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la nature et de corrompre ses sentimens. La peine de mort offre encore à vos yeux un caractère de réprobation, puisqu'elle a une origine semblable à celle de tous les abus que vous avez détruits; elle doit comme eux sa naissance à l'esclavage: c'est contre les esclaves qu'elle a été inventée. Apprenez combien vos lois sont odieuses par l'horreur invincible qu'inspirent ceux qui les font exécuter: honorez au contraire votre code d'une loi analogue à votre constitution, propre à fortifier les sentimens qu'elle a voulu inspirer aux Français; d'une loi qui a fait la gloire et la sûreté des peuples anciens; d'une loi que le despotisme a bien osé promulguer avant vous, et maintenir avec succès dans des pays voisins; d'une loi que les peuples esclaves adopteront, si comme vous ils sont appelés un jour à fonder leur constitution; d'une loi, enfin, sollicitée par cette opinion saine de tous les hommes éclairés qui ont su dérober leur raison à l'influence des préjugés anciens et à celle des circonstances du moment!

COLONIES.

A la séance du 7 mai, Delâtre fit, au nom des quatre comités réunis de marine, d'agriculture et de commerce, de constitution et des colonies, un rapport dans lequel, après avoir établi la nécessité de prendre des mesures promptes pour calmer les inquiétudes des colonies sur les innovations dont les colons se croyaient menacés relativement à l'état politique des personnes, il proposa de convertir en article constitutionnel le principe établi dans le préambule du décret du 12 octobre, de l'initiative exclusive des assemblées coloniales sur toutes les lois relatives à l'état des personnes, et d'ordonner une assemblée générale des colonies, char-. gée de proposer à l'assemblée nationale leur vœu sur cette partie de la constitution coloniale.

Aussitôt après la lecture du rapport, Grégoire prit la parole et dit: Ce projet de décret renferme les objets de la plus haute importance; il s'agit d'anéantir la déclaration des droits de l'homme;

de réduire à l'esclavage une certaine classe d'hommes, en la livrant à l'oppression des autres. Après avoir attendu quatre mois pour nous présenter ce projet, on peut bien attendre encore quelques jours; je demande l'impression et l'ajournement. › (Applaudissemens.)

La discussion fut ajournée, et reprise à la séance du 11. Voici le discours de Grégoire,

[M. Grégoire, évêque du département du Loir et Cher. Il est donc enfin permis aux defenseurs des citoyens de couleur d'élever la voix dans cette assemblée. Il leur est donc enfin permis de démontrer que le salut des colonies tient à la justice qu'elles réclament, Les écrits nombreux, répandus par la société qui s'est dévouée à la défense de ces infortunés, ont dû vous convaincre de tous les inconvéniens que renferme le projet qui vous est présenté par votre com té colonial. On la calomnie cette société; mais on ne lui répond pas. Les villes de Bordeaux, de Lorient, d'Angers, de Vannes, de Coutances, et de vingt autres dont j'ai les adresses à la main, ont hautement exprimé leur adhésion aux principes développés dans la dernière adresse, et s'indignent de ce que l'on balance encore à mettre les hommes de couleur au rang des citoyens actifs.Par quelle fatalité arrive-t-il qu'aucune de ces adresses n'ait été mentionnée dans le rapport qui vous a été fait, tandis qu'on vous a fastueusement énuméré celles de quelques villes qui n'ont fait que copier l'indécente circulaire des députés du nord de Saint-Domingue? Par quelle fatalité M. le rapporteur a-t-il gardé le silence sur l'adresse de la société des amis des noirs, qui a été officiellement envoyée au comité colonial? Ce silence n'annonce-t-il pas et l'impuissance de répondre et une partialité coupable? Ce n'est pas le seul reproche qu'on ait à faire au rapport qui vous a été présenté; il vous déguise la cause des troubles qui déchirent les colonies. Elle a d'abord été, dans cette lettre incendiaire des députés des colonies, écrite le 12 août 1789, dans laquelle ils insultaient à notre enthousiasme pour la liberté, dans laquelle ils semaient des alarmes, effarouchaient les imaginations sur des vaisseaux anglais qui sont toujours en sta

tion dans ces parages lettre où l'on excitait les défiances des blancs contre les gens de couleur. Elle paraît n'avoir été dictée que par le projet de croiser les ordres donnés par M. de la Luzerne, de traiter les hommes de couleur libres comme des citoyens libres. Ces ordres si humains ont donné naissance à cette fastueuse dénonciation contre lui, que la haine a été forcée d'abandonner.

Cette lettre a été suivie d'une foule d'autres, et tout à coup le feu s'est allumé. Alors ont commencé les atrocités de toute espèce contre les gens de couleur. On les a rejetés des assemblées primaires, on les a désarmés, on a coupé la tête de M. Ferrand, juge respectable qui s'est montré leur défenseur. Des hommes sans lois et sans mœurs ont envahi à main armée leurs propriétés; et ces massacres, ils les justifiaient en citant cette fameuse phrase de la lettre du 12 août :‹ Méfiez-vous des gens de couleur, et surtout de ceux qui arrivent d'Europe. L'étincelle qui avait allumé l'incendie à Saint-Domingue va de même l'allumer à la Martinique; mais l'explosion contre les gens de couleur y a été bien plus violente : ils ont été victimes d'une conspiration qu'on a cherché à justifier par les accusations les plus absurdes. Voilà la première cause des funestes divisions des colonies. Qu'on cesse d'en accuser les amis des noirs, qui, à cette époque du 12 août 1789, n'avaient écrit qu'une lettre très-courte au bailliage sur l'abolition de la traite, et où il n'était pas question des mulâtres. Cette lettre, dans le système de nos adversaires, n'aurait pu soulever que les noirs. Or, il est de fait qu'il n'y a pas eu parmi eux un seul mouvement; que les troubles se sont circonscrits d'abord entre les blancs et les mulâtres, et ensuite entre les blancs euxmemes. La seconde cause des troubles se trouve dans la fausse marche qu'on vous a fait adopter par le décret du 8 mars.

Je veux croire que M. le rapporteur, étranger jusqu'alors aux affaires des colonies, vous a égarés sans le savoir; mais détrompé depuis, j'aurais désiré qu'il ne persévérât pas dans un système qui n'est qu'un tissu de violations des principes, et de mesures fausses; il aurait dù vous dire que les citoyens de couleur, libres, propriétaires, contribuables comme les blancs', de

vaient être comme eux citoyens actifs. Telle est la marche simple que la justice, le bon sens et la politique réclamaient. On y a substitué des équivoques, parce qu'on voulait ménager tous les partis. On disait aux mulâtres : vous êtes compris sous la dénomination de toutes personnes. On disait aux blancs : l'assemblée ne désigne point les gens de couleur, vous pourrez argumenter de ce silence. Qu'est-il résulté de cette double marche? Rien autre chose que les querelles et les ressentimens des deux partis. Un troisième genre de désordre s'est manifesté. Plusieurs pouvoirs nouveaux existèrent dans l'île; ils se heurtaient par des prétentions opposées. L'assemblée de Saint-Marc prétendait à la suprématie sur toutes les autres, et elle lui a été disputée par l'assemblée provinciale du nord, qui, profitant des fautes de sa rivale, cherchait à élever son autorité sur ses débris; elle s'est jointe au pouvoir exécutif; et, par ce concert, s'est effectuée l'expulsion de l'assemblée de Saint-Marc: de là uue source de divisions et de haines implacables. Que vous a-t-on proposé pour calmer tous ces troubles? rien. On a cherché seulement à étouffer l'éclat à Paris; on s'est peu inquiété de celui des îles.

L'assemblée coloniale de Saint-Marc a été sacrifiée aux terreurs du commerce français révolté du système d'indépendance des colonies. On a sacrifié dans le fameux considérant du décret du 8 mars les hommes de couleur à tous les partis. Dans les précédens décrets on accordait aux colonies la faculté de faire les plans de leur constitution. Par celui du 29 décembre, M. le rapporteur dit que les colons n'ont pas assez de lumières pour se diriger eux-mêmes; et il leur ôte cette faculté ; il suspend l'assemblée coloniale, remet le gouvernement des îles entre les mains de commissaires, et fait rappeler un général qui rendait des services importans à la chose publique. Que penser d'une pareille marche, et d'hommes qui parcourent en si peu de temps les extrêmes, qui vous disent de renverser en novembre ce qu'ils ont édifié en octobre? N'était-ce pas se jouer des décrets, et compromettre la dignité de cette assemblée, que de lui faire sanctionner des volontés aussi versatiles et des résolutions aussi contradictoires?

Telles étaient les réflexions que je me proposais de vous offrir lors du décret du 29 novembre. Mais, malgré ma persévérance, il me fut impossible d'obtenir la parole : l'événement a justifié més craintes. C'est ici que je sollicite votre attention. J'ai à vous peindre les événemens qui ont depuis augmenté les calamités des colonies.

La première réflexion qui se présente à l'esprit, en discutant le rapport qui est soumis à votre discussion, c'est que, jusqu'à ce moment, toutes les mesures prises par votre comité des colo nies pour ramener la tranquillité, n'ont au contraire fait que propager et augmenter les troubles que votre sagesse eût prévus, si vous aviez pu discuter... Il est temps que la déclaration des droits de l'homme ne soit pas long-temps enfreinte aux dépens d'une classe d'hommes libres, propriétaires, contribuables et indigènes au sol des colonies, désignée sous le nom générique d'hommes de couleur; on a tout employé pour confondre leur cause avec celle de leurs esclaves mêmes.Téinoin, comme membre du comité de vérification, de tous les obstacles qu'on a opposés à leur juste réclamation, je vous affirme qu'après onze séan ces consécutives, le comité avait décidé, sur la pétition présentée par les hommes de couleur, au mois d'octobre 1789, par laquelle ils réclamaient le droit d'avoir des députés parmi vous, que nous avions reconnu juste qu'ils en eussent au moins deux : c'est ce que vous eût fait connaître M. Beauregard, chargé de faire le rapport, si des brigues et des cabales n'eussent empêché ce rapport d'être fait.

D'après ce léger développement, vous sentirez toute l'atrocité du premier article qu'on s'empressait de vouloir vous faire décréter, en vous menaçant de perdre vos colonies, et de voir tomber la splendeur de la France si vous vous y refusiez. Quoi! parce que vous ne pourrez vous dispenser d'accorder à des hommes libres, à des hommes propriétaires et contribuables, les mêmes droits qu'aux blancs, vos colonies seront perdues ; la France l'a-t-elle été, quand vous avez consacré l'égalité des droits? Mais vous diront les colons blancs, si vous accordez les

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