre exemple et notre soutien, leurs ennemis seront toujours les miens, et je ne mériterai jamais d'en avoir d'autres. (Applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. Rouyer. Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Plusieurs membres : Le renvoi au comité de marine!

M. Rouyer. Je demande la parole, Monsieur le Président, c'est pour une motion d'ordre. Vous ne pouvez me la refuser. (Non! non!)

(L'Assemblée, consultée, décrète que M. Rouyer ne sera pas entendu; puis elle ordonne le renvoi du mémoire du ministre de la marine au comité de marine.)

Plusieurs membres demandent l'impression de ce mémoire.

M. Forfait. Les ministres sont en usage de faire imprimer et distribuer ces pièces-là je regarde comme inutile que vous fassiez imprimer vous-mêmes; c'est pourquoi je demande la question préalable sur l'impression.

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable ainsi motivée.

(L'Assemblée adopte la question préalable sur la demande d'impression.)

M. Rouyer. Je trouve singulier, Monsieur le Président, que vous donniez la parole à M. Forfait et que par trois fois vous me l'ayez refusée. Plusieurs membres: A l'ordre! à l'ordre!

M. le Président. La parole est à M. Ramond pour vous donner lecture de deux lettres.

M. Fauchet. Je demande la parole pour rendre compte d'un fait du moment. Je viens de recevoir une lettre signée et par laquelle on m'annonce qu'il y a dans les tribunes des ouvriers payés pour venir applaudir ici M. le ministre de la marine. (Exclamations; rires et murmures.) Je demande à en faire lecture. (Murmures dans l'Assemblée. — Applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Jaucourt, ironiquement. Je demande le renvoi de la lettre au comité de surveillance. (L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.) (Applaudissements dans les tribunes.)

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« J'ai l'honneur de vous adresser le relevé approximatif des domaines nationaux vendus et restant à vendre au premier novembre 1791, dans 73 districts, dont les états me sont parvenus depuis le 24 décembre jusqu'au 31 dudit mois. Ce relevé monte à 314,795,322 livres, lesquelles, jointes à 1,503,854,242 livres fournies par les 330 districts, compris dans les premiers relevés, forment un total de 1,818,649,564 livres pour 403 districts; savoir:

Biens immobiliers vendus, 1,160,837,901 livres; biens immobiliers à vendre, 337,167,138 livres; droits incorporels dont le rachat est permis, 134,137,850 livres; biens immobiliers dont la vente est ajournée, non compris les forêts et bois, 186,506,675 livres.

« Je suis avec respect, etc.

« Signé : AMELot. »

Un membre: Je demande que l'état fourni par M. Amelot, et qui accompagne sa lettre, soit renvoyé au comité de l'extraordinaire des finances.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

2° Lettre de la municipalité de Douai, à laquelle étaient joints les procès-verbaux et pièces originales relatives à l'arrestation faite à Douai, des nommés Vidal et François, suspectés d'espionnage et de servir des projets de contre-révolution; elle est ainsi conçue :

"Monsieur le Président,

« Nous nous empressons de faire parvenir les procès-verbaux et pièces originales y jointes, relatives à l'arrestation faite dans cette ville des nommés Vidal et François. Nous vous prions de mettre le tout sous les yeux de l'Assemblée nationale. Nous attendrons qu'elle nous ait fait connaitre ses intentions sur ces deux particuliers, pour nous conformer à ce qu'elle ordonnera. Nous désirons qu'elle soit convaincue de notre dévouement et du respect avec lequel nous sommes,

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etc.

Signé Les officiers municipaux de la ville de Douai. »

M. le Président. Il y a un sac de procédures. Par ce que j'en ai vu, il m'a paru qu'il s'agissait de deux hommes suspects de correspondances illicites avec les ennemis de l'Etat.

Plusieurs membres : Le renvoi au comité de surveillance!

(L'Assemblée renvoie les pièces au comité de surveillance.)

M. le Président. La parole est à M. le ministre de la marine.

M. Bertrand, ministre de la marine, lit un mémoire relatif à la pétition des sieurs Labadie et Gallet, anciens gardes-magasins de Trinquemaley (1); il s'exprime ainsi :

(1) Voy. séance du jeudi 29 décembre 1791, au soir, t. XXXVI, page 635.

Messieurs,

J'ai reçu, le 31 du mois dernier, l'extrait du procès-verbal de l'Assemblée nationale, du 29 du même mois, portant ce qui suit :

«Les sieurs Labadie et Gallet, ci-devant chargés des magasins publics à Trinquemaley, ayant eté admis à la barre, se sont plaints d'avoir été arbitrairement dépouillés, par la commission de la marine, de leur état, de leurs biens et de leur liberté et d'avoir éprouvé le déni le plus formel de justice de la part du ministre de la marine, au mépris d'un jugement du tribunal de Quimper, chargé de cette affaire, qui les déclare innocents et ordonne qu'ils soient rétablis dans toutes leurs propriétés. Les pétitionnaires ont demandé que le ministre soit tenu d'exécuter le jugement du tribunal de Quimper.

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D'un côté, on a demandé le renvoi au pouvoir exécutif; de l'autre, on a proposé que le ministre de la marine fût mandé à la barre. Sur la proposition d'un membre, l'Assemblée a ordonné le renvoi au comité de marine, et décrété que le ministre rendra compte par écrit, dans l'espace de trois jours. »

Quelque abrégé que soit ce délai par les occupations très importantes d'un ministre, je me hâte de satisfaire, dans le terme qui m'est prescrit, à ce que l'Assemblée nationale exige de moi, et je laisserai par écrit sur le bureau ce que je vais avoir l'honneur de lui exposer.

Vers la fin de 1784, lorsque la France occupait encore quelques places aux comptoirs hollandais dans l'Inde, pour la sûreté commune_des deux nations, le contrôleur de la marine à Trinquemaley représenta à l'ordonnateur qu'il avait connaissance qu'il s'était commis et qu'il se commettait journellement des vols dans les magasins du roi; qu'il était d'ailleurs informé que les gardes-magasins de Trinquemaley et d'Ostembourg avaient fait embarquer des vins, eauxde-vie, toiles à voiles, barils de clous, de goudrons et autres effets appartenant à Sa Majesté, soit sur le vaisseau particulier la Comtesse-deMaille, soit sur d'autres bâtiments marchands; que les sieurs Gallet et Labadie, gardes-magasins, avaient acheté en commun un both, pour y faire embarquer également de semblables effets par eux distraits, et les faire vendre à Tringbar ou à Madras, avec ordre de ne point toucher à Pondichery; ajoutant qu'il devait y avoir actuellement dans un bâtiment sous pavillon hollandais, commandé par un sieur Laurent, du fer, des couleurs, des cercles de barriques, et que cette même embarcation devait partir le lendemain pour Galle. Il requit en conséquence l'arrestation des sieurs Labadie et Gallet, celle des bâtiments énoncés, et l'apposition du scellé sur les papiers de ces deux officiers publics; ce qui fut ainsi ordonné et exécuté.

Il n'y avait point alors de tribunaux français subsistant dans l'Inde; cette considération détermina le général commandant, M. de Bussy, sur le compte qu'on lui rendit de l'état des choses, à nommer une commission composée d'un commissaire instructeur, d'un procureur du roi et d'un greffier, tous membres des anciens tribunaux, pour procéder sur la dénonciation. La procédure fut instruite jusqu'à jugement définitif exclusivement, décrétée et réglée à l'extraordinaire.

Ensuite les principaux accusés, au nombre de 5, et entre autres les sieurs Gallet et Labadie, furent envoyés en France avec les pièces du procès.

Le 5 février 1785, il fut décidé au conseil des dépêches, que l'intendant de la marine à Brest prendrait connaissance ultérieure de l'affaire, et la jugerait concurremment avec la commission souveraine des chiourmes : Les motifs de cette décision parurent pris dans l'article 14 du titre IX de l'ordonnance de la marine de 1681, qui commet en pays étrangers l'instruction de délits de gens de mer aux consuls de la nation française, et veut, en cas de peine afflictive, que la procédure instruite y soit renvoyée, pour être jugée par les officiers de l'amirauté du premier port du débarquement dans le royaume. Quoique le cas dont il s'agit ne fût pas précisément celui que l'ordonnance avait prévu, il offrait néanmoins des traits d'analogie d'autant plus exacte que, par les ordonnances les plus récentes de la marine, les vols commis dans les magasins étaient de la juridiction de l'intendant du port, à la charge d'appeler des gradués en nombre suffi

sant.

Les accusés, qui étaient dans les liens d'un décret, gardèrent prison à Brest.

Cependant, dès les premiers mois de 1786, le ministre approuva qu'ils en sortissent pour n'être plus que consignés dans la ville.

Il leur fut alloué à chacun une subsistance de 60 livres par mois. On permit même à l'un d'eux d'aller passer quelque temps dans le sein de sa famille à Bayonne. Cet adoucissement ne prouvait pas des intentions vexatoires.

Deux causes ont concouru à prolonger le cours de l'instruction, et à retarder le jugement de la procédure:

La première a été le changement de l'ordonnateur de Brest; la deuxième, l'importance de l'accusation. Je suis bien éloigné de vouloir préjuger un délit de la part des sieurs Gallet et Labadie; mais je ne puis m'empêcher d'observer que si d'un côté la procédure à Trinquemaley contenait des vices qui ne pouvaient manquer de la faire déclarer nulle, de l'autre on croyait apercevoir des preuves morales on voyait des aveux rétractés après coup, mais qui faisaient désirer que de grands recouvrements ne fussent pas entièrement sacrifiés.

On était dans cet état d'hésitation lorsqu'en vertu de l'article 6 de la loi du 19 octobre 1790, M. le garde du sceau dessaisit la commission des chiourmes de l'affaire de Trinquemaley et la fit renvoyer au tribunal du district de Quimper, au mois de février 1791. Il y est intervenu, le 9 août, un jugement de première instance, qui a cassé et rejeté comme nuls tous actes et pièces de l'instruction faite à Trinquemaley, Ostembourg et Pondichéry, remis les parties en tel et pareil état qu'elles étaient avant l'acte en forme de plainte du 14 décembre 1783, sans préjudice de leurs droits, actions et dommages et intérêts respectifs, toute défense sauve, auquel effet ordonne que la procédure demeurerà déposée au greffe pour mémoire. »

Les sieurs Labadie et Gallet, vers la fin du mois d'août dernier, en adressant à mon prédécesseur le jugement dont je viens de parler, lui demandèrent pour eux deux, 153,200 livres de dommages et intérêts, et des places équivalentes à celles qu'ils avaient ci-devant occupées dans le département de la marine.

Ils m'ont présenté les mêmes demandes dans les derniers jours d'octobre; et aujourd'hui tout en m'accusant de déni de justice envers eux, ils allèguent eux-mêmes que je leur ai annoncé que leur affaire devait être terminée dans l'Inde. 1re SÉRIE T. XXXVII.

C'est sans doute cette réponse qui les a déterminés à porter leurs plaintes à l'Assemblée nationale. Quoi qu'il en soit, le jour même où ils ont été admis à la barre, il leur avait été fait signification du jugement du tribunal du district de Quimper, « avec déclaration que la procédure sur laquelle ledit jugement est intervenu, serait renvoyée à Pondichery pour y servir de mémoire, et être recommencée, s'il y a lieu, par les juges qui en doivent connaître, autres que ceux qui auraient fait la première; les sommant d'y aller rendre leurs comptes; auquel effet il leur est offert passage aux frais de l'Etat, sur les premiers bâtiments qui s'expédieraient de Lorient pour l'Inde, ainsi qu'une subsistance convenable pour leur séjour à Pondichéry, et jusqu'à l'événement définitif, tant de la reddition de compte que de la nouvelle procédure, s'il y échet: leur déclarant en outre et les avertissant qu'il leur est accordé deux mois de délai pour requérir ledit transport et ladite subsistance, passé lequel temps il serait donné sur les lieux des ordres pour agir tant en présence qu'absence.

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Tels sont, Messieurs, les faits à la suite desquels les sieurs Labadie et Gallet ont porté devant vous une dénonciation aussi révoltante que celle qui m'amène en votre présence.

Vous aurez déjà remarqué que ces faits me sont presque tous étrangers. Mes rapports avec ces deux particuliers ne commencent qu'au 23 octobre de l'année qui vient de s'écouler, et déjà, à les en croire, je les ai lassés par des ruses, des fourberies multipliées; je leur ai montré, visage découvert, la face d'un tyran et la cruauté d'un despote. Ils n'ont gagné à leurs remontrances qu'un adieu brutal de ma part, tel que peut s'en permettre un ministre que la vérité humilie, qu'elle effraie, mais qu'elle ne subjugue pas. Ils ont osé vous dire que le nouveau régime n'a pas encore banni l'ancien esprit du ministère, et que l'agent appelé depuis peu à ces fonctions après les la Luzerne, les Thévenard, en est le digne successeur; que ce ne sera pas vous étonner, mais vous offrir l'occasion de réparer d'un mot une de leurs iniquités, et d'en punir le protecteur actuel, en le forçant à être non seulement le témoin, mais l'instrument de cette réparation, et que ce sera sans doute servir tout à la fois votre justice et votre délicatesse.

Je m'abstiens de toute réflexion sur un langage aussi extraordinaire. Puisque vous avez eu la patience de l'entendre, je dois savoir l'oublier pour ne m'occuper que de l'intérêt de la vérité qu'il vous importe de connaître et à moi de produire.

L'extrait du procès-verbal de l'Assemblée nationale du 29 décembre m'apprend: 1° que les sieurs Labadie et Gallet se sont plaints d'avoir été arbitrairement dépouillés, par la commission de la marine, de leur état, de leurs biens et de leur liberté.

Ce reproche, qui ne me serait pas personnel, vous semblera vraisemblablement prématuré. En effet, je dois observer qu'il s'agit ici d'une procédure criminelle et d'un genre grave, sur laquelle il n'y a pas encore de jugement au fond, puisque le tribunal de Quimper n'a prononcé que sur la nullité de la procédure. Il n'a pas renvoyé les sieurs Labadie et Gallet d'accusation, il ne les a pas même mis hors de cour; loin de là, en rétablissant les parties en pareil état qu'elles étaient avant l'acte en forme de plainte du 14 décembre 1783, il a réservé leurs droits, actions, dommages et intérêts respectifs. Ne serait-il pas plus 2

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