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Le manuscrit de la loi Salique, dont s'occupe particulièrement M. Guizot, fut édité par Hérold, et plus tard par Eccard: c'est sous ce dernier nom qu'il est inséré tome IV, page 120 de la collection des Bénédictins. Sa préface est divisée en trois parties très-distinctes. La première est celle d'où nous avons tiré la prière citée; il est difficile de mettre en doute sa haute antiquité; car elle porte pour date les noms de Clovis, de Childebert et de Clothaire; de plus, elle se trouve, toute seule, en tête d'un manuscrit plus ancien, tiré de la bibliothèque royale, et dit de Schilter; de plus la prière qu'elle mentionne, écrite en latin assez pur, est considérée comme plus ancienne que le prologue lui-même; car, comme le remarque le savant Eccard, elle ne donne pas encore au chef militaire le titre de roi.-La seconde partie porte pour titre Des inventeurs des lois M. Guizot la rapporte au septième siècle, et non au huitième. La troisième traite des divers rois législateurs des Francs; elle nomine d'abord Théodoric et Dagobert enfin. Or, M. Guizot ne parle directement que de ces deux dernières fractions de la préface: et en leur assignant des dates diverses; il ne fait rien d'extraordinaire. Ses raisonnemens sur l'époque des différentes parties de la loi Salique, s'appliquent plus encore au texte des articles de la loi qu'au prologue; il déclare enfin qu'il incline vers l'opinion de Wiarda qui a publié en 1808, à Brême, un ouvrage sur ces matières.

Bien que toute cette discussion ne nous regarde pas, puisque dans tout cela il n'est pas question de la prière que nous avons citée, nous allons dire quelques mots de l'opinion de Wiarda. C'est un livre fort rare; il n'en existe peut-être qu'un exemplaire à Paris, à la bibliothèque royale; et nous sommes certains qu'il y a long-temps qu'il n'a été consulté. Lorsque nous l'avons eu dans nos mains, il n'avait que quelques pages coupées.

L'argumentation par laquelle Wiarda cherche, contre l'opinion de tous les savans, à reporter la date des manuscrits de Hérold, Schilter, etc., jusqu'au dixième siècle, est fondée sur ceci: que ceux qui sont écrits en latin pur, sont plus anciens que ceux où le latin est mêlé de mots barbares. Pour soutenir cette opinion assez étrange, il lui a fallu rejeter les inscriptions des manuscrits eux-mêmes. Ainsi on trouve en tête de ceux dont le style est le plus pur, ces mots: corrigé par ordre de Karl: Wiarda donne à ceuxlà la plus haute antiquité; sur d'autres, il y a jusqu'aux noms des rois de la première race qui décrétèrent les articles cités les uns après les autres: Wiarda les déclare modernes. Ainsi nous serions obligés de rejeter tous les capitulaires de la première race, parce qu'ils contiennent aussi quelques mots barbares et sont en mauvais style! Quelquefois il s'appuie sur deux ou trois passages que les auteurs ont considérés comme des interpolations de copistes. Sa première grande raison est que les Barbares n'ont écrit leurs lois que très-tard. S'il en était ainsi, pourquoi ces lois des Bourguignons, des Visigoths, des Ripuaires? Eussent-elles été faites quand il n'y avait plus de royaume bourguignon, visigoth ou ripuaire? Sa seconde grande raison, c'est que la loi Salique suppose une grande richesse territoriale? Mais la loi bourguignone suppose une richesse semblable; et cependant ces conquérans, à la différence des Francs, avaient pris les deux tiers des terres, et le tiers des colons, etc. L'opinion de Wiarda ne nous paraît pas soutenable, surtout d'après cet argument. Une rédaction du dixième siècle contiendrait plutôt des mots du langage français qui commençait à naître, que des mots tudesques; elle eût été inutile; le vrai code d'alors était la collection d'Ansegise, qui contenait les capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire. En définitive, si l'on admettait ainsi toute espèce de négations; l'his toire n'existerait plus. Nous nous sommes rangés du côté des Bénédictins et de nos savans nationaux ; et nous y restons.

Il est temps de finir cette lettre, vous jugerez, Monsieur, si notre travail méritait l'accusation grave portée contre lui. Quant à notre croyance sur la loi de l'activité française; nous la laissons à discuter. Nous ferous seulement remarquer que les objections qu'on nous a faites, sont extraites du système enseigné par M. Guizot,

Agréez, etc.

HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

MAI 1791.

Ainsi que nous l'avons annoncé dans le volume précédent, nous allons exposer les travaux législatifs de l'assemblée nationale; ensuite, selon notre coutume, nous rendrons compte du mouvement de l'esprit public.

Droit de pétition et d'affiche.

SÉANCE DU 9 MAI.

[M. le Chapelier, au nom du comité de constitution. Le direc toire du département de Paris vous a demandé un code pénal contre les écrits incendiaires. Il sollicite deux autres lois: l'une, pour conserver dans sa pureté le droit de pétition; l'autre, pour déterminer le droit d'affiche.

Je commence au droit de pétition, le plus précieux qui existe dans l'ordre social, l'apanage essentiel de la liberté. Sous un gouvernement despotique, on supplie; on se 'plaint rarement,

T. X.

1

parce qu'il y a du danger à se plaindre; on n'exerce jamais le droit de pétition. Dans un gouvernement libre, on ne supplie jamais, on se plaint hautement, quand on est lésé dans l'exercice de ses droits; on forme des pétitions, soit pour demander des lois nouvelles, soit pour demander la réformation des anciennes.

Nous distinguons donc la plainte de la pétition. Tout citoyen actif a le droit de présenter son vou, soit au corps-législatif, soit au roi, soit aux corps administratifs. La plainte est un droit naturel de tout homme qui se croit lésé par une autorité ou par un individu quelconque. Le droit de pétition, tout citoyen doit l'exercer par lui-même, d'après le principe que les citoyens ne doivent déléguer que les droits qu'ils ne peuvent exercer. De là il résulte que nul corps, nulle société, nulle commune ne peut exercer le droit de pétition sous nom collectif, que la pétition ne peut être faite qu'au nom de ceux qui l'ont signée. De là il résulte aussi que les corps administratifs, ne devant exercer que le pouvoir qui leur est constitutionnellement délégué, ne peuvent représenter le peuple en matière de pétition, et n'ont que le droit d'exprimer leur vœu individuel. Leurs membres rentrent alors dans la classe des citoyens ; ce sont des individus qui, partageant la même opinion, la constatent par la signature de chacun d'eux.

Il en est de même des sociétés particulières, des clubs, qui ne sont aux yeux de la loi que des individus. Ces sociétés ne peuvent collectivement former des pétitions; car alors elles deviendraient bientôt des corporations: si la loi leur donnait le droit de délibérer, de publier leurs délibérations, elle leur donnerait par là même les moyens de se revêtir bientôt d'une autorité qu'elles ne doivent pas avoir. Ces sociétés que la liberté a fait naître, sont utiles sans doute; elles excitent l'esprit public, facilitent les progrès des lumières; mais bientôt elles perdent tous ces avantages, si, pour former des pétitions, elles s'érigent en corporations, et s'approprient ainsi le droit individuel des citoyens.

Regardons donc le droit de pétition comme un droit inhérent à la qualité de citoyen, de membre de la société. Ce n'est pas le

restreindre, c'est le conserver, au contraire; car si les corps s'en emparent, les pétitions des simples citoyens paraîtront moins importantes, et elles doivent l'être toujours beaucoup aux yeux des législateurs: pour que les citoyens conservent le caractère d'hommes libres, il faut que leurs pétitions soient trèsconsidérées. Relativement au droit de pétition des communes ou sections des communes, s'agit-il des affaires particulières d'une ville, les citoyens peuvent s'assembler en conseil de famille, pour délibérer sur leurs intérêts privés. Vous avez autorisé ces rassemblemens ; vous avez déterminé les formes dans lesquelles ils peuvent être provoqués. Mais s'agit-il des affaires générales du royaume? Alors les citoyens de chaque ville ne peuvent exprimer que des vœux individuels; les habitans ne peuvent plus se réunir en conseil de famille, car ils font partie de la grande famille; ils ne peuvent exprimer un vou collectif, car chaque ville deviendrait alors une corporation. Quant aux grandes villes qui sont divisées en sections, vous avez décidé que les sections pourraient s'assembler sur la convocation d'un certain nombre d'entre elles. Elles ne doivent alors délibérer que sur l'objet pour lequel elles sont rassemblées. Sur les autres objets elles n'ont que le droit individuel de chaque citoyen. Si les sections ne sont pas d'accord, alors il doit être nommé des commissaires pour constater le vœu de la majorité. Ces commissaires ne doivent avoir d'autres opérations à faire que d'extraire la délibération; ils ne peuvent y ajouter leur vœu individuel, sans usurper par là l'autorité des corps administratifs et celle du peuple. En un mot, le pouvoir des sections ou de leurs députés n'est rien; il n'y a que celui des officiers municipaux.

Je passe aux droits d'affiche et de publication à son de trompe, Nous vous proposons de déclarer que ce droit ne peut appartenir à aucun individu, à aucune société, à aucune section de commune. Une section séparée n'est rien; elle fait partie du corps collectif, elle n'existe qu'avec lui. La place publique est une propriété commune; la société seule a droit d'en disposer. L'affiche et la publication au son du tambour servent à la pro

mulgation des lois et des arrêtés des corps administratifs: or, importe que ces lois et arrêtés ne soient pas confondus avec les actes des sociétés particulières. On me dira que les affiches peuvent servir à l'instruction publique. Je réponds que ce n'est point au coin des rues que l'on s'instruit ; c'est dans les livres, dans la lecture des lois, dans les sociétés paisibles où l'on ne délibère pas, et où, par conséquent, on est éloigné de toutes passions. J'ajoute que les affiches coûtent des frais. On ne verrait donc se servir du droit d'affiche que les turbulens ou les intrigans qui voudraient exciter des mouvemens dangereux. (On murmure dans l'extrémité gauche.) Mais, me dit-on, laissez au moins cette faculté aux sociétés, aux sections de communes. Eh bien! voilà le danger que nous voulons prévenir. Nous ne voulons pas que des sociétés qui n'ont aucun caractère politique prennent la place de l'autorité publique, et parviennent à rivaliser les pouvoirs délégués par le peuple. Si tout le monde avait droit d'affiche, aurait-on le droit de couvrir l'affiche de son voisin? A côté du droit du premier occupant se trouve le droit du plus fort. De là naîtront des rixes qui souvent ensanglanteront la place publique.

Ainsi, si le droit de pétition est un droit individuel de tout citoyen; le droit d'affiche, au contraire, ne doit être exercé que par l'autorité publique. C'est d'après ces principes qu'a été rédigé le projet de décret que nous allons vous soumettre.

M. le Chapelier lit un projet de décret conforme aux bases qu'il vient d'établir.

Quelques membres applaudissent. L'assemblée ordonne l'impression du rapport.

M. Robespierre. Le droit de pétition est le droit imprescriptible de tout homme en société. Les Français en jouissaient avant que vous fussiez assemblés; les despotes les plus absolus n'ont jamais osé contester formellement ce droit à ce qu'ils appelaient leurs sujets. Plusieurs se sont fait une gloire d'être accessibles et de rendre justice à tous. C'est ainsi que Frédéric II écoutait les plaintes de tous les citoyens. Et vous, législateurs d'un peuple

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