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sur le trône de ne punir aucun criminel, et ce serment fut accompli. On s'empressera d'assurer que depuis elle il y a eu moins de crimes en Russie que dans le temps où les supplices y étaient prodigués.... Si la conséquence est exacte, je demande pourquoi Catherine l'a rétablie ; pour des cas rares, je l'avoue, mais elle l'a rétablie si elle avait pu ne pas le faire, aurait-elle perdu cette occasion de ne plus faire parler les bouches de sa renommée, elle dont le cœur est le théâtre de toutes les ambitions, elle qui voudrait monter au temple de la gloire par tous les chemins?

La sagesse américaine a-t-elle proscrit la peine de mort? Ce peuple, qui a procédé avec tant de maturité, s'est-il privé d'un tel ressort? Celui que l'on peut regarder comme l'héritier de la sagesse des peuples primitifs ne l'a-t-il pas conservée ? Seulement nul coupable ne peut subir sa sentence qu'elle n'ait été revue par l'empereur, car il serait barbare, dit la loi de la Chine, qu'un fils mourût à l'insu de son père.>

Les fondateurs de ces empires ont bien vu que nécessairement il fallait gouverner par les sensations et par la crainte ceux qu'on ne pouvait gouverner par la raison.

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A cela s'unit une vérité non moins importante, c'est que la science du législateur ne consiste pas tant à porter des lois qu'à connaître celles qu'il ne faut pas faire; or dans quel moment aboliriez-vous la peine de mort? Dans un moment d'anarchie, où vous n'avez pas assez de toutes vos forces contre la multitude, à qui l'on a appris qu'elle pouvait tout; où il faudrait multiplier les freins et les barrières contre elle, loin de les affaiblir; dans un moment enfin où le sentiment de la religion est prêt à s'éteindre dans plusieurs classes de la société, et où les mœurs en général ne sont pas d'une très-grande pureté.

Ne croyez pas que vous allez faire sortir de terre une génération propre à recevoir vos lois; il faut vous borner à examiner ce que vous devez craindre, ce que vous devez espérer des hommes d'après ce qu'ils ont été dans tous les siècles.

Sans doute on doit laisser crier le préjugé, mais c'est lorsqu'on

a pour soi la raison. Quel fut à Rome dans la liste des empereurs le premier désapprobateur de da peine de mort? Néron. Pendant plusieurs années, chaque fois qu'il signait un arrêt de mort, il s'écriait : je voudrais ne pas savoir écrire ; vellem nescire litteras. Constantin, que plus d'un historien accuse d'avoir été l'assassin de presque toute sa famille, fit apprendre à écrire à son fils en l'obligeant à copier des lettres de grâces. Trajan, MarcAurèle et le pieux Antonin, ces êtres que le genre humain produit comme des monumens dont il s'honore, ont-ils aboli la peine de mort?

Titus se fit souverain pontife, dit Suétone, pour n'être ni l'auteur ni le complice de la mort d'aucun citoyen; ut puras servaret manus, nec auctor posthâc cujusdam necis nec conscius. Prétendrons-nous être plus éclairés que Trajan et Marc-Aurèle, et plus humains que Titus? Il voulut conserver ses mains pures; mais il s'arrêta là comme à une limite sacrée.

Je le demande une seconde fois, quelle peine substitue-t-on à celle de mort? La perte de l'honneur et celle de la liberté pendant un temps donné? 1° La perte de l'honneur; mais c'est le crime qui a tué l'honneur du coupable, et non la peine que vous lui infligez : il a le courage de la honte; voilà trop souvent ce qui lui reste. 2o La perte de la liberté ; mais jusqu'à ce moment la conversion de la peine de mort en prison perpétuelle, avait été considérée comme une grâce; le comité propose donc de donner ou à peu près des lettres de grâce aux assassins. Voilà où la manie des systèmes conduit des hommes qui ont la plus grande honnêteté et la meilleure tête.

Là où l'honneur se tait il ne reste plus qu'à faire parler la terreur ; et l'ennemi le plus terrible de la société est celui qui la livre à la merci des scélérats. Dans chaque grande époque une nation est dominée par une idée principale. qui la maîtrise et l'entraîne: aujourd'hui règne la vieille chimère de la perfection; on se crée un monde sinon imaginaire, au moins très-difficilement possible, et c'est dans cette espèce de région que les faiseurs ré

sident; ayons le bon esprit de les y laisser, et d'habiter, avec la sagesse, le monde réel.

La triste nécessité de la peine de mort ainsi établie, je me porte sur la seconde question : y aura-t-il des peines au-delà de la simple mort?

Une réflexion dont il est impossible de se défendre, c'est que les lois pénales de presque toutes les nations ont été faites par les puissans et par les riches contre ce qu'on appelait alors le peuple; en sorte que le plus beau présent à faire aux empires est un bon code pénal. Il y a deux vérités qu'il ne faut jamais séparer : rien d'impuni, voilà la première; rien de trop puni, c'est la seconde.

La peine doit être mesurée et sur le degré du crime et sur l'utilité de l'exemple.

Le premier art d'un gouvernement est de savoir récompenser et punir.

C'est donc sur l'espoir de prévenir de nouveaux crimes qu'il faut calculer les peines, sans jamais oublier que moins elles sont atroces moins les crimes sont fréquens, et que quelquefois une loi peu rigoureuse les produit. La mort la plus douce est donc aussi le supplice le plus cruel que le législateur puisse et doive infliger; enfin la dernière et plus consolante conséquence, c'est que le dictionnaire des supplices à mort peut être réduit à une seule ligne, et le code réconcilié avec l'humanité.

Je suis encore à concevoir comment les criminalistes qui ont fait une échelle de peines atroces n'ont pas senti vaciller leur plume en la traçant!

Si la mort d'un grand criminel est un acte d'humanité envers la société, un supplice recherché est un inutile et dangereux attentat de la part du législateur.

Je dis inutile, et l'histoire l'atteste : chaque fois qu'elle parle des supplices recherchés elle a à raconter de grands crimes.

Je dis dangereux, parce que ces supplices inspirent pour les coupables un intérêt qui est presque inséparable d'une sorte d'indignation et d'horreur contre les juges parce qu'en inspirant

cette pitié dangereuse ils familiarisent la multitude avec le spectacle des cruautés et le bruit des douleurs, et entretiennent une sorte de férocité plus propre à multiplier les crimes qu'à les prévenir.

Est-il possible ensuite de ne pas établir des gradations quelconques et de ne pas distinguer les fautes et les crimes? Ce serait un beau travail que celui qui présenterait l'échelle exacte de tous les délits et celle des peines correspondantes.

A Athènes on avait gravé quelques lois pénales sur des colonnes placées auprès des tribunaux; mais là comme ailleurs on se plaignait de ce que la punition ne suivait pas une règle uniforme.

Tout être qui n'est pas privé du don de penser sentira que la plus difficile des tâches est d'établir une proportion exacte entre les peines et les délits; toujours il faudra s'arrêter après un certain nombre de pas dans cette carrière, à moins qu'on ne parvienne à donner, si je puis m'exprimer ainsi, une nouvelle édition de l'esprit et peut-être du cœur humain.

Dans l'impossibilité d'obtenir ce but, convenons au moins que tout ce qui est au-delà de la simple,mort est supérieur au pouvoir de la société, qui doit venger l'ordre public, punir, et non tour

menter.

Fais qu'il sente la mort, disait Caligula au bourreau. Ces mots, qui sont l'histoire de l'âme de cet affreux et sombre tyran, auraient suffi seuls pour lui attirer la vertueuse indignation de Tacite et l'horreur du monde. C'est là cependant ce qu'a répété pendant des siècles notre Code pénal, et long-temps on s'y est accoutumé, parce que l'homme s'accoutume à tous les spectacles et à toutes les idées, parce qu'il y a eu des bourreaux qui ont vécu près de cent ans.

Entrer tout vivant dans la mort, n'est-ce donc pas assez? Ajouter des tourmens à la mort est un genre de barbarie qui n'a appartenu qu'à l'espèce humaine. Ce n'est pas seulement chez les Sauvages de l'Amérique, ce n'est pas dans le treizième siècle, c'est à la veille du dix-neuvième siècle, que des hommes ont livré

des hommes au supplice de la roue, du feu, et à d'autres qu'on n'envisage qu'avec le sentiment de l'infini, et quant à l'horreur et quant à la durée! Sans vouloir outrager les mânes de quelques vieux magistrats, on est tenté de dire qu'ils ressemblaient un peu aux druides, qui sacrifiaient des hommes. Une belle amende honorable à faire à l'humanité serait d'ordonner que le Code pénal sera brûlé par la main du bourreau; et je voudrais pouvoir évoquer l'ombre des Poyer et des Pussort pour les en rendre témoins.

Maintenant à quels crimes la peine de mort sera-t-elle réservée? Si rien n'est plus précieux que la vie d'un citoyen, celuilà qui la lui arrache doit-il la conserver, doit-il continuer à jouir de la lumière dont l'assassiné ne jouit plus?

Un écrivain qui n'a eu que le ciel pour maître, et que le philosophe a mis au rang des grands législateurs, dit : Si quis aliquem interfecerit, volens occidere, morte moriainr!.... Sans placer ce principe dans le ciel, je crois qu'il est bien près de ressembler à ces vérités suprêmes, qu'aucun peuple n'est libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître, qu'une assemblée ne décrète ni ne juge, mais profère, reconnaît et confesse.

Ce n'est pas seulement d'après l'ancienne et l'universelle loi du talion que celui qui a arraché la vie à son semblable doit subir la mort, c'est encore parce qu'il faut que la société soit vengée.

Mais aussi que cette peine demeure réservée à l'assassinat, sans distinction des moyens employés pour le commettre, à l'empoisonnement, à l'incendiat, au crime de lèse-nation. Frédéric II s'en était fait une loi le jour où il s'assit sur le trône. Pendant quarante-six ans elle a été exécutée, et les plus durs raisonneurs n'ont pas osé dire qu'elle avait multiplié les crimes.

Cependant une question délicate à traiter est de savoir si celui qui commet un vol avec effraction, à main armée, doit perdre la vie. Il est bien constant que son intention est de tuer celui qui essaiera de lui opposer une légitime résistance: c'est dans ce projet seul qu'il est armé; mais une intention non réalisée est

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