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droits de citoyen aux hommes de couleur libres, les esclaves se souleveront. Mais pourquoi ne se sont-ils pas soulevés depuis l'édit de 1685, qui accorde aux affranchis les mêmes droits qu'aux blancs? Pourquoi ne se sont-ils pas soulevés depuis qu'ils ont vu les hommes de couleur libres posséder plus d'un tiers des esclaves des colonies, et posséder de riches plantations?

Les hommes de couleur libres, propriétaires comme les blancs, contribuables comme les blanos, sujets envers la patrie aux mêmes devoirs, doivent avoir les mêmes droits, avec d'autant plus de raison qu'ils sont fils de Français. Voilà des principes que ne peuvent méconnaître des législateurs. Si, à l'appui de ces droits incontestables, les hommes de couleur avaient besoin, pour obtenir votre justice, de vous rappeler leurs services et leur utilité dans les colonies; s'ils avaient besoin de faire preuve de leurs bonnes mœurs, qui ont été si indignement calomniées par leurs ennemis, ils vous diraient qu'ils les défient de citer un seul homme de couleur libre, qui, depuis l'origine de la colonie, ait été flétri par les lois car je ne regarde pas comme tel le malheureux Ogé, que l'on a fait périr sur l'échafaud pour avoir réclamé des droits accordés par vos décrets.

M. Malouet. Il a été condamné comme assassin.

M. Grégoire, Il estmort victime de son amour pour la liberté. Je conclus pour demander la question préalable sur le projet du comité, et je propose de déclarer que les gens de couleur jouiront du droit de citoyens actifs, comme les autres Français. (Cette opinion est plusieurs fois interrompue par des applaudissemens.)]

-Une vive discussion suivit ce discours. Clermont-Tonnerre, Barnave, Biauzat parlèrent en faveur du projet du comité. Malouet déclara que si l'assemblée persistáit à vouloir élever un trophée à la philosophie, elle devait s'attendre à le composer des débris de ses vaisseaux et du pain d'un million d'ouvriers.

-A la séance du12, Robespierre soutint que les hommes libres de couleur jouissaient, avant la révolution, des mêmes droits que les blancs, et que la révolution n'ayant rien changé à leur

sort à cet égard, ne devait non plus rien leur ôter. Il s'attacha principalement à réfuter Barnave. Moreau de Saint-Méry répondit à Robespierre relativement aux droits des hommes de couleur, et prétendit que l'assemblée avait pris l'engagement de laisser l'initiative aux colonies; il conjura l'assemblée de ne pas laisser dire aux colons: « Vous n'avez plus de conseil à prendre que de votre désespoir. Cette opinion fut souvent interrompue par de grands murmures et par les sifflets des tribunes. Regnaud d'Angely prit ensuite la parole. Il représenta le désespoir de dix-neuf mille hommes de couleur à qui l'oppression rendrait des forces. Et quarante mille blancs, s'écria une voix. Roederer releva cette interpellation en disant que sur ces quarante mille blancs, il y en avait vingt mille qui seraient noirs en France. Après un débat très-animé, Barnave continua à défendre l'initiative des assemblées coloniales. Sieyès et Grégoire opposèrent le préopinant à lui-même, et la discussion étant fermée, on passa à l'appel nominal. L'assemblée décréta, à la majorité de 578 voix contre 286, qu'il y avait lieu à délibérer sur le projet du comité.

A la séance du 13, plusieurs amendemens furent proposés sur l'article Ier du comité, article qui affectait l'initiative aux assemblées coloniales. Dupont prononça un discours contre ce dispositif, dans lequel se trouve une phrase que l'on attribue vulgairement à Robespierre. Si toutefois, s'écria-t-il, cette scission devait avoir lieu, s'il fallait sacrifier l'intérêt ou la justice, il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu'un principe. › Moreau de Saint-Méry insista de nouveau pour l'initiative sur les hommes de couleur, et pour que le mot esclaves fût substitué dans l'article au mot non-libres. Voici ce que répondit Robespierre: L'intérêt suprême de la nation et des colonies est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos propres mains les bases de la liberté. Périssent les colonies! (Il s'élève de violens murmures), s'il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté! Je le répète, périssent les colonies! si les colons veulent, par les menaces, nous forcer à

décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts! Je déclare, au nom de l'assemblée...., au nom de ceux des membres de cette assemblée qui ne veulent pas renverser la constitution; je déclare, au nom de la nation entière qui veut être libre, que nous ne sacrifierons pas aux députés des colonies qui n'ont pas défendu leurs commettans, comme M. Monneron; je déclare, dis-je, que nous ne leur sacrifierons ni la nation, ni les colonies, ni l'humanité entière. Je conclus ct je dis que tout autre parti, quel qu'il soit, est préférable. A l'amendement de M. Moreau, je préférerais le plan du comité; mais comme il est impossible de l'adopter sans adopter les inconvéniens extrêmes que je viens de présenter, je demande que l'assemblée déclare que les hommes libres de couleur ont le droit de jouir des droits de citoyens actifs; je demande de plus la question préalable sur l'article du comité. ›

A la séance du 13, il fut décrété qu'aucune loi ne pourrait être rendue sur l'état des personnes non libres que sur l'avis des assemblées coloniales. Barnave proposa de décréter aussi qu'il ne serait statué sur l'état des hommes de couleur que d'après la proposition des assemblées coloniales actuellement formées.

A la séance du 14, Grégoire combattit l'article proposé par Barnave, et demanda que les gens de couleur jouissent de tous leurs droits. La discussion reprit avec plus d'aigreur et plus de violence.

A la séance du 15, Rewbel proposa de déclarer qu'il ne serait pas délibéré sur l'état politique des hommes de couleur sans l'initiative des colonies, mais que, dès à présent, ceux d'entre eux qui seraient nés de pères et de mères libres, auraient l'entrée aux assemblées coloniales. Après de vifs débats et une longue opposition, la proposition de Rewbel fut adoptée. Murinais et un grand nombre des membres de la droite réclamèrent l'appel nominal, qui fut écarté au milieu des applaudissemens de toutes les tribunes. Le lendemain, les députés des colonies écrivirent à l'assemblée qu'ils croyaient devoir s'abstenir de ses séances.

HISTOIRE DE PARIS PENDANT LE MOIS
DE MAI 1791.

Fénelon, écrivant pour la direction de la conscience des rois, avait ainsi conjecturé : « Il viendra une révolution soudaine et violente, qui, au lieu de modérer simplement l'autorité excessive des souverains, l'abattra sans ressource. Au moment de l'histoire où nous sommes, ces paroles touchent à leur réali

sation.

Les novateurs procèdent avec une plénitude d'audace qu'on ne peut expliquer que par une plénitude de foi. Ce n'est pas cependant sans un certain effroi qu'après avoir démoli le passé jusqu'à ses fondemens, il leur faut à cette heure reconnaître et juger les fondemens eux-mêmes. Depuis les premiers débats sur la constitution civile, et surtout depuis que la cour de Rome a nettement rompu avec la révolution, la discussion a pris un caractère très-grave.

Le philosophe attentif à la marche des idées ne peut se défendre d'une impression douloureuse, en voyant naître d'un malentendu, d'une question faussée par ceux qui la posent et par ceux qui l'attaquent, les germes d'épouvantables désastres. Il est sûr que des deux parts, vainqueurs et vaincus ne produisent que des sophismes, et que ces sophismes ne traverseront la chair des peuples qu'au prix de la torturer et de la dissoudre.

Nul doute, lorsque la souveraineté du peuple et le droit divin furent face à face, que l'identité des deux principes n'eût été sur-le-champ constatée, si le combat avait eu lieu du point de vue moral. Car, en Europe, alors comme aujourd'hui, le droit divin, c'était la loi de Dieu; la loi de Dieu, c'était la parole du Christ; et la parole du Christ, c'était la fraternité universelle par le dévoûment. Or, que signifiait autre chose la souveraineté du peuple?

Ils furent bien coupables les hommes qui détournèrent à des querelles sur le droit, le grand principe de tout devoir et de

toute obéissance. Il s'agissait bien vraiment de la juridiction ecclésiastique, c'est-à-dire du gouvernement intérieur de l'église. Il s'agissait des rapports du clergé avec la famille humaine ; il s'agissait pour lui de tout sacrifier, tout, moins son devoir. Un immense sacrifice devait être consommé avant qu'il osât réclamer le droit. Nous le répétons, ses biens, ses honneurs, sa vanité, ses loisirs, sa sécurité, à plus forte raison ses débauches, tout cela était une vile matière qu'au premier effort sincère d'abnégation le clergé eût rejeté loin de lui. Son droit, c'était son dévoûment; son droit, droit qui eût bientôt conquis la vénération et l'amour des nations européennes, c'était qu'il fût un esprit dégagé de tout égoïsme, une volonté droite et ferme vers le but assigné par Dieu, la fraternité.

Ce n'est qu'avec un profond mépris que nous avons examiné ce que l'intelligence papale et celle du clergé hostile à notre révolution, imaginèrent en commun pour l'arrêter. Les bulles de Pie VI sont des anathèmes avocassiers et disputeurs, des consultations de docteur en droit canon, une plaidoirie pour fixer les bornes d'un champ, tandis que la partie adverse lui en conteste la propriété. Lorsque Hildebrand liait Henri IV d'Allemagne du lien de l'anathème, et qu'à sa voix les populations chrétiennes répétaient en choeur l'excommunication, ses bulles étaient des chefs-d'œuvre de sentiment. Aussi ce pape, grand par la science, et grand par le sacrifice, mourut en exil pour avoir aimé la justice et haï l'iniquité.

Quelle influence pouvait avoir l'excommunication de Talleyrand, celle de Gobet et de beaucoup d'autres ? Qu'importait à la France que la juridiction épiscopale, qu'un corps sans âme, eût été blessé ? Du point de vue de la morale sociale, ces deux hommes eussent été frappés de manière à ne jamais se relever. *Au lieu de cela, il arriva que les incrédules eurent tout le crédit que leur donnait leur résistance à un pouvoir contre-révolutionnaire. Les voltairiens, encouragés par cette sympathie, ne comprirent pas que c'était seulement à cause de la lutte qu'on les soutenait, et non pas à cause du motif qui les portait à lutter.

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