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parties avant-hier matin pour Bâle en Suisse. (L'Orateur du peuple, no XLVI.)

La soirée du 20 fut très-calme à Paris. Moi, dit Desmoulins, je revenais à onze heures des Jacobins avec Danton et d'autres patriotes; nous n'avons vu dans tout le chemin qu'une seule patrouille. Paris me parut cette nuit si abandonné, que je ne pus m'empêcher d'en faire la remarque. L'un de nous (Fréron), qui avait dans sa poche une lettre dont je parlerai, laquelle prévenait que le roi devait partir cette nuit, voulut observer le château: il vit M. la Fayette y entrer à onze heures. › Le lecteur remarquera que ce fut Fréron qui vit la Fayette.

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Le même Desmoulins nous raconte ensuite les événemens de la nuit, d'après des témoins oculaires.

«La nuit où la famille des Capets prit la fuite, à minuit vingt minutes, le sieur Busebi, perruquier, rue de Bourbon, s'est transporté chez le sieur Hucher, boulanger, et sapeur du bataillon des Théatins, pour lui communiquer ses craintes sur ce qu'il venait d'apprendre des dispositions que faisait le roi pour fuir. Ils courent à l'instant même réveiller leurs voisins, et bientôt rassemblés au nombre d'une trentaine, tous membres du bataillon, ils se portent chez le sieur Mottié, auquel ils annoncent que le roi est sur le point de prendre la fuite: ils le pressent de prendre immédiatement des mesures pour s'y opposer. Mottié se met à rire et à les dissuader, en leur recommandant de se rendre tranquillement chez eux. Pour n'être pas arrêtés en se retirant, au cas qu'ils vinssent à rencontrer quelques patrouilles, ils lui demandent le mot d'ordre. Il le leur donne, en leur répétant de n'avoir point d'inquiétudes, et en les assurant que le roi est en sûreté. Lorsqu'ils ont le mot d'ordre, ils se portent aux Tuileries, où ils n'aperçoivent aucun mouvement, si ce n'est parmi grand nombre de cochers de fiacre, qui étaient à boire autour de ces petites boutiques ambulantes qui se trouvent près du guichet du Carrousel. Ils font le tour des cours jusqu'à la porte du manége, et reviennent sur leurs pas sans avoir rien aperçu; mais ils sont surpris, à leur retour, de ne plus trouver un seul fiacre sur la

place: ils avaient tous disparu; et c'est précisément là le moment où l'indigne famille s'est évadée ; ce qui ferait conjecturer que toutes ces voitures ont été employées par les personnes qui formaient la suite des Capets fugitifs. Le pauvre la Fayette! (1) (Révolutions de France, etc., no LXXXIII.)

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Le matin, à la première rumeur de la fuite du roi, tout Paris s'ébranla. La foule inondait surtout les abords des Tuileries, les quais, la place de Grève, le Palais-Royal. Pour peu que l'on réfléchisse aux habitudes révolutionnaires déjà contractées, aux lectures en plein vent, aux harangues, aux motions des carrefours, aux affiches, aux placards, aux marches et aux contremarches de la garde nationale, on se fera une idée à peu près exacte du spectacle que présentait la capitale. Les sections et les clubs ouvrirent aussitôt la permanence. Nous allons laisser parler Prudhomme:

« Ce ne fut qu'à dix heures que le département et la municipalité annoncèrent par trois coups de canon l'événement inattendu du jour. Depuis trois heures, la nouvelle volait déjà de bouche en bouche, et circulait dans tous les quartiers de la ville. Pendant ces trois heures, il pouvait se commettre bien des attentats. Le roi est parti. Ce mot donna d'abord un moment d'inquiétude; on se porta en foule au château des Tuileries pour s'en assurer; mais tous les regards se portèrent presqu'aussitôt sur la salle de l'assemblée nationale. Notre roi est là dedans, se dit-on; Louis XVI peut aller où il voudra.

> Puis on fut curieux de visiter les appartemens évacués. On les parcourut tous; on y trouva des sentinelles. Nous les questionnâmes: Mais par où et comment a-t-il pu fuir? Comment ce gros individu royal, qui se plaint de la mesquinerie de son logement, est-il venu à bout de se rendre invisible aux factionnaires, lui dont la corpulence devait obstruer tous les passages? Nous ne savons que répondre, disaient les soldats de garde.

>

(1) Depuis le n° LXXIX, ce journal s'intitule: Révolutions de France et de tous les royaumes qui demandant une assemblée nationale, et arborant la cocarde, mériteront une place dans les fastes de la liberté. Note des auteurs.} 16

T. X.

Nous insistâmes: cette fuite n'est pas naturelle; vos chefs étaient du complot..... et tandis que vous étiez à vos postes, Louis XVI quittait le sien à votre insu et tout près de vous.

› C'est à ces observations qui se présentaient les premières à l'esprit, que la Fayette est redevable de l'accueil qui le fit pâlir sur la place de Grêve et tout le long des quais. Il alla se réfugier à l'assemblée nationale, où il fit des aveux peu propres à lui ramener la faveur populaire."

› Bien loin d'être affamé de voir un roi, le peuple prouva par la manière dont il prit l'évasion de Louis XVI, qu'il était saoul du trône et las d'en payer les frais. S'il eût su dès-lors que Louis XVI, dans sa déclaration qu'on lisait en ce moment à l'assemblée nationale, se plaignait de n'avoir point trouvé dans le château des Tuileries les plus simples commodités de la vie, le peuple indigné se serait porté peut-être à des excès; mais il sentait sa force et ne se permit aucune de ces petites vengeances familières à la faiblesse irritée : il se contenta de persifler à sa manière la royauté, et l'homme qui en était revêtu. Le portrait du roi fut décroché de sa place d'honneur et suspendu à la porte; une fruitière prit possession du lit d'Antoinette pour y vendre des cerises, en disant : C'est aujourd'hui le tour de la nation de se mettre à son aise. Une jeune fille ne voulut jamais souffrir qu'on la coiffat d'un bonnet de la reine; elle le foula aux pieds avec indignation et mépris; on respecta davantage le cabinet d'étude du Dauphin; mais nous rougirions de rapporter le titre des livres du choix de sa mère.

› Les rues et les places publiques offraient un spectacle d'un autre genre. La force nationale armée se déployait en tous lieux d'une manière imposante. Le brave Santerre pour sa part en rôla deux mille piques de son faubourg. Ce ne furent point les citoyens actifs et les habits bleu-de-roi qui eurent les honneurs de la fète; les bonnets de laine (1) reparurent et éclipsèrent les bonnets

(1) Les ouvriers des faubourgs, et en général à cette époque, les hommes du peuple, portaient tous des bonnets de laine. Nous avons vu passer quelques lettres, notamment une à Gorsas, signée Lapique, général des bonnets de laine. Ce fut là l'origine du bonnet rouge. (Note des auteurs.).

d'ours. Les femmes disputèrent aux hommes la garde des portes de la ville, en leur disant : Ce sont les femmes qui ont amené le roi à Paris, ce sont les hommes qui le laissent évader. Mais on leur répliqua Mesdames, ne vous vantez pas tant, vous ne nous aviez pas fait là un grand cadeau.

>L'opinion dominante était une antipathie pour les rois et un mépris pour la personne de Louis XVI, qui se manifestèrent jusque dans les plus petits détails. A la Grêve, on fit tomber en morceaux le buste de Louis XVI, qu'éclairait la célèbre lanterne, l'effroi des ennemis de la révolution. Quand donc le peuple se fera-t-il justice de tous ces rois de bronze, monumens de notre idolâtrie! Rue Saint-Honoré, on exigea d'un marchand le sacrifice d'une tête de plâtre à la ressemblance de Louis XVI; dans un autre magasin, on se contenta de lui poser sur les yeux un bandeau de papier : les mots de roi, reine, royale, Bourbon, Louis, cour, Monsieur, frère du roi, furent effacés partout où on les trouva écrits sur tous les tableaux et enseignes des magasins et des boutiques. Le Palais-Royal est aujourd'hui le Palais-d'Orléans. Les couronnes peintes furent même proscrites. (Révolut. de Paris, no CII.)

D

Le club des Cordeliers fit imprimer et afficher un arrêté dans lequel il disait que le corps-législatif avait rendu la France esclave en décrétant l'hérédité de la couronne. It demandait que le nom du roi fût à jamais supprimé, et que le royaume fût à l'avenir une république. (Chronique de Paris.) Nous verrons plus bas comment les Jacobins accueillirent cette proposition.

Les bruits les plus étranges se répandirent : selon les uns, le roi avait pris la route de Metz; selon d'autres, la famille royale s'était sauvée par un égout. Le mot enlèvement, qui avait été mis dans le décret de l'assemblée nationale, placardé par le département, fut partout effacé, et on y substitua le mot fuite.

«Voilà bien assez de temps que je suis aux Jacobins, ‹ s'écrie Desmoulins dans sa narration. Pendant ce temps-là, le peuple de Paris déployait tout son courage, et le caractère, la gaîté

française ne s'est point démenti dans cette journée. On lisait dans les Tuileries cette affiche:

On prévient les citoyens qu'un gros cochon s'est enfui des Tuileries; on prie ceux qui le rencontreront de le ramener à son gîte: ils auront une récompense modique. >

La motion suivante fut faite en plein vent au Palais-Royal : Messieurs, il serait très-malheureux, dans l'état actuel des choses, que cet homme perfide nous fût ramené; qu'en ferionsnous? il viendrait comme Thersite nous verser ces larmes grasses dont parle Homère. Si on le ramène, je fais la motion qu'on l'expose pendant trois jours à la risée publique, le mouchoir rouge sur la tête ; qu'on le conduise ensuite par étape jusqu'aux frontières, et qu'arrivé là on lui donne du pied au cul. ›

Comme on effaçait partout le nom du roi, on a remarqué, rue de Laharpe, une enseigne, au Bœuf couronné, elle a été enveloppée dans la même proscription.» (Révolutions de France, etc., n° LXXXII.)

Les feuilles aristocratiques ne parurent pas. Mallet du Pan, dit la chronique, a fui comme un roi. Royou suspendit sa publication, et donna plus tard le numéro arriéré. Sa narration est plutôt une longue élégie que de l'histoire : seulement voici ses réflexions sur la tranquillité de Paris: Quel a dû être leur étonnement et leur confusion (des factieux) lorsqu'ils ont vu ce même peuple, qu'ils croyaient si furieux et si passionné pour la révolution, attendre si paisiblement le nouvel ordre de choses que l'éloignement du roi semblait présager. Ils ont prétendu se faire un mérite de cette tranquillité miraculeuse, eux qui comptaient sur un massacre et un pillage universel. Mais les hommes éclairés n'ont pas été surpris ; ils n'ignorent pas que le peuple de Paris est très-disposé à la tranquillité quand on n'a pas soin de l'échauffer, et surtout de le soudoyer. Les chefs d'émeute, chargés du département des insurrections, sont restés euxmêmes étourdis de ce départ imprévu du roi; d'ailleurs, les fond leur manquaient, et la caisse de la révolution est presque épuisée

voilà pourquoi le peuple, abandonné à lui-même, est

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