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Tous enfin s'accordent à demander que les assignats à eux renvoyés par le trésorier de la caisse de l'extraordinaire, soient reçus par ce dernier en décharge des sommes qu'ils ont à verser, et qu'il soit pris une détermination définitive pour qu'ils ne soient pas à l'avenir exposés à de pareilles erreurs. Plusieurs proposent de donner leur démission, ne voulant point compromettre leur fortune et celle de leurs cautions. Il en est un qui présente par sa réclamation de nouvelles mesures à prendre; il expose qu'il a reçu un assignat de 1,000 livres de l'ancien receveur des finances qui l'a reconnu, suivant un procès-verbal, mais qui soutient que l'assignat n'est pas faux, et qui veut que le faux soit prononcé par jugement.

Votre comité des assignats et monnaies, frappé de toutes les observations présentées par les divers receveurs, les a mùrement examinées, et il croit nécessaire, en remontant à une époque antérieure, d'entrer à cet égard dans quelque discussion.

Le 29 juillet, il fut fait un rapport à l'Assemblée nationale sur les moyens de reconnaître les faux assignats de 2,000 livres que l'on sait avoir mis dans la circulation!

L'Assemblée ordonna sur-le-champ l'impression et l'envoi de ce rapport, et rendit en outre un décret sur les précautions à prendre relativement aux assignats suspectés de faux qui pourraient être présentés soit à des particuliers, soit dans les caísses publiques. Le commissaire de la caisse de l'extraordinaire avait déjà reçu diverses réclamations de la part des receveurs de districts, au sujet des renvois faits par le trésorier de ladite caisse. Tous lui manifestaient des craintes sur les dangers auxquels ils étaient exposés, si on ne leur fournissait pas les moyens de s'en garantir; aussi s'empressa-t-il, dès le 5 août, de leur adresser le rapport en question, en leur recommandant la plus grande attention sur les valeurs qui leur seraient présentées. En accusant la réception de ce rapport, les receveurs manifestèrent de nouveau leurs alarmes relativement aux assignats de toutes valeurs, autres que ceux de 2,000 livres qui peuvent également être imités et mis en circulation, comme il paraissait, d'après le rapport même, qu'on en avait déjà fait l'essai, en renouvelant encore leurs représentations sur le danger de leur responsabilité, si on ne leur fournit pas promptement les moyens d'éviter d'être trompés; plusieurs demandaient qu'on leur envoyât à cet effet un assignat annulé, de chaque espèce, qui pùt au moins, à défaut d'autres indications, leur servir de pièce de comparaison; quelques-uns menaçaient de donner leur démission.

Toutes ces plaintes, ces inquiétudes et ces moyens furent communiqués au comité des finances de l'Assemblée constituante, qui n'a pris aucun parti ultérieur.

Cependant plusieurs assignats faux, promesses d'assignats, où billets de caisse de différentes valeurs, autres que ceux de 2,000 livres, se sont trouvés depuis compris dans les envois des receveurs à la caisse de l'extraordinaire, et leur ont été renvoyés par le trésorier de cette caisse; ces assignats adressés tant antérieurement que postérieurement au rapport du 29 juillet et jusqu'à ce jour, sont au nombre de 25, et ne forment qu'une somme totale de 17,070 1. 10 s. Il est facile de concevoir les craintes de ceux qui, malgré toutes les précautions qu'ils ont pu prendre, ont cependant été trompés; on conçoit également

qu'ils se croient très fondés à soutenir qu'il doit leur être tenu compte du montant des valeurs fausses dont M. Le Couteulx refuse de les créditer. Ils proposent, à l'appui de leurs réclamations à cet égard, différents moyens relatés dans la colonne des observations de l'état qui a été mis sous les yeux de votre comité.

La première question à examiner est donc celle de savoir si les receveurs supporteront la perte des valeurs fausses par eux reçues jusqu'à présent, lorsqu'on ne leur a encore fourni aucuns moyens de s'en garantir; et il est essentiel de remarquer que ces valeurs leur ont été données en payement des domaines nationaux, qu'ils n'ont aucune remise quelconque pour cette espèce de recouvrement, qui est le plus considérable dont ils soient chargés; qu'ils n'ont, par conséquent, rien qui puisse les indemniser; qu'enfin les remises qui leur sont accordées par la loi du 28 novembre dernier, sont si modiques, en raison de l'étendue de leurs travaux, que leurs seuls frais de bureaux en absorbent la majeure partie.

On ne se dissimule pas combien il est difficile de se décider sur un objet aussi délicat d'un côté, les receveurs sont sans moyens assurés de reconnaître les assignats faux, lorsque l'imitation est poussée au point où elle se trouve dans beaucoup des assignats contrefaits, et il paraît bien rigoureux de les punir d'une méprise qu'il n'a pas souvent dépendu d'eux d'éviter.

D'un autre côté, si ces assignats étaient admis sans difficulté dans les versements au Trésor public, il serait à craindre qu'ils ne donnassent aucune attention à l'examen de ceux qui leur seraient présentés, et qu'ils ne se trouvassent ainsi dans le cas d'en envoyer pour des sommes considérables à la Trésorerie nationale.

D'après toutes ces difficultés, votre comité pensant qu'il est urgent de venir à leur secours, de déterminer les moyens de juger de la nature de ces valeurs, et de les garantir des dangers qui ont déterminé plusieurs d'entre eux à donner leur démission; considérant, au surplus, qu'il serait dangereux de leur faire connaître les points secrets (car, on ne sait que trop qu'un secret confié à 544 personnes, n'en serait bientôt plus un, et que ce ne serait qu'un moyen de plus d'amener la contrefaçon au point de perfection de l'objet que l'on veut imiter); qu'il ne le ferait pas moins d'établir des vérificateurs en conformité du décret du 1er juin 1790, il vous proposera le seul moyen qui lui a paru convenable. Aussitôt qu'il parviendra à la caisse de l'extraordinaire un faux assignat d'une fabrication inconnue jusqu'alors, il sera dressé procèsverbal par l'administrateur de la caisse de l'extraordinaire, du dire du trésorier, du directeur de la confection, du graveur et de l'imprimeur, sur les signes apparents de fausseté; ce procèsverbal sera signé de l'administrateur et des autres personnes, imprimé et envoyé par lui à tous les receveurs de district. Ces derniers seront alors prévenus des signes auxquels ils pourront reconnaitre les faux assignats et ils auront le moyen de s'en garantir.

Il reste ensuite à prendre un parti sur quelques difficultés particulières levées par des receveurs, relativement à la manière dont doit être constatée la fausseté des assignats qui leur ont été renvoyés.

Il est des receveurs qui observent que le trésorier s'est borné à leur envoyer les valeurs en question, en leur observant simplement qu'il les a reconnues fausses, sans leur expliquer les

signes auxquels il a pu les reconnaître telles, et ils demandent s'il est possible qu'ils s'en tiennent à un pareil jugement; votre comité ne voit d'autre moyen que celui indiqué ci-dessus. Un procès-verbal ainsi dressé deviendrait une pièce authentique et légale, si un décret déterminait le genre de mesure, tant pour constater le faux d'un assignat, que pour donner connaissance aux receveurs, des signes qui en caractérisent la fausseté en conséquence, il vous propose le décret suivant :

:

« Sur le rapport du comité des assignats et monnaies, en suite des réclamations faites par divers receveurs de districts, à qui des assignats ont été renvoyés par le trésorier de la caisse de l'extraordinaire, comme ayant été déclarés faux par ledit trésorier et ce pour la somme de 17,070 1. 10 s. en 25 assignats dont il a voulu leur faire supporter la perte, lesdits receveurs ont demandé l'exécution de l'article 7 du décret du 1er juin 1790, portant établissement de vérificateurs dans les chefs-lieux de département et autres principales villes, et décharge dudit payement;

C

"L'Assemblée nationale, considérant que les inconvénients qui pourraient résulter de l'exécution de l'article 7 du décret du 1er juin 1750, se sont toujours opposés à l'établissement des vérificateurs pour les assignats dans les chefs-lieux de département et autres principales villes du royauine; qu'il importe cependant d'établir une manière légale de prononcer sur le faux des assignats qui pourraient s'être glissés dans la circulation, et prévenir toutes réclamations ultérieures; considérant, au surplus, que ce serait enfreindre tout principe de justice, que de contraindre lesdits receveurs de districts à perdre le montant des assignats dont ils n'ont pu constater le faux par comparaison, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er. Tous assignats suspectés de faux pourront être déposés à la caisse de l'extraordinaire, entre les mains du trésorier ou de son caissier, qui donnera certificat du dépôt, après avoir fait signer et parapher lesdits assignats par ceux qui les présenteront.

"Art. 2. Dans les départements, la remise aura lieu de la même manière entre les mains des receveurs de districts, qui seront tenus de les adresser au trésorier de la caisse de l'extraordinaire, en prenant la précaution de faire charger le paquet à la poste.

"

Art. 3. Le faux d'un assignat sera constaté par le trésorier de la caisse de l'extraordinaire, le directeur de la confection, le graveur et l'imprimeur, lesquels déduiront les signes apparents de la fausseté, en présence du commissaire du roi, administrateur de ladite caisse, qui en dressera procès-verbal; ledit procès-verbal sera signé des personnes spécifiées ci-dessus et du commissaire du roi; et expédition en sera remise à celui qui aura fait le dépôt, pour valoir en justice, ou de toute autre manière qu'il appartiendra.

Art. 4. Lorsque la fausseté d'un assignat résultera de signes qui n'auront point été reconnus sur ceux qui auraient été précédemment présentés, le procès-verbal qui les constatera sera imprimé et adressé à tous les receveurs de districts et caissiers publics, pour qu'ils se prémunissent contre ceux de semblable nature qu'on pourrait leur offrir en payement.

Art. 5. Les 25 assignats s'élevant à la somme de 17,070 l. 10 s., envoyés au commissaire de la

caisse de l'extraordinaire par divers receveurs de districts, et renvoyés auxdits receveurs par le trésorier de ladite caisse, qui les a déclarés faux, seront vérifiés de la manière énoncée à l'article 3; et le faux en étant constaté légalement, le trésorier de la caisse de l'extraordinaire est autorisé à les recevoir en décharge des sommes que lesdits receveurs doivent verser au Trésor public.

« Art. 6. Nulle bonification à raison de faux ne pourra être accordée à l'avenir à aucun dépositaire de fonds publics, les procès-verbaux qui les constateront leur servant de pièces de comparaison.

Art. 7. Si un receveur de district, ou tout autre percepteur de deniers publics, constataient avoir reçu des assignats suspectés de faux, dont les signes essentiels de reconnaissance ne leur auraient pas été transmis officiellement, ils seront examinés dans les formes prescrites à l'art. 3; et s'ils sont déclarés faux, il sera statué par les personnes ci-dessus désignées, et le commissaire de la caisse de l'extraordinaire. Si les signes qui en constatent la fausseté, sont si bien imités, qu'ils n'aient pu les reconnaître à l'inspection, dans ce dernier cas on pourra y avoir égard, et réclamer en leur faveur du Corps législatif une gratification proportionnelle.

Art. 8. Le présent décret sera porté, dans le jour, à la sanction.

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet du décret, et décrète l'ajournement.) L'ordre du jour appelle la discussion du projet de décret des comités de commerce et d'agriculture réunis, relatif aux subsistances.

M. Emmery, au nom des comités de commerce et d'agriculture réunis. Messieurs, dans la dernière séance où l'Assemblée s'est occupée des subsistances, elle a décidé qu'il y aurait deux décrets, l'un pour le département de Paris et l'autre pour le reste du royaume (1). Voici celui relatif à Paris; il comprend les dispositions insérées dans l'article 1er du projet primitif du comité (2).

« L'Assemblée nationale, pour répondre aux réclamations des citoyens de Paris relativement aux subsistances, et après avoir décrété l'urgence, décrète que le ministre de l'intérieur se fera rendre compte, par la municipalité de Paris, des mesures qu'elle a prises à ce sujet, et mettra ce compte sous les yeux de l'Assemblée dans le délai de 15 jours.

M. Delacroix. Le décret d'urgence est inutile pour obliger un ministre à rendre un compte qu'il doit toujours à l'Assemblée quand elle le lui demande.

L'Assemblée, consultée, adopte la motion de M. Delacroix et rend le décret suivant :

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités d'agriculture et de commerce réunis, sur les plaintes dirigées contre la municipalité de Paris, relativement aux subsistances, et voulant en approfondir l'objet, décrète que le ministre de l'intérieur lui présentera, dans le délai de 15 jours, le compte que la municipalité de Paris aura rendu au département de son administration relative aux sub

(1) Voy. Archives parlementaires, 1TMa série, t. XXXVI, séance du 31 décembre 1791, au soir, page 713.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XXXV, séance du 10 décembre 1791, au soir, page 724, le rapport de M. Mosneron.

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« L'Assemblée nationale, désirant maintenir la libre circulation des grains dans le royaume, fortifier, par de nouvelles précautions, les obstacles mis à leur sortie dans les pays étrangers, après avoir rendu le décret d'urgence, décrète : Art. 1er. Les municipalités des ports du royaume nommeront des commissaires pour assister, indépendamment des préposés aux douanes, à tous les chargements et déchargements de grains déclarés pour être transportés d'un port à un autre. Ces commissaires s'assureront des quantités mentionnées dans les acquits-à-caution; et ils n'en certifieront l'arrivée qu'après en avoir constaté la conformité avec l'état du chargement.

« Art. 2. Les municipalités exposeront dans les lieux d'où il est expédié des grains par acquitsà-caution, un tableau des chargements de ces grains, qui contiendra, par colonne, la quantité, la destination, la date des expéditions et la décharge des acquits-à-caution, à mesure qu'ils seront renvoyés.

«Art. 3. Les municipalités remettront au ministre de l'intérieur un duplicata des acquits-àcaution délivrés pour le chargement des grains destinés à passer d'un port à un autre du royaume, et ce, aussitôt le chargement complété. Le ministré de l'intérieur enverra ce duplicata aux municipalités des lieux de destination, lesquelles seront tenues de l'informer de l'arrivée et du déchargement des quantités de grains énoncées dans lesdits acquits; de manière que, dans tous les temps, le ministre puisse faire connaître à l'Assemblée nationale les quantités de grains expédiées d'un port à un autre, et celles pour lesquelles on n'aura pas justifié du certificat d'arrivée.

«Art. 4. La faculté de faire parvenir des grains d'un port du royaume dans l'intérieur du département des Bouches-du-Rhône, par Marseille, est révoquée. Les grains qui auront cette destination ne pourront rentrer par mer, dans le royaume, que par Toulon, la Ciotat, ou tout autre port que celui de Marseille.

"

Art. 5. Il sera fait une instruction en peu de mots pour rappeler au peuple les principes et les lois pour la libre circulation des grains dans le royaume, et les mesures prises contre leur exportation à l'étranger. Cette instruction sera imprimée, et il en sera envoyé des exemplaires dans tous les districts. Les directoires de districts la feront afficher dans les endroits les plus ap

parents du chef-lieu, et lire dans les principales paroisses, tous les dimanches, à l'issue de la grand'messe. »

M. Lequinio. Messieurs, la matière sur laquelle s'ouvre aujourd'hui la discussion est une des plus importantes que vous ayez à traiter. La disette qui se fait sentir a pour cause d'abord les spéculations avides d'un gouvernement oppresseur qui calculait, pour s'enrichir, sur la misère du peuple, ensuite les efforts continuels des ennemis du nouvel ordre de choses, qui égarent les habitants des campagnes dans le but d'une contre-révolution. Ceux qui se prétendent ruinés par la Révolution fomentent des insurrections par lesquelles ils espèrent le rétablissement de l'ancien régime. D'autres, nuls après comme avant notre Constitution, cherchent la faveur du peuple en caressant son erreur par un zèle spécieux qui est pris pour du patriotisme. Ainsi, trompé par ces doubles intrigues, le citoyen, mal instruit, ne peut permettre des chargements de blé qu'il croit utiles à ses besoins et se porte, pour entraver la circulation, aux excès les plus malheureux; et c'est là la véritable cause de la disette. Les grains restent dans les magasins parce que le cultivateur n'ose se hasarder à les porter à des marchés ou peu avantageux ou dangereux même, soit pour eux, soit pour la perte de leurs denrées.

Il s'en faut pourtant que nous soyons menacés de disette; il s'en faut même que nos besoins soient très considérables. Les départements du Midi ont éprouvé, il est vrai, une disette de grains; mais ceux du Nord ont recueilli de quoi réparer ce déficit et ceux de l'intérieur ont eu aussi du superflu.

On se plaint des accaparements: oui, il en existe, Messieurs; mais ils ne sont point ministériels; ils viennent de la part de ceux qui ont positivement le plus d'intérêt à ce qu'ils n'existent pas, je veux parler des fermiers, des laboureurs et de tous ceux qui ont du blé. Et pourquoi ? Parce que la libre circulation éprouve partout des entraves. Le moyen d'y remédier n'est pas, selon moi, d'établir des greniers de réserve. Ils sont dangereux, ou tout au moins inutiles dans un royaume dont l'étendue est telle qu'il ne peut jamais y avoir que des disettes partielles. Le meilleur moyen de remédier à ces disettes locales est de protéger la libre circulation des grains dans l'intérieur. Alors, vous verrez les blés affluer dans les marchés, la concurrence s'établir, les prix diminuer, enfin l'agriculture fleurir et s'étendre dans tout l'Empire. Messieurs, vous parviendrez à ce résultat, en répandant l'instruction et la confiance. Il n'y a que vous qui le puissiez faire dans une matière aussi grave et où le peuple s'est vu tant de fois victime de l'orgueilleuse et despotique cupidité du mi

nistère.

Pour pouvoir prononcer si les craintes publiques étaient bien fondées, je me suis informé avec soin dans les départements du Nord, dont je suis habitant, sur les causes qui provoquent l'inquiétude du peuple de ces contrées et j'ai appris qu'au mois d'octobre dernier, il avait été enlevé du port de Dunkerque le tiers de la récolte. Les habitants en ont conçu des craintes d'autant plus alarmantes qu'ils se souviennent que, dans les années 1786, 1787 et 1788, tous les grains de la division du Nord ont été achetés et embarqués au port de Dunkerque, sous le vain et spécieux prétexte d'approvisionner les dépar

tements méridionaux, et qu'au lieu d'envoyer ces grains en France, on les a stationnés chez l'étranger et ramenés en France en 1789, où ils furent vendus au quadruple de leur valeur. De là il résulte que les inquiétudes du peuple sont fondées sur les embarquements considérables que l'on a effectués, aux mois d'octobre et de novembre derniers, au port de Dunkerque.

Les départements du Nord doivent, je le sais, et ils reconnaissent ce devoir, faire part de leur abondance aux départements méridionaux : mais, Messieurs, ils doivent aussi conserver de quoi fournir à leur subsistance; ils ne peuvent donner à leurs concitoyens que l'excédent de ce premier besoin. Pour savoir s'il y a des grains en superflu, il faut avoir un état approximatif de ceux qui restent encore dans les départements et de ceux qui sont nécessaires pour leur approvisionnement, et charger le ministre des affaires étrangères de négocier avec les puissances étrangères pour fournir de grains les départements méridionaux.

Je conclus à l'adoption des articles 2 et 3 du projet du comité et je présenterai quelques amendements sur les autres.

M. Carpentier présente un projet de décret dans lequel il demande que le transport des grains par le port de Dunkerque soit suspendu jusqu'à ce qu'on ait acquis la connaissance de l'état des subsistances dans le département du Nord et que le ministère des affaires étrangères soit chargé de négocier des achats de grains chez les puissances voisines.

Un membre: Les dispositions qui vous sont présentées par le comité me paraissent insuffisantes. Plusieurs membres sont convaincus que les subsistances manquent dans les départements méridionaux. Je demande, en conséquence, que le projet du comité soit adopté, et que vous le chargiez, après avoir pris avec le ministre de l'intérieur les renseignements qu'il croira nécessaires, de vous présenter des mesures générales sur les besoins des départements méridionaux, et de vous instruire des ressources qu'ils ont pu et pourront se procurer pour y subvenir.

(L'Assemblée adopte cette motion.)

Un de MM. les secrétaires appelle plusieurs orateurs inscrits pour cette discussion: ils ne se présentent pas.

M. Forfait. Je demande à proposer un article additionnel.

M. Ducos. Je demande l'ajournement du projet; la matière est trop importante pour ne pas attendre que les divers membres de l'Assemblée aient réfléchi sur les mesures que nécessite l'état alarmant des subsistances de l'Empire, état qui n'est que la suite naturelle de l'ignorance où on laisse le peuple. Les mesures générales doivent être discutées avant les mesures particulières. C'est surtout, comme le disait un homme d'esprit, sur la législation en matière de subsistance, que toutes les idées doivent être des lumières. D'ailleurs, la plupart des orateurs inscrits ne se sont pas présentés. Je demande l'ajournement du tout à huitaine. (Appuyé! appuyé !)

M. Rougier-La-Bergerie. Voilà déjà plusieurs fois que le projet du comité est ajourné. Les troubles arrivés dans plusieurs départements en rendent pourtant les dispositions bien urgentes. Il faut que le projet du comité soit discuté article par article, parce que, dans le cours de la discussion, les membres pourront présenter leurs

vues, et éclairer l'Assemblée. Je demande la question préalable sur toute espèce d'ajourne

ment.

M. Ducos. Je prie l'Assemblée d'observer que les troubles qui se sont élevés dans les départements n'ont eu leurs sources que dans l'inexécution des lois faites sur la circulation des grains; il ne s'agit donc pas de rendre des lois nouvelles, mais de tenir la main à l'exécution des anciennes.

M. Forfait. Le comité d'agriculture a parfaitement senti quelle est la cause des inquiétudes du peuple relativement au transport des grains et quelles en sont les suites. Il est bien démontré que, dans les temps de calamités, la disette réelle est toujours bien moins à craindre que l'imagination ne la représente, et que la sollicitude des citoyens augmente aussi dans un rapport incalculable les difficultés du remède. C'est particulièrement lors d'une grande révolution, que la défiance, suite nécessaire de la diversité des opinions et du souvenir d'une administration oppressive dont il reste encore tant de vestiges, doit donner l'intensité la plus grande à la fermentation dans les pays qui sont en même temps témoin d'une circulation active qui semblerait annoncer l'abondance et d'un renchérissement subit de denrées qui semblent annoncer la disette. Peut-on attendre du peuple, non encore éclairé, qu'il concilie des idées contradictoires, quand il est obsédé sans cesse par des hommes qui croient, en l'égarant et le portant à des excès, servir Dieu ou venger leur orgueil humilié?

C'est là ce qui devait fixer l'attention du comité d'agriculture et du commerce, il devait remédier aux erreurs du peuple, il devait chercher les moyens d'éviter toutes les occasions de lui donner un spectacle inquiétant, de faire naître de nouveaux motifs d'alarmes et de suspicion, et c'est ce qu'il n'a pas fait.

Les lois qui concernent la liberté de la circulation des subsistances sont parfaitement sages : elles suffiraient si tous les citoyens les connaissaient, si tous étaient convaincus qu'elles sont strictement exécutées. Mais d'abord on ne les connaît pas, et leur publicité ne servirait à présent qu'à redoubler la défiance. D'un autre côté, les précautions que l'on prend pour l'expédition par mer et celles que l'on propose d'y ajouter, assurent, j'en conviens, qu'il ne se fera pas de fraudes sans d'extrêmes difficultés. Mais cette certitude constatée par les corps administratifs, rendue si l'on veut publique par la voie de l'impression, sanctionnée si l'on veut encore par l'attache du Corps législatif, à qui l'on fera parvenir des états exacts des acquits-à-caution et de leur décharge; cette certitude, dis-je, ne peut pas s'étendre jusqu'au peuple, qui croit, parce qu'on le lui répète sans cesse, que les formes sont facilement éludées, qui redoute une fraude tendant à l'affamer, parce que cette fraude lui paraît possible, qu'elle l'est en effet et que les mouvements qu'il voit sans cesse la lui font juger vraisemblable. Je ne connais point de loi, Messieurs, qui puisse prévenir les désordres qu'amènera nécessairement cette disposition des esprits, parce que, suivant tous les publicistes, une loi qui contrarie le sentiment et l'opinion n'est jamais exécutée.

Remontons donc à la source de cette opinion, et tâchons de la tarir. Je la trouve dans le défaut d'intelligence de ceux qui font les approvi

sionnements; et c'est ici qu'il faut, pour le salut du peuple, sacrifier, au moins pour quelques années, une portion des avantages que nous promet la liberté illimitée des opérations commerciales. Il faudrait donc forcer les acquéreurs à concerter leurs opérations. Je la trouve, cette source d'opi nions dangereuses, dans l'indiscrétion avec laquelle se font les transports qui semblent en effet ordonnés à dessein, de manière à redoubler les soupçons et les alarmes. En voici des exemples :

Les blés ne sortent des départements septentrionaux que par les ports de Dunkerque, le Havre et Nantes, et c'est aussi par les mêmes ports que rentrent ceux que l'on achète dans la Baltique et la Grande-Bretagne. Le peuple doit croire naturellement que les blés qui rentrent sont ceux qu'il a vu sortir; et quand il voit une hausse rapide dans le prix de cette précieuse denrée, il l'attribue à cette manœuvre apparente, il se soulève, et ses mouvements augmentent l'enchère parce qu'ils arrêtent la circulation; de sorte que la disette arrive au milieu de l'abondance, et que les soupçons et la défiance sont successivement effet et cause de la cherté. Voilà ce que savent très bien les hommes qui cherchent à fomenter des troubles ils disent au peuple que, jamais, sous l'ancien régime, ils n'ont vu de semblables opérations, et on les croit, et doit les croire, parce qu'en effet, sous l'ancien régime, la verge du despotisme dirigeait tout et ménageait davantage les justes sollicitudes du peuple.

Dans ce moment encore, une quantité considérable de blés achetés à Hambourg, est arrivée au Havre, elle passera de ce port à celui de Rouen, ensuite au Pecq et du Pecq à Paris. Dans le même temps et en sens inverse, des blés achetés dans le Soissonnais, descendent la Seine, éprouvent les mêmes versements dans les mêmes ports, et sont embarqués au Havre pour Bordeaux. Comment pourra-t-on persuader aux habitants des deux rives de la Seine qu'il est utile aux intérêts du peuple qu'il se fasse aussi des transports et des versements de la denrée qui les fait vivre, suivant des directions diamétralement opposées. Sous le régime arbitraire, on aurait fait rester à Paris les blés du Soissonnais, et on aurait expédié pour Bordeaux ceux de Hambourg. La différence seule aurait suivi son cours nécessaire, et comme cette différence est en plus pour l'importation, le peuple l'aurait regardée comme un bienfait; le bienfait est le même sans doute, mais il est enveloppé sous le voile trompeur de spéculation commerciale, qui le fera nécessairement regarder comme un acte de cupidité. Il faudra donc employer la force publique pour contenir un mécontentement fondé en apparence, dans les lieux mêmes où l'on aurait pu entendre les cris de la reconnaissance, et le blé renchérira nécessairement à cause de la fermentation populaire, dans ces lieux encore où la même opération mieux dirigée aurait dû ramener l'abondance et la baisse; et qu'on n'espère pas remédier à ces désordres par des proclamations. Le peuple n'y croira point; il croira plutôt celui qui lui dira qu'on le trompe.

Je ne connais, Messieurs, qu'un remède à ces maux dont les suites sont assez graves pour mériter toute votre attention, surtout dans le moment où vous devez pourvoir aux moyens d'assurer la subsistance de l'armée, si les apparences de guerre se réalisent. Ce moyen est d'établir à Paris une administration centrale des subsis

tances. (Murmures.) Elle aurait, sous l'inspection et la responsabilité du ministre de l'intérieur, la charge de connaître le produit des récoltes dans les départements, la quantité des achats faits dans l'étranger, et le droit d'indiquer la marche que les subsistances doivent suivre dans tout le royaume pour ne pas se croiser. En se soumettant à cette inspection, presque tous les départements y gagneraient considérablement; mais si, par une suite de sa position locale, quelqu'un devait essuyer quelque perte, il serait juste de l'en dédommager aux frais du Trésor public, puisque ses sacrifices auraient pour but la tranquillité publique. Telle est la mesure que je propose, en adoptant, au surplus, la plupart des dispositions de votre comité.

Plusieurs membres demandent la question préalable sur la motion de M. Forfait.

D'autres membres: Elle n'est pas appuyée! Plusieurs membres : L'ajournement du projet de décret!

D'autres membres : La question préalable sur l'ajournement!

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement, puis ferme la discussion sur le fond.)

M. Mosneron, aîné, rapporteur, donne lecture du décret d'urgence qui est ainsi conçu :

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités d'agriculture et de commerce réunis, sur les plaintes de plusieurs citoyens de différents départements, relativement aux subsistances, attendu les troubles et les inquiétudes qui se sont élevés sur cet objet et la nécessité d'en extirper promptement la cause, décrète qu'il y a urgence. »

(L'Assemblée adopte le décret d'urgence.)

M. Mosneron, ainé, rapporteur, donne lecture du préambule et de l'article 1er du projet définitif qui sont ainsi conçus :

"L'Assemblée nationale, désirant maintenir la libre circulation des grains dans le royaume, fortifier, par de nouvelles précautions, les obstacles mis à leur sortie dans les pays étrangers, après avoir rendu le décret d'urgence, décrète :

Art. 1er.

"Les municipalités des ports du royaume nom. meront des commissaires pour assister, indépendamment des préposés aux douanes, à tous les chargements et déchargements de grains déclarés pour être transportés d'un port à un autre. Ces commissaires s'assureront des quantités mentionnées dans les acquits-à-caution; et ils n'en certifieront l'arrivée qu'après en avoir constaté la conformité avec l'état du chargement. »>

M. Lequinio. L'article 1er qui parait très sage aura sans doute son exécution à Rouen, à Nantes et dans toutes les places de commerce; mais il n'en aura point sur les côtes, et, pour en juger, il faut savoir comment sur 200 lieues de côtes se font les chargements. Mais comme c'est précisément pour les grandes municipalités, pour les lieux où les hommes sont rassemblés, que cette mesure est nécessaire, il faut qu'elle soit adoptée. Je demande donc que l'article soit mis aux voix.

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