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utile, et tourne au profit de la commune; considérant encore que ces ouvriers sont obligés de se fournir des instrumens et autres ustensiles nécessaires à leurs ouvrages, arrête qu'à comp ter du lundi 23 mai, les tailleurs de pierre employés aux réparations des quais, ponts et trottoirs de la capitale, seront payés de leur salaire sur le pied de quarante-deux sous par jour, au licu de trente-six qu'ils ont reçus jusqu'à présent. ›

Aucun journaliste, excepté Prudhomme et Marat, ne parlent des coalitions. La Feuille villageoise elle-même, qui s'évertue pour mettre à la portée des simples les abstractions théologiques impliquées dans la querelle des conformistes et des non-conformistes, qui met en dialogue, à l'usage des laboureurs la métaphysique de l'échange pour justifier le commerce de l'argent, ne dit pas un mot des salaires. L'esprit de Turgot ne fut représenté en cette circonstance par aucun élève digne de lui: Prudhomme jugea la question du point de vue de la concurrence. Aujourd'hui que l'économie politique a jeté tant de lumière sur ce débat; aujourd'hui surtout qu'il est bien reconnu que l'exploitation des ouvriers par les maîtres est le vrai mal contre lequel la révolution s'opère, nous ne comprenons pas comment des démocrates pouvaient proclamer le principe de liberté comme régulateur et législateur absolu de ce débat; car, abandonner le salaire au droit individuel, et le faire dépendre d'une lutte qui consisterait en ce que l'ouvrier usant de sa liberté refusât de travailler, sinon à tel prix, et en ce que le maître refusât de faire travailler, sinon à tel prix, il est clair que ce serait livrer le plus faible au plus fort, celui qui a faim et qui ne peut pas attendre à celui qui n'a pas faim et qui peut attendre, celui qui n'est pas libre de ne pas travailler à celui qui est libre de ne pas faire travailler. Il fallait, ce me semble, une bien légère attention pour apercevoir que la liberté n'était pas un principe commun entre les ouvriers et les maîtres, et que c'était à un autre principe à régler leur rapport. Voici l'analyse de l'article de Prudhomme.

Un différend s'est élevé entre les ouvriers charpentiers de la ville de Paris, et les ci-devant maîtres de la même profession :

des pétitions ont été présentées de part et d'autre à la munici

palité.

Les ouvriers charpentiers se sont depuis plusieurs mois réunis en société sous titre d'union fraternelle des ouvriers en l'art de la charpente. Trouvant le taux de leur journée fixé à un prix trop bas, ils invitèrent d'abord leurs ci-devant maîtres à se joindre à eux, afin d'établir, de concert, des réglemens qui assurassent aux uns et aux autres un gain proportionnel : ceuxci ont rejeté toute proposition. En conséquence de ce refus, ces ouvriers ont arrêté que le prix de leur journée ne pourrait, dans tous les temps, être moindre de cinquante sous. Ils ont fait un réglement en huit articles, qu'ils ont présenté à M. le maire, en le priant de se rendre médiateur entre les deux parties.

» Les ci-devant maîtres ont dénoncé cette assemblée d'ouvriers comme inconstitutionnelle et incompatible avec l'ordre public. Nouvelle pétition des ouvriers dans laquelle ils réfutent mot à mot celle des maîtres et persistent à faire la municipalité juge et médiatrice de la légitimité de leurs réclamations; ils l'invitent, pour s'éclairer, à consulter le mémoire des maîtres.

› Il y a ici une erreur de droit qu'il est essentiel de relever. La municipalité n'a pas le pouvoir d'exiger des ci-devant maîtres qu'ils produisent leurs mémoires; et à moins qu'ils ne consentent à s'arranger à l'amiable avec les ouvriers, par la médiation de M. le maire, ni lui ni personne n'a le droit de fixer les salaires de ces derniers contre le gré de ceux qui doivent les payer: Ceci se réduit au principe simple, qu'entre celui qui travaille et celui qui fait travailler, il est tyrannique et absurde qu'un tiers puisse, contre le gré d'un des contractans, donner sa volonté pour convention. » (Révolutions de Paris, no XCVI.)

Ce principe suprême du rédacteur de l'article est encore la doctrine de certains économistes modernes, Rendons cependant témoignage à l'École française. Ce n'est pas à elle que nous devons reprocher de pareilles maximes. Comment peut-on s'abuser au point de donner le nom de justice à un véritable brigandage! Car enfin, d'après les définisseurs eux-mêmes auxquels nous

adressons ces réflexions d'après leur code civil, tout contrat légitime provient du libre consentement de deux volontés touchant le même objet. Or, peut-il y avoir contrat de la part du salarié? pour cela, il faudrait qu'il fût aussi libre que le maître. Il n'est libré que de mourir de faim.

Marat est vraiment le seul journaliste qui, au milieu de son fracas de dénonciations, ait émis quelques bonnes vues sur la question industrielle. Ce qui, jusqu'à présent, fait toute la force de Marat, c'est qu'il déduit invariablement du principe social ses conjectures, ses prévisions, ses jugemens sur les hommes et sur les choses, les solutions, en un mot, de chaque problème que la révolution agite. Il critiqua, pendant le mois de mars, la loi sur les patentes avec une supériorité et une largeur dont peu de ses contemporains étaient capables. Nous nous étions réservé de parler de cet article au moment des coalitions, et de résumer de suite ce que l'Ami du peuple avait écrit là-dessus.

L'argumentation de Marat contre les patentes pose, comme source légale de l'industrie, la source commune des lois, la liberté publique, le droit social. Il dit que les institutions ayant pour but les professions, les arts et les métiers, doivent être la meilleure forme possible de la garantie dont la société a besoin vis-à-vis de chacun de ses membres; qu'il faut une constatation de la probité et de la capacité, et de plus un moyen d'entretenir et d'accroître ces élémens essentiels à toute association humaine. Après avoir établi la garantie sociale, devoir antérieur à l'exercice quel qu'il soit de la liberté individuelle, Marat s'occupe du droit qui se fonde sur cette garantie. La loi sur les patentes lui paraît non-seulement manquer cette double fin; mais encore y être absolument contraire. Voici au reste ses propres raisonnemens.

< Rien de mieux sans doute que d'affranchir les citoyens des entraves qui s'opposent au développement des talens, et qui retiennent les infortunés dans l'indigence. Mais je ne sais si cette liberté plénière, cette dispense de tout apprentissage, de tout noviciat, est bien yue politiquement. Dans chaque état qui n'a pas la gloire pour mobile, si du désir de faire fortune, on ôte

le désir d'établir sa réputation, adieu la bonne foi. Bientôt toute profession, tout trafic dégénère en intrigue et en friponnerie. Comme il ne s'agit plus alors que de placer ses ouvrages et ses marchandises, il suffit de leur donner certain coup-d'œil attrayant, et de les tenir à bas prix, sans s'embarrasser du solide et du bien fini. Tous les ouvrages de l'art doivent donc promptement dégénérer en savetage; et comme ils n'ont alors ni mérite, ni solidité, ils doivent ruiner le pauvre consommateur forcé de s'en servir, et déterminer le consommateur à son aise, de se pourvoir chez l'étranger. Suivez le développement illimité de l'envie de gagner qui tourmente toutes les classes du peuple dans les grandes villes, et vous serez convaincu de ces tristes vérités. Une fois que chacun pourra s'établir pour son compte sans faire preuve de capacité, dès ce moment, plus d'apprentissage suivi. A peine un apprenti saura-t-il croquer quelque ouvrage, qu'il cherchera à faire valoir son industrie, et ne songera plus qu'à s'établir et à valeter pour trouver des pratiques et des chalans. Comme il ne sera pas question de faire d'excellens ouvrages pour établir sa réputation, mais de séduire par l'apparence, les ouvrages seront courus et fouettés. Décrié dans un quartier, l'ouvrier ira dans un autre, et souvent finira-t-il sa carrière avant d'avoir parcouru tous ceux d'une grande ville, sans avoir fait jamais que duper les acheteurs et se tromper lui-même. C'est dans les capitales surtout que ce dépérissement des arts utiles, cet anéantissement de la bonne foi, cette vie vagabonde et intrigante des ouvriers, l'indigence attachée à toutes les professions, et la misère publique qu'entraîne la ruine du commerce, se feront surtout sentir.

! › A l'égard des arts utiles et de première nécessité, l'artisan doit être assujéti à faire preuve de capacité, parce que personne ne pouvant se passer de leurs productions bonnes ou mauvaises, l'ordre de la société exige que le législateur prenne des mesures pour prévenir la fraude, la dépravation des mœurs, et les malheurs qui en sont la suite.

A l'égard des professions où l'ignorance peut avoir des suites terribles telles que celles de médecin, de chirurgien, d'apothicaire,

il importe qu'elles soient interdites à tout homme qui n'aura pas fait preuve rigoureuse de capacité. C'etait bien assez des recherches et des études longues et pénibles qu'exigent ces professions, sans qu'on y ajoutât des licences dispendieuses. Mais rien au monde ne pouvait être plus mal imaginé que d'assujétir ceux qui les exercent à prendre une patente, comme font de vils saltimbanques. Je doute qu'il existe un seul homme de cœur qui veuille subir cette humiliation.

Au lieu de tout bouleverser, comme l'a fait l'ignare comité de constitution, il aurait dù consulter des hommes instruits sur les choses qui ne sont pas à sa portée, et s'attacher uniquement à corriger les abus. >

Voici maintenant les moyens de Marat :

1o Assujétir les élèves à un apprentissage rigoureux de six à sept ans.

2o Mettre un prix honnête au travail des ouvriers, de manière à ce qu'aucun d'eux ne pût tomber dans l'indigence que par sa faute.

5o Les exciter à une bonne conduite, en donnant au bout de trois ans, les moyens de s'établir pour leur compte à tous ceux qui se seraient distingués par leur habileté et par leur sagesse, avec la simple réserve que celui qui ne prendrait pas femme, serait tenu au bout de dix ans, de remettre à la caisse publique les avances qu'elle lui aurait faites.

Marat termine ainsi : « Récompenser les talens et la conduite est le seul moyen de faire fleurir la société. C'est le vœu de la nature que les ignorans soient guidés par les hommes instruits, et les hommes sans mœurs par les honnêtes gens; les ouvriers sans talens et sans conduite ne devraient donc jamais devenir maîtres. On ne remédie pas au défaut d'aptitude: mais on se corrige des incartades. Or, il est dans la règle que des écarts de conduite soient punis; il suffirait, pour la punition, que chaque rechute retardat de six mois l'avance gratuite des moyens d'établissement. Tel eût été le plan du comité constitutif, s'il avait pu en concevoir la sagesse. (L'Ami du peuple, n. XDI.)

Les moyens de faire subsister les pauvres étaient l'une des

L

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