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grandes préoccupations de Marat. Souvent il donnait des plans de travaux appropriés aux nécessités du moment, en développant les ressources dont ils seraient pour les classes malheureuses. Il signale avec une sollicitude croissante, la mauvaise administration des ateliers de charité, et reproche au corps municipal d'en ávoir confié la direction à des ivrognes, à des vauriens qui volent les ouvriers qui travaillent, et autorisent à ne pas travailler, ceux qui leur abandonnent la plus grosse part. Ces griefs sont tout aussi précis, tout aussi circonstanciés que ceux sur les mouchards.

Voici le préambule d'un de ces plans dont nous parlions tout à l'heure. Celui-ci devait assurer la subsistance pendant plusieurs années à dix mille infortunés qui manquaient de pain. « C'est m'acquitter d'un devoir sacré et cher à mon cœur, que de plaider aujourd'hui la cause de ces ouvriers qui forment la plus saine, la plus utile portion du peuple, et sans laquelle la société ne pourrait subsister un seul jour; de ces citoyens précieux sur lesquels pèsent toutes les charges de l'État, et qui ne jouissent d'aucun de ses avantages; de ces infortunés que regarde avec dédain le fripon qui s'engraisse de leur sueur, et que repousse avec cruauté le concussionnaire qui boit leur sang dans des coupes d'or; de ces infortunés qui, au milieu de la mollesse, du faste et des délices dont jouit, à leurs yeux, l'homme puissant qui les opprime, n'ont en partage que le travail, la misère, la douleur et la faim. Dieu des armées, si jamais je désirais un instant pouvoir me saisir de ton glaive, ce ne serait que pour rétablir à leur égard les saintes lois de la nature, que tous les princes de la terre foulent aux pieds, et que nos pères conscrits enx-mêmes ont violé sans pitié, sans pudeur. »

Pendant le mois de mai, Marat revint à la charge contre les exactions et les négligences commises par les chefs préposés aux ateliers de charité. Mais il ne dit pas un mot des coalitions. Sa position de proscrit ne lui permettait de recueillir les faits que postérieurement à leur date. Le dimanche 12 juin, il publia la

lettre suivante qui lui était adressée par 340 ouvriers, tous ceux qui travaillaient à la nouvelle église de Sainte-Geneviève.

‹ A l'Ami du peuple. Cher prophète (1), vrai défenseur de la classe des indigens, permettez que des ouvriers vous dévoilent toutes les malversations et les turpitudes que nos maîtres maçons trament pour nous soulever, en nous poussant au désespoir. Non contens d'avoir amassé des fortunes énormes aux dépens des pauvres manœuvres, ces avides oppresseurs, ligués entre eux, font courir contre nous d'atroces libelles, pour tâcher de nous enlever nos travaux : ils ont poussé l'inhumanité jusqu'à s'adresser aux législateurs pour obtenir contre nous un décret barbare qui nous réduise à périr de faim, Ces honimes vils, qui dévorent dans l'oisiveté le fruit de la sueur des manoeuvres, et qui n'ont jamais rendu aucun service à la nation, s'étaient cachés dans les souterrains les 12, 13 et 14 juillet. Lorsqu'ils ont vu que la classe des infortunés avait fait seule la révolution, ils sont sortis de leur tannière pour nous traiter de brigands; puis, lorsqu'ils ont vu les dangers passés, ils ont été cabaler dans les districts pour y arracher des places; ils ont pris l'uniforme et des épaulettes. Aujourd'hui qu'ils se croient les plus forts, ils voudraient nous faire ployer sous le joug le plus dur; ils nous écrasent sans pitié et sans remords:

› Voici, cher ami du peuple, quelques-uns de ces oppresseurs ignorans, repus et insatiables, que vous dénoncent les ouvriers maçons de Sainte-Geneviève.

› Poncé, maître maçon de la nouvelle église de Sainte-Geneviève, né à Châlons-sur-Saône, charretier de profession, n'ayant nulle connaissance de l'art de bâtir, mais entendant si parfaitement celui des rapines, qu'il s'est fait 90,000 livres de rente aux dépens de ses ouvriers.

» Campion, né à Coutances, d'abord manoeuvre à Paris, aujourd'hui maître maçon de l'église Saint-Sauveur, quoique très

(1) Presque tous les correspondans de Marat lui donnent maintenant ce titre. (Note des auteurs.)

ignorant, ayant subtilisé le petit hôtel Talaru, et jouissant actuellement de 20,000 livres de rente.

Bièvre, né à Argenton, commis de MM. Roland et compagnie, qu'il a ruinés par ses sottes entreprises dans les travaux du palais marchand, mais ayant mis de côté une fortune de 50,000 liv. de rente.

Montigny, né à Argenton, chargé des réparations des QuinzeVingts du faubourg Saint-Antoine, et possédant en propre trois superbes maisons à Paris.

› Chavagnac, Limousin arrivé en sabots à Paris, et possédant quatre beaux hôtels,

› Coneffie, coquin de premier ordre, chargé naguère de la paie des ouvriers des carrières, ayant à ses ordres la maréchaussée, et ayant volé à l'État plus de deux millions. Il s'est Bâti des magasins considérables à la Courtille; il a toujours mal

traité et volé les ouvriers.

› Delabre, fils d'un marchand de choux de Limoges, ayant cominencé par grapiller sur des bâtimens de la Comédic-Italienne, possédant aujourd'hui plus de 40,000 liv. de revenu.

› Gobert, ignorant, brutal et inepte, qui a volë plus de 200,000 livres sur la construction des bâtimens de Brunoi, et qui s'est ensuite construit des bâtimens sur les boulevards, pour plus de 500,000 liv.

› Perot, manœuvre bourguignon, protégé par les administrateurs des hôpitaux pour avoir épousé une bâtarde de feu Beaumont, archevêque de Paris. Il vient de se retirer avec 200,000 1. de revenu.

Rougevin, manœuvre champenois, maître maçon depuis cinq ans, et déjà riche de 50,000 liv. de rente.

› Voilà une esquisse des moyens de parvenir de nos vampires et de leurs fortunes scandaleuses. Gorges de richesses.comme ils le sont, croiriez-vous qu'ils sont d'une avarice sordide, et qu'ils cherchent encore à diminuer nos journées de quarante-huit sous que l'administration nous a octroyés. Ils ne veulent pas faire attention que nous ne sommes occupés au plus que six

mois de l'année, ce qui réduit nos journées à vingt-quatre sous; et sur cette chétive paye, il faut que nous trouvions de quoi nous loger, nous vêtir, nous nourrir, et entretenir nos familles, lorsque nous avons femme et enfans; ainsi, après avoir épuisé nos forces au service de l'État, maltraités par nos chefs, exténués par la faim, et rendus par la fatigue, il ne nous reste souvent d'autre ressource que d'aller finir nos jours à Bicêtre; tandis que nos vampires habitent des palais, boivent les vins les plus délicats, couchent sur le duvet, sont traînés dans des chars, et qu'ils oublient dans l'abondance et les plaisirs, nos malheurs, refusant souvent à la famille d'un ouvrier, blessé ou tué à midi, le salaire du commencement de la journée.

› Recevez nos plaintes, cher ami du peuple, et faites valoir nos justes réclamations dans ces momens de désespoir où nous voyons nos espérances trompées, car nous nous étions flattés de participer aux avantages du nouvel ordre de choses, et de voir adoucir notre sort.

Réflexions de Marat.« On rougit de honte et on gémit de douleur, en voyant une classe d'infortunés aussi utiles, livrés à la merci d'une poignée de fripons qui s'engraissent de leur sueur, et qui leur enlèvent barbarement les chétifs fruits de leurs travaux. Des abus de cette nature qui privent la société des services, ou plutôt qui tendent à détruire, par la misère, une classe nombreuse de citoyens recommandables, auraient bien dû fixer l'attention de l'assemblée nationale, et occuper quelques-uns de ces momens qu'elle consacre à tant de vaines discussions, à tant de débats ridicules. (L'Ami du peuple, no CDLXXXVH.)

Les Annales patriotiques qui gardent le silence sur les coalitions de Paris, racontent ainsi un fait de ce genre, qui venait de se passer à Orléans. Les ouvriers séduits par les ennemis de la constitution, se sont portés en foule vers la municipalité et lès corps administratifs, et demandaient avec les cris les plns séditieux, et les menaces les plus alarmantes, qu'on augmentât leurs salaires; mais les magistrats du peuple, inaccessibles à la crainte, ont déployé toute la force publique. On a fondu sur les mutins, 8

T. X.

et bientôt ils ont été dispersés. Trois des plus coupables ont été saisis et emmenés à la municipalité; on assure qu'en les fouillant, on a trouvé dans leurs poches des billets portant ces mots : Révoltez-vous, et venez à Paris. Ils sont bien gardés: on va faire leur procès, et tâcher de découvrir leurs infâmes instigateurs, ce qui ne sera pas difficile. (Annales patriotiques, 16 mai.)

En outre des coalitions, les procès-verbaux manuscrits de la commune nous fourniront un dernier extrait. Il paraît que depuis la mort de Mirabeau la manie de débaptiser les rues et de leur imposer des noms nouveaux était en pleine manifestation. L'acte spontané du peuple, inscrivant rue de Mirabeau le patriote, à la place de rue de la Chaussée-d'Antin, provoqua des imitations. La municipalité intervint pour régulariser quelques-uns de ces actes, et pour en empêcher beaucoup. Voici sa délibération à ce sujet: Le corps municipal s'occupant de la question de savoir s'il ne serait pas convenable de changer les noms d'un grand nombre de rues, soit parce qu'elles en portent qui contrastent avec nos institutions actuelles, soit parce qu'il peut leur en être substitué qui rappellent des souvenirs chers à l'opinion publique; informé que, sans attendre le résultat de sa délibération, quelques personnes ont fait poser au coin de quelques rues de nouvelles inscriptions; qu'il faut cependant considérer qu'il en est des noms des rues comme de ceux des hommes, qui ne peuvent être changés qu'avec le concours de l'autorité publique, et par des formalités dont les actes, soient consignés dans les dépôts publics, parce qu'ils ont une influence sensible sur l'ordre dans les. propriétés et dans les fortunes; qu'il est important de peser mûrement s'il n'y aurait pas des inconvéniens à changer tout à coup les noms de beaucoup de rues; s'il n'en résulterait pas pour le passé et pour l'avenir de la confusion pour la reconnaissance et la destination des propriétés, de l'obscurité dans le partage et dans les titres, et par conséquent des procès dans les familles et entre voisins pour les limites;

› Pensant néanmoins que ces considérations d'intérêt général et qui méritent d'être pesées avant de faire un grand nombre

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